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Actualités - CHRONOLOGIE

Un comportement répétitif, irraisonné et inutile Lorsque le shopping devient maladif

« Rien qu’un peu de shopping pour se remonter le moral. » Telle est du moins la devise de Becky Bloomwood, jeune journaliste de 25 ans qui passe ses journées à faire les boutiques, où elle « éprouve un vif soulagement » saisie « d’un frisson d’excitation irrépressible ». Parce que pour elle, acheter rime avec « orgasme ». « C’est du plaisir à l’état pur », avoue-t-elle. Becky Bloomwood, héroïne de plus de trois romans de Sophie Kinsella sur « L’accro du shopping », est le reflet de ces acheteurs compulsifs qui exultent après chaque acquisition, aussi futile soit-elle. En fait, rien ne peut contenir leur fièvre acheteuse, pas même leur compte en banque qui en souffre. Zoom sur une manie souvent maladive, qui recèle un manque d’affection ou d’estime de soi. Rawan aime les vêtements, les chaussures, les CD, les livres et les articles de maison. « C’est un aspect d’une coquetterie qui est acceptable tant qu’il est contrôlé, reconnaît-elle. Or dans mon cas, la situation est tout à fait contraire. Je ne sais pas s’il s’agit d’une pathologie ou si c’est dû à mon éducation, parce que j’ai grandi en ayant un certain mépris pour l’argent, mes parents nous ayant toujours répété que la santé et le bien-être étaient les choses les plus importantes dans la vie. Mais je pense que dans mon cas, il s’agit aussi d’une pathologie. En effet, je perds toute rationalité lorsque je me trouve dans un centre commercial, lorsque je suis énervée ou triste. Dans de pareils moments, je suis capable de dépenser tout mon salaire en quelques heures sur des choses inutiles, sans penser au lendemain. » Cette femme de 42 ans est un exemple de ces acheteurs compulsifs qui peinent à contrôler leur fièvre acheteuse, malgré toutes les bonnes résolutions prises au début de chaque nouvelle année ou au lendemain d’une situation critique. S’agit-il vraiment d’une maladie ? Jusqu’à ce jour, les achats compulsifs n’ont pas été clairement classifiés dans les catégories diagnostiquées internationalement comme étant des troubles mentaux. Ils sont toutefois perçus pour certains comme « un trouble de l’addiction, au même titre que les troubles alimentaires, la pharmacodépendance, la cyberdépendance, etc., puisqu’ils entraînent un comportement de dépendance », explique Chantal Mansour, psychologue clinicienne, psychothérapeute, maître de conférences au département de psychologie de la faculté des lettres et des sciences humaines à l’Université Saint-Joseph. Ils peuvent s’associer chez d’autres au trouble obsessionnel compulsif, puisqu’il s’agit dans ces cas d’un rituel, celui d’acheter. « Le produit n’est pas acheté pour son utilité ou par besoin, puisque souvent, il est mis de côté, mais parce que le fait de le posséder entraîne un état euphorique, souligne-t-elle. Et cette euphorie engendre le plaisir de répéter le même comportement une deuxième, une troisième et une énième fois. » Situations embarrassantes Cette frénésie d’achats est plus fréquente chez les femmes, mais elle existe également chez les hommes. La société de consommation dans laquelle nous vivons joue-t-elle un rôle dans cette fièvre acheteuse ? « La société peut stimuler l’acheteur, mais elle ne transforme pas une personne en acheteur, répond Chantal Mansour. Il existe certainement derrière ce trouble une prédisposition, certains événements de vie et une certaine personnalité. En fait, si nous étudions cliniquement les acheteurs compulsifs, nous constatons qu’il existe toujours derrière ce comportement une déstabilisation entre le rationnel et l’émotif. Cela est parfois dû à une dépression antérieure comme il peut être un symptôme dans un syndrome comme la manie et qui se résorbe quand ce trouble est traité. Lorsqu’on essaie d’examiner les raisons qui poussent les acheteurs à se comporter de la sorte, on remarque qu’il s’agit dans certains cas d’une compensation affective, pour se sortir d’une déstabilisation émotionnelle, parce que rationnellement l’acheteur sait qu’il ne doit pas acheter et il éprouve une honte et un dérangement de l’avoir fait. Il ne s’agit donc pas d’un comportement irraisonné qu’il répète sans qu’il n’y ait une conséquence mentale, mais il ne peut pas s’en empêcher. » C’est ce que ressent en fait Rawan après chaque achat. « Au moment même, j’éprouve un grand plaisir et j’exulte, avoue-t-elle. Mais une fois à la maison, je commence à paniquer. Je ressens une certaine culpabilité accompagnée d’un sentiment d’humiliation, d’autant plus que je suis consciente que je ne vais pas pouvoir boucler le mois et que je vais finir par m’endetter auprès de ma mère ou de ma sœur. Pourtant je gagne bien ma vie et comme je suis célibataire, je devrais avoir un respectable compte en banque. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Bien au contraire, cette frénésie d’achats m’a mise dans des situations embarrassantes. Je me rappelle qu’au cours de mon dernier voyage à Paris, j’ai dépensé tout mon argent sur des articles que j’ai achetés et j’ai oublié de garder de côté les frais du taxi qui devait me ramener de l’hôtel à l’aéroport. Heureusement que ce jour-là la chance a joué en ma faveur, parce que la compagnie qui m’avait invitée à suivre la formation m’a remboursée à la dernière minute le taxi que j’avais payé à l’aller. » Avec le temps et suite à ce dernier incident, Rawan, qui avoue être « un peu brouillon dans sa vie », a décidé de s’organiser. « Je n’ai plus envie de me retrouver à sec ou dans des situations embarrassantes, souligne-t-elle. Ma famille a déjà essayé de m’aider. En vain. Je me sens humiliée à chaque fois que je m’endette, d’autant plus que j’ai toujours été indépendante sur le plan financier. Pour l’année 2008, j’ai décidé alors de m’acquitter de mes dettes et de commencer à économiser de l’argent. Je vais éviter encore plus les centres commerciaux et me contenter des choses essentielles et nécessaires. Je n’ai plus envie de ressentir cette humiliation. » Une estime de soi défaillante Si chez certains acheteurs compulsifs, les acquisitions sont accompagnées d’un certain sentiment de honte, chez d’autres, ce comportement vise à compenser un manque d’amour vis-à-vis des modèles parentaux, une carence affective ou encore une déception amoureuse qui font que le sujet se concentre sur un objet dont il en tire affectivement un certain profit en se l’appropriant. Pour d’autres acheteurs compulsifs, ce comportement recèle une estime de soi qui est défaillante. « Ces personnes se nourrissent de l’achat, constate Chantal Mansour. Le travail clinique sera ainsi axé sur l’estime de soi et l’image qu’on se fait de soi, et non seulement sur le comportement compulsif. Parce qu’en fait, ce sont des déceptions et un manque d’amour qui ont mené à cette dynamique qui s’est installée à l’insu du sujet et de laquelle il ne s’en sort pas, d’autant qu’il a déplacé le problème sur un objet qu’il essaie de s’approprier. Nous constatons donc à ce niveau-là toute une problématique affective, relationnelle et émotionnelle. » Si mesdames et messieurs, vous avez des « bouffées » d’achats, ne vous inquiétez pas, votre comportement n’est pas maladif. « L’achat compulsif est généralisé dans le sens que le sujet souffre et ne peut pas s’en sortir, note Chantal Mansour. C’est un comportement qui devient pathologique d’autant qu’il interfère dans la vie professionnelle du sujet. Nous pouvons tous avoir une “bouffée” de shopping tout comme en alimentation. Dans ce cas, il s’agit d’un mécanisme défensif pour retrouver un certain équilibre suite à quelque chose qui nous a déstabilisés. Alors que dans sa forme pathologique, le comportement est excessif, répété et inutile, sans possibilité de se contrôler. Pour s’en sortir, les acheteurs viennent consulter. » Peut-on en guérir ? « Certainement, assure la psychothérapeute, mais comme dans toute thérapie, si le sujet n’est pas motivé et qu’il ne s’implique pas, il n’y a pas de résultats. » N. M.
« Rien qu’un peu de shopping pour se remonter le moral. » Telle est du moins la devise de Becky Bloomwood, jeune journaliste de 25 ans qui passe ses journées à faire les boutiques, où elle « éprouve un vif soulagement » saisie « d’un frisson d’excitation irrépressible ». Parce que pour elle, acheter rime avec « orgasme ». « C’est du plaisir à l’état...