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Actualités - CHRONOLOGIE

DANSE - Une chorégraphe allemande de pointe Les corps sans fard de Sasha Waltz

Elle s’est imposée au fil du temps comme l’une des figures les plus marquantes de la danse contemporaine allemande après Pina Bausch. Plus d’une dizaine de spectacles, décoiffants et d’une étrange originalité, sans concessions ni artifices, ont suffi pour la propulser aux avant-scènes de la chorégraphie de pointe. Non, sans jeux de mots, Sasha Waltz est une danseuse et chorégraphe, originaire de Karlsuhe, en Allemagne, dont on attend aujourd’hui, parfois avec quelque appréhension, mais sans nul doute dans un heureux mélange de curiosité et d’intérêt, les créations. Née le 8 mars 1963, Sasha Waltz a vite compris, c’est-à-dire dès l’âge de cinq ans, que la danse est dans son sang et sa destinée. Sans être une Margot Fonteyn en herbe, elle vise surtout la flaque de lumière pour tout ce qu’elle a d’espace insaisissable à sculpter… Études dans sa ville natale avec Waltraud Komharas et surtout Mary Wigman. Naturellement, cela ne suffisait pas à son boulimique besoin d’apprendre. Nouvelle formation à Amsterdam et New York, où elle oublie littéralement chaussons et pointe avec des pédagogues avant-gardistes en la matière, tels Pooh Kaye et Lisa Kraus. Riche de ses pérégrinations et de ses découvertes, forte de sa détermination à rompre les amarres avec tout ce qui est minauderie et stérilement conventionnel, Sasha Waltz s’installe en 1993 à Berlin, la ville où tout se passe, où tout se fait, où entreprendre en toute liberté est possible, où tout peut être réussite, et fonde sa compagnie, Sasha Waltz et Guests. Remarquée par les milieux artistiques de la capitale, elle est nommée à la tête de la prestigieuse Schaubûhne am lehniner de Berlin, poste convoité et dont la responsabilité n’est guère de tout repos… Créations outrancières et révolutionnaires De ses multiples activités et intenses explorations naîtront une quinzaine de spectacles, grinçants et carrément révolutionnaires tant ils sont outranciers et hors normes, frisant même à peine le « visuellement correct ». Et l’on peut même s’aventurer à dire le « danser correctement » tant cette notion de mouvement est parfois absente dans ces mouvements secs et abrupts. Entendre par là un monde cruel, une sorte de l’envers du décor, sans renoncer toutefois à un certain humour (même s’il est parfois à la limite du noir) qui rejoindrait la tourmente et les images torturées de Jérôme Bosch. D’ailleurs Sasha Waltz semble bien imbibée des traditions médiévales germaniques car elle a une façon unique de traiter le corps, sans fard, avec une courageuse irrévérence, pour mieux révéler les limites de l’être et du monde… Mais avec vigueur et naturel. Pas de tutus, pas de chaussons, pas de gaze vaporeuse, pas de gestuelles romantiques, pas de rêves bleus, pas de féerie souriante, pas de princesses, pas de princes charmeurs et charmants… La grâce ici ça ne connaît pas ! Contraste fort avec cette danseuse à la grâce pourtant d’Ophélie avec sa silhouette frêle, ses cheveux longs et raides, ses traits fins, son regard futé, son allure délicate, sa voix fluette, son extrême pâleur d’héroïne romantique…  « Je travaille comme un peintre qui fait du collage, confie-t-elle dans l’une de ses interviews, et d’ajouter : Je cherche la fluidité du moment. Je privilégie l’horizontalité et les mouvements au sol, je veux que les danseurs trouvent la force dans le naturel et non dans l’artifice … » Voilà de petites clefs pour s’introduire dans cet univers un peu bétonné, à la fois mordant et abstrait, où l’espace est une préoccupation fondamentale et où le corps est mû grâce à l’improvisation avec toutefois des directives de structures, d’ambiance et de combinaisons de pas. Révélée au Festival d’Avignon en 1999, Sasha Waltz a signé des créations insolites, fortes comme un coup de poing, mêlant en toute intrépidité une sorte de danse macabre et de sexualité instinctive et féroce. On cite volontiers La Fantaisie et fugue à trois, Nobody, Corps, Travelog et Zweiland. Mais il ne faut pas croire que Sasha Waltz taille uniquement dans un monde de noirceur absolue et de cruauté où l’on s’empoigne sans merci ni pitié. En bonne nature allemande, elle n’oublie jamais l’aspect mélancolique, sensible, tendre, comique ou sérieux des choses. Avec cette palette exceptionnelle de couleurs pour les spectacles, la lauréate du prix Adolf Grimme a eu droit de regard sur des œuvres plus connues, tels l’opéra baroque de Purcell Didon et Enée et surtout le superbe Roméo et Juliette de Shakespeare sur une musique de Hector Berlioz, à la Bastille, à Paris, avec une Aurélie Dupond et Hervé Moreau, pieds nus, tout en courbes et spirales… Deux œuvres intelligemment revisitées, débarrassées de toutes fioritures décoratives ou pic émotionnel et sorties comme épurées sous sa chorégraphie taillant toujours à angles vifs. Beaucoup de critiques, et souvent le public, se sont plaints du manque de la danse dans les spectacles de Sasha Waltz. Pour certains, c’est très violent, pour d’autres, c’est abrupt et caustique, mais n’est-ce pas là l’air du temps, en ce délirant vingt et unième siècle où surconsommation, conflits et ultraviolence guerrière mènent le bal (on serait tenté de dire, une fois de plus et sans sournoise tentation de jeux de mots, la danse) ? Et que serait la danse si elle ne reflète, en toute honnêteté et sincérité, tel le tain d’un impitoyable miroir, toutes les tendances d’une époque ? Edgar DAVIDIAN
Elle s’est imposée au fil du temps comme l’une des figures les plus marquantes de la danse contemporaine allemande après Pina Bausch. Plus d’une dizaine de spectacles, décoiffants et d’une étrange originalité, sans concessions ni artifices, ont suffi pour la propulser aux avant-scènes de la chorégraphie de pointe. Non, sans jeux de mots, Sasha Waltz est une danseuse et...