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Actualités - interview

INTERVIEW - Gebran Bassil revient sur le document Aoun des constantes chrétiennes « C’est le rôle politique des chrétiens qui assure leur présence au Liban »

Le 3 décembre dernier, le général Michel Aoun a exposé de façon très solennelle, devant un parterre d’hommes politiques et de journalistes triés sur le volet, le document des constantes chrétiennes... qui est toutefois passé inaperçu. Erreur de timing ou exposé trop général, ce document qui reprend le thème de la marginalisation des chrétiens et qui définit les principes ainsi que la démarche nécessaires pour permettre à cette communauté de reprendre sa place au sein de la structure du pouvoir libanais a très rapidement été noyé dans la polémique politique actuelle. Certaines parties au sein de la majorité ont très vite accusé le chef du CPL de faire de la démagogie au détriment des chrétiens alors que d’autres ont estimé qu’il s’agissait d’une attaque contre le général Michel Sleimane devenu entre-temps le candidat de l’entente à la présidence de la République. Les principes en eux-mêmes et le constat établi par le document n’ont pourtant pas fait l’objet d’un débat sur le fond au grand dam de ceux qui ont rédigé le document. Pour tenter d’expliquer l’objectif et les motivations qui ont dicté l’élaboration de ce texte, qui se veut avant tout une réflexion profonde sur le rôle des chrétiens au Liban et dans la région, nous avons interrogé un de ses auteurs, Gebran Bassil. Q : Comment expliquer le timing de ce document alors que le général Sleimane est devenu le candidat consensuel à la présidence de la République ? R : « Ce document n’a rien à voir avec la candidature du général Sleimane. Il est lié aux consultations effectuées par le général Aoun à Rabieh avec les personnalités chrétiennes après la vacance de la présidence de la République le 24 novembre dernier. C’était la première fois que la communauté chrétienne se retrouvait dans une telle situation. Nous nous sommes demandés s’il s’agissait d’un simple hasard ou d’un processus qui se poursuit… Nous avons posé des questions essentielles pour l’existence des chrétiens et leur rôle dans la région. Les chrétiens ont eu le sentiment après le 24 novembre de se transformer en espèce en voie de disparition… politique. Nous pensons que c’est le rôle politique des chrétiens qui assure leur présence, sinon, ils seront voués à disparaître. Un peu comme ce qui se passe pour eux en Irak et en Palestine du fait de la politique américaine dans la région. Nous voulons résister pour ne pas devenir une communauté qui subit les décisions des autres. Nous avons posé un diagnostic et proposé une action pour sortir de cette crise. » Q : Comment expliquez-vous dans ce cas le fait que ni les FL ni les Kataëb n’aient participé à son élaboration ? R : « Nous avons adressé des invitations à toutes les parties chrétiennes, et particulièrement aux FL et aux Kataëb. Ceux qui y ont répondu positivement pensent comme nous qu’il est urgent d’agir. Pour nous, il s’agit d’un document historique et d’une référence dont tous pourraient s’inspirer. » Q : Si la candidature du général Aoun avait été retenue, auriez-vous publié ce document ? R : « Si le général Aoun avait été élu à la présidence, ce document aurait été inutile. Car en acceptant sa candidature, c’est le retour en force des chrétiens sur la scène politique qu’on accepte implicitement. Et c’est justement le rejet de cette candidature qui contribue à la marginalisation des chrétiens et confirme ce processus. Aoun aurait œuvré de lui-même à l’application de ces constantes et sa présence à la tête de l’État aurait été rassurante pour les chrétiens. » Q : Est-ce possible qu’une seule personne résume une cause aussi importante que celle de la participation des chrétiens au pouvoir ? R : « Oui, dans ce qu’il représente et ce qu’il incarne, le général Aoun peut résumer cette cause. Certes, le problème chrétien ne se limite pas au général Aoun. Mais le refus de sa candidature est un indice de la poursuite du processus de marginalisation des chrétiens. Dans le document, nous reconnaissons le principe de majorité et de minorité alternatives. Il n’y a donc pas de monopole politique. De plus, nous refusons qu’une communauté soit punie à cause de ses choix politiques. Nous appelons au dialogue avec les représentants qu’elle s’est choisis. Et ceux-ci seront jugés sur leurs actes, non sur le fait qu’ils aient été élus. Aujourd’hui, nous avons le sentiment que les chrétiens sont punis parce qu’ils ont voté pour Aoun, et à travers lui, c’est eux que l’on sanctionne. » Q : L’élaboration de ce document n’est-elle pas en contradiction avec la politique suivie par le CPL au cours des dernières années ? R : « Non, car nous reconnaissons dans ce document l’appartenance à la citoyenneté libanaise. Mais pour que celle-ci soit possible, toutes les communautés doivent se sentir épanouies. Pour la laïcité, il faut des chrétiens, sinon elle n’aurait plus de raison d’être. Notre point de départ est la préservation du Liban-message de coexistence entre toutes les communautés. C’est dans cet esprit que nous avons défendu les droits des musulmans. Au début, nous pensions que la tutelle syrienne était responsable de la marginalisation des chrétiens, or nous découvrons qu’elle n’était qu’une couverture. Au lieu de récompenser les chrétiens pour leur rôle dans le départ des Syriens, en leur donnant leurs droits reconnus par l’accord de Taëf, seuls les musulmans ont été récompensés parce qu’ils ont participé à la bataille de l’indépendance en occultant les droits des chrétiens. Comme si ces derniers devaient toujours payer : pour le maintien du Liban et pour sa libération. Si cela continue, ils n’auront bientôt plus rien à donner... » Q : Mais brandir de cette façon les droits des chrétiens n’est-il pas en contradiction avec la signature du document d’entente avec le Hezbollah ? R : « Au contraire. Nous avons montré que les chrétiens ont un rôle à jouer dans l’entente avec les autres communautés, et par sa position pendant la guerre de juillet 2006, le général Aoun a donné une nouvelle dimension au rôle des chrétiens, non seulement au Liban, mais dans toute la région. » Q : N’ont-ils pas été plutôt instrumentalisés par le Hezbollah ? R : « Non, les chrétiens ont pour la première fois dans la région joué un rôle de premier plan dans la victoire remportée sur Israël. Aujourd’hui, Amal et le Hezbollah réclament les droits des chrétiens au même titre que les chrétiens eux-mêmes. Qu’ils le fassent par reconnaissance pour la position des chrétiens en juillet 2006 ou par conviction, le résultat est le même. » Q : Ce document ne remet-il pas en cause l’accord de Taëf et n’est-il pas la revanche du général Aoun sur cet accord qu’il avait rejeté en 1989 ? R : « Dans tout le document, aucune allusion n’est faite à un amendement de la Constitution. Nous avons simplement réclamé l’application de cette Constitution et une précision des prérogatives du président de la République qui semblent parfois assez floues. Surtout après la politique de marginalisation du chef de l’État suivie au cours des deux dernières années. Nous n’avons toutefois jamais réclamé le retour aux anciennes prérogatives comme le droit à la dissolution du Parlement ou la formation du gouvernement. Le principal coup porté à Taëf est le maintien en poste du gouvernement actuel. » Q : Comment expliquez-vous le fait que certaines voix au sein de l’opposition aient critiqué ce document et y aient vu une tentative de retour à l’avant-Taëf ? R : « Elles ont sans doute été obligées de le faire pour des considérations ayant trait à leur assise populaire. Mais ces voix se sont tues d’elles-mêmes. » Q : On pourrait rétorquer que vous cherchez à redonner aux chrétiens la place qu’ils ont perdue, et que le nouvel équilibre reflète désormais leur poids réel au sein de la société. R : « Il est certain que les chrétiens ont payé le prix de la guerre dans l’accord de Taëf, puisque le nombre de sièges au Parlement est passé d’un peu plus de la moitié à la moitié, sans parler de la réduction des prérogatives présidentielles. Mais est-ce une raison pour réduire encore plus leur poids dans la vie politique ? Si c’est cela ce que les autres parties veulent, qu’elles le disent clairement. Ce document soulève en fait deux défis : le premier aux musulmans pour qu’ils montrent leur attachement à la formule de coexistence libanaise, et le second à l’Occident pour qu’il exprime son attachement à la présence chrétienne dans la région. » Q : Comment expliquez-vous le fait que Bkerké n’ait pas adopté le document, et n’êtes-vous pas en train de faire de la surenchère ? R : « Ce document s’inspire largement de l’exhortation apostolique à laquelle Bkerké avait largement contribué. De plus, Bkerké a favorablement accueilli ce document, mais nous considérons que sa position n’est pas suffisante. Elle devrait pousser un peu plus vers la lecture du texte et initier peut-être un débat sur le sujet. De toute façon, le document reconnaît l’autorité nationale et chrétienne incontestable de Bkerké. Mais les politiques doivent aussi assumer leurs responsabilités et leur rôle est complémentaire à celui de Bkerké. Chacun a sa place, Bkerké ne se présente pas aux élections et le général Aoun ne fait pas de prosélytisme… Il n’y a donc pas de surenchère. Bkerké n’est pas un contre-pouvoir et ne doit pas être utilisé par certaines parties politiques pour compenser leur faiblesse populaire. » Q : Ce document n’est-il pas dirigé contre le général Sleimane ? R : « Pas du tout. Nous pensons que seul, le général Sleimane, dont nous saluons les grandes qualités nationales, ne peut rien faire. L’expérience des deux dernières années l’a prouvé. Il a besoin d’un bloc parlementaire et gouvernemental pour pouvoir peser sur les décisions. En menant ce combat, nous cherchons à lui donner les instruments pour agir, d’autant que lorsqu’il deviendra président, il ne sera plus commandant en chef de l’armée. Il aura donc besoin d’outils politiques. Je crois qu’il faudrait lire ce document calmement, loin des préjugés et des polémiques politiques. Il mérite qu’on s’y penche et qu’on en débatte en toute objectivité et loin de toute passion. » Propos recueillis par Scarlett HADDAD Les grandes lignes du document Étant donné que le Liban sans ses chrétiens n’est pas un pays, pas plus qu’il ne l’est sans ses musulmans, étant donné que ceux qui ont refusé la création d’un Liban chrétien isolé de son environnement, s’attendent à ce que leurs partenaires leur soient redevables et refusent à leur tour la création d’un Liban islamique en contradiction avec la spécificité libanaise, étant donné que la coexistence est plus qu’une cohabitation forcée, mais un préambule à la citoyenneté en tant que base d’appartenance à l’État, et un ensemble de droits et de devoirs, nous présentons les propositions chrétiennes libanaises suivantes : La crise des chrétiens et leur situation actuelle Puisque la prise à partie des chrétiens dans leur existence, leur rôle et leurs droits, constitue une atteinte au Liban dans son unité et son unicité, notre attention se porte à leur marginalisation, et plus particulièrement au déséquilibre démographique résultant du décret de naturalisation, de l’émigration ou de l’exode forcé et de l’incapacité de certains chrétiens à recouvrer leur nationalité. À cela s’ajoute la mauvaise représentation parlementaire des chrétiens, conséquence des lois électorales injustes, sans oublier les vices qui entachent leur participation manquée au sein du gouvernement, de l’administration publique, de la justice et des institutions sécuritaires, en plus des atteintes à leurs libertés, et sur les plans économiques, sociaux et culturels. La crise actuelle n’est en fait que le prolongement de la crise qui sévissait sous la tutelle syrienne. Il y a eu ensuite un acharnement à falsifier la volonté chrétienne par les élections législatives de 2005, la dissolution du Conseil constitutionnel pour l’empêcher de statuer sur les invalidations légitimes de nombre de sièges, ensuite la mise à l’écart de leurs véritables représentants dans la formation du gouvernement, pour finir avec la perte du gouvernement de sa légitimité avec la démission des ministres chiites. Les principes et les règles démocratiques dans le milieu chrétien Deux principes, deux règles et une autorité devraient régir les relations des parties chrétiennes entre elles. Le premier principe est la préservation de la diversité intellectuelle, politique partisane et non partisane. Le second principe est la reconnaissance de l’autre, ainsi que d’une majorité et d’une minorité toutes deux engagées à respecter les fondements de la démocratie et à alterner entre elles le leadership politique. La première règle consiste à admettre le droit de la majorité à assumer le leadership politique. La deuxième donne le droit à la minorité de choisir de se rallier à la majorité proportionnellement à sa représentativité, ou bien de constituer une opposition qui se charge de relever les erreurs de la majorité et de proposer des alternatives dans le cadre du processus démocratique. Bkerké demeure l’autorité garante qui veille à l’application de ces règles. Les principes et les règles démocratiques au Liban À l’heure où nous aspirons tous à une société où seule la citoyenneté constitue la base d’appartenance à l’État et non l’appartenance confessionnelle ou communautaire, la réalité du système politique libanais basé sur la reconnaissance des droits de chaque communauté implique qu’il faudrait respecter les principes de la démocratie compétitive simple au sein d’une même communauté religieusement homogène, et de la démocratie consensuelle au sein d’une plus grande communauté hétérogène et religieusement diversifiée. La restructuration de la société La restructuration de la classe moyenne est à la base de la résurrection du Liban et des chrétiens, il faudrait pour cela montrer davantage de solidarité et de fraternité communautaire dans les secteurs de l’éducation, de l’enseignement, de la santé et de l’habitation, pour réaliser davantage de justice sociale. De même qu’il conviendrait d’accorder un intérêt primordial à la décentralisation élargie, aux questions du développement équitable et durable, et à l’exode des cerveaux pour trouver des solutions modernes et adaptées. L’édification de l’État La réforme et la lutte contre la corruption constituent la pierre angulaire de l’édification d’un État fort et juste capable d’asseoir le règne de la loi, de rassurer ses citoyens et de bénéficier des caractéristiques de chacune de ses composantes. Les chrétiens refusent le principe de l’autosécurité qui porte en lui les germes de la division et de l’émiettement du pays ; ils lui opposent l’adoption d’une stratégie de défense nationale capable de conférer au Liban l’immunité et la stabilité nécessaires pour constituer une force dissuasive face aux ennemis et agresseurs, étendre le pouvoir de l’État sur l’ensemble du territoire national, et préserver la souveraineté et l’indépendance du Liban de toute intervention étrangère. Les dangers imminents Deux périls menacent le Liban et ses chrétiens : le péril de l’implantation des Palestiniens qui changerait la donne démographique basée sur un délicat équilibre déjà précaire, que le Liban – manquant de ressources et dont la densité d’habitants au km2 est la sixième au monde – tente de préserver à travers la migration de ses fils vers l’étranger ; il lui est par conséquent impossible d’assimiler un quelconque surplus humain. Le deuxième péril est celui du « surplus d’argent » qui se concrétise par l’achat massif de terrains et l’aliénation de leur identité, ce qui place le Liban une fois encore dans la sphère d’une nouvelle tutelle et porte atteinte aux principes de la souveraineté et de la décision nationale libre. À ces deux périls vient s’ajouter le fardeau de l’endettement général qui excède de loin la capacité du Liban à tenir ses engagements, et qu’il craint de devoir troquer avec l’implantation des Palestiniens ou tout autre procédé contraire à l’intérêt national. Les revendications immédiates I. Adopter le principe de réciprocité et la restauration de la justice politique comme base essentielle de l’équilibre des pouvoirs. II. Réhabiliter la présidence de la République en garantissant les qualifications personnelles et la représentativité du président et éclaircir certaines de ses prérogatives. III. Promulguer une loi électorale juste (fondée sur la petite circonscription) pour assurer une bonne représentativité et une participation paritaire. IV. Remédier au déséquilibre survenu dans la représentation des chrétiens au sein du gouvernement, de l’administration, de la justice et des institutions sécuritaires. V. Achever de traiter le dossier des déplacés chrétiens de la Montagne, des réfugiés en Israël et des disparus en Syrie. (...)
Le 3 décembre dernier, le général Michel Aoun a exposé de façon très solennelle, devant un parterre d’hommes politiques et de journalistes triés sur le volet, le document des constantes chrétiennes... qui est toutefois passé inaperçu. Erreur de timing ou exposé trop général, ce document qui reprend le thème de la marginalisation des chrétiens et qui définit les...