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Actualités - CHRONOLOGIE

Les Libanais d’Égypte, précurseurs de la « Nahda » arabe aux XIXe et XXe siècles Roberto KHATLAB

La grande émigration libanaise vers l’Égypte, commencée au XVIIe siècle, a pris son essor entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle, particulièrement après les massacres commis en 1860 dans la montagne libanaise ainsi qu’à Damas, ce qui entraîna également une émigration syrienne. Au XIXe siècle, l’Égypte devenait plus attirante économiquement, vu les réformes sociales et culturelles effectuées par Mohammad Ali puis Ismaïl Pacha, ainsi que d’autres khédives ou vice-rois, qui voulaient faire de l’Égypte un « coin » d’Europe en Afrique. Alexandrie est devenue à la seconde moitié du XIXe siècle une ville méditerranéenne, européenne, arabe et islamo-judéo-chrétienne, concurrente de Marseille et Istanbul, et son port recevait des navires de toutes les parties du monde, garantissant 60 % de l’activité économique égyptienne. Des centaines de paysans montagnards et de propriétaires terriens libanais, venus à pied, à dos d’âne ou à bord de petites embarcations, suivis de grandes familles bourgeoises, à majorité chrétienne melkite, puis orthodoxe et maronite, de Saïda, Tyr et Zahlé, s’installèrent à Alexandrie, à Damiette, à Mansourah, à Tanta et au Caire, travaillant dans l’agriculture et le commerce. Les Libanais connaissant d’autres langues que l’arabe furent embauchés dans les grandes sociétés et banques étrangères et développèrent, avec les Égyptiens, les secteurs économiques privés. Ils réussirent dans les professions libérales, comme comptables, magistrats, avocats, médecins, ingénieurs, entrepreneurs, etc, et certains occupèrent d’importants postes au gouvernement, allant même jusqu’à influencer la politique locale. Le nombre de Libanais d’Égypte, à la fin du XIXe siècle, dépassait les cent mille personnes. Les Libanais émigrant en Égypte avec des capitaux se sont bien établis et ont investi dans les petites industries de l’huile, de la savonnerie, du tabac, des pâtisseries… D’autres ont fondé de grandes sociétés et industries de sel, de sodium, de textile, de parfum, de bois, de la soie… En 1905, les Libanais furent les pionniers des industries chimiques et du coton en Égypte. Ils travaillèrent aussi dans le secteur du transport (train et autobus) dans le delta du Nil, établissant des liaisons régulières pour les gens et les marchandises à partir des ports jusqu’aux villages les plus éloignés du désert. Dans les villes, ils ouvrirent de grands magasins de nouveautés (prêt-à-porter, produits de beauté…). Certains firent rapidement fortune et construisirent des palais qu’ils habitèrent. Ce succès rapide entraîna, à son apogée, l’ouverture d’églises, d’écoles, de clubs et d’associations de bienfaisance, appuyant les nouveaux émigrants libanais et envoyant des aides au Liban, tout en contribuant au développement de l’Égypte. Citons parmi ces familles les Assouad, Athié, Bakhos, Boulad, Boulos, Cassir, Chalhoub, Chaoul, Chahine, Chedid, Corm, Daher, Debbané, Eddé, Farah, Farès, Gemayel, Habachi, Hachem, Haïmari, Hakim, Khlat, Khoury, Nasser, Nouh, Rohayem, Saab, Sarrouf, Sayegh, Chéhadé, Tadros, Younès, Zeidan, Zein… La « Nahda » À la même époque, le Liban connaissait une activité intellectuelle intense qui fut à l’origine de la Renaissance arabe, la « Nahda », basée sur la liberté, la patrie et la langue arabe, dans une perspective de conception de l’arabité suivant des objectifs nationalistes, laïcs et non religieux. Les écrits des Libanais dans les domaines littéraire, culturel, scientifique, pédagogique et philosophique ont été à l’origine de la « Nahda » et un des « maîtres » libanais  de toutes ces disciplines a été sans doute Boutros al-Boustani, né à Debbiyeh dans le Chouf (1819-1883), qui ne quitta jamais le Liban. La censure ottomane tentant d’étouffer ce nouvel essor, de nombreux intellectuels libanais prirent le chemin de l’Égypte, où la Renaissance arabe a effectivement vu le jour, avec de grands esprits comme les Égyptiens Taha Hussein (1889-1973), Saad Zaghloul (1859-1927) et son frère Fathi Zaghloul, qui, à travers ses traductions en langue arabe, a introduit la pensée politique et la sociologie occidentales en Orient. Les Libanais d’Égypte ont contribué au développement des courants de la pensée libérale et scientifique avec, notamment : Farah Antoun (1874-1922), intellectuel originaire de Tripoli, fondateur de la revue al-Jamiah (L’université) et auteur de plusieurs livres ; Yacoub Sarrouf (1852-1927), directeur de la revue scientifique al-Muqtataf (Sélection), fondée à Beyrouth en 1876 et transférée au Caire en 1883 ; Gergi Zeidane (1861-1914), écrivain réformiste de nouvelles et de romans historiques sous forme de feuilletons, fondateur de la revue al-Hilal (Le croissant) en 1892, qui a contribué à l’éducation de plusieurs générations, non seulement en Égypte, mais dans tout l’Orient arabe. La presse et l’art Le XIXe siècle fut celui du développement de la presse en Orient, qui avait eu sa première imprimerie en 1697 au Liban, suivi par l’Égypte en 1820. Avec l’imprimerie, la presse révolutionna la société arabe dont l’éveil culturel permit aux élites de débattre de nouvelles idées en approfondissant leur connaissance de l’Europe. Le premier journal officiel en arabe et turc fut el-Waqa’i el-Masria (Les événements égyptiens), apparu en 1828 en Égypte. Au Liban, Khalil el-Khoury fonda le premier périodique indépendant arabe, Hadiqat el-Akhbar (Le jardin des nouvelles) en 1858, et Abdel Kader Kabbani Samarat al-Founoun (La production artistique) en 1875, qui seront suivis de plus de cent autres journaux. À la même période, les frères Béchara et Salim Taqla fondèrent (1875) à Alexandrie le célèbre journal al-Ahram (Les Pyramides), transféré au Caire en 1899. Ce journal, conçu de façon moderne, se développa rapidement au niveau régional et international, devenant aujourd’hui l’un des plus grands du monde arabe, avec des versions hebdomadaires française (al-Ahram Hebdo) et anglaise (al Ahram Weekly). Dans le domaine de l’art, les Libanais ont également été prolixes, notamment au théâtre. La première pièce écrite et jouée en Orient fut al-Bakhil (l’Avare), adaptée de Molière et présentée en 1848, près de la place des Canons à Beyrouth, par le Libanais Maroun al-Naccache, qui devint ainsi le père du théâtre arabe. Vu les difficultés rencontrées au Liban en raison de l’occupation ottomane, les Libanais développèrent le théâtre en Égypte, où Georges Abyad, fondateur du théâtre égyptien moderne, créa en 1912 la première troupe arabe professionnelle. La révolution de 1952 en Égypte fit tomber la monarchie, ce qui entraîna un choc au sein de la colonie libanaise, très affectée par ce changement brusque, principalement après 1956. En effet, à cette date-là, la nationalisation nassérienne toucha la classe bourgeoise dans son ensemble, musulmans comme chrétiens. Des centaines de familles perdirent du jour au lendemain leurs biens personnels, industries, magasins et autres propriétés, saisis par le nouveau gouvernement. Cela provoqua une nouvelle grande vague d’émigration vers le Nouveau Monde et l’Australie. Beaucoup sont cependant restés en Égypte, préservant jusqu’à ce jour les relations égypto-libanaises, plusieurs fois millénaires. Ces personnes sont très engagées dans la société égyptienne, comme il existe un grand nombre d’Égyptiens et de Libano-Égyptiens au Liban, qui font le pont entre les deux pays dans les domaines culturels, économiques et politiques. Prochaine article : Portraits de Libanais d’Égypte
La grande émigration libanaise vers l’Égypte, commencée au XVIIe siècle, a pris son essor entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle, particulièrement après les massacres commis en 1860 dans la montagne libanaise ainsi qu’à Damas, ce qui entraîna également une émigration syrienne.
Au XIXe siècle, l’Égypte devenait plus attirante...