Liberté, sexualité, société, selon Chawki Azouri

«En boîte, en voiture, sur le bord d’une route… Pour ce qui en est du plaisir sexuel, je peux vous dire que les jeunes se débrouillent comme ils peuvent, bien entendu en respectant les spécificités régionales », déclare le psychanalyste Chawki Azouri. « Ce qui se passe dans une voiture garée dans une région donnée n’est pas identique à ce qui se passe dans un véhicule stationné dans une autre zone. C’est l’ordre social qui intervient, exige un certain comportement et impose une certaine limite aux dépassements de ce comportement, sous peine de sanctions infligées par la police des mœurs, par exemple. La sévérité de la sanction dépend de l’identité de la région où le dépassement est commis. En tout état de cause, le phénomène Haïfa Wehbé est une manifestation typiquement orientale et libanaise. Les femmes n’ont aucun problème à s’exhiber à la télé chez nous. Sur le plan de la consommation, les choses ne se passent pas au même plan ici ou là-bas, le Liban étant un pays mixte et ne pouvant pas adopter une législation passant outre son identité orientale », ajoute-t-il. Chawki Azouri explique : « Aux côtés de ses particularités, le Liban est un microcosme de ce qui se passe sur le plan universel. En psychanalyse, ce qui distingue l’être humain c’est qu’il désire différemment d’un autre être humain. Or, nous vivons une vague mondiale de rabattement du désir sur la consommation et le besoin. On met en place des agents qui jouent sur le désir sexuel pour amener le consommateur à acheter le produit vanté par telle ou telle belle femme, selon les critères de l’époque, Haïfa Wehbé étant au Liban depuis quelques années le critère maximum… Le sujet parlant est donc ravalé au niveau du besoin », souligne le psychanalyste. « Si on se permet sur le plan de la littérature, du cinéma, de la télé, de donner des choses à voir qui sont souvent très libres au niveau de la représentation extérieure sexuelle, il doit y avoir une possibilité pour les jeunes de pouvoir décharger ce surcroît d’excitation. Au Liban il n’y a pas d’exutoires légitimés et légalisés. Généralement, il y a trois exutoires envisageables : la relation sexuelle en tant que telle, la sublimation et la formation réactionnelle. Les jeunes se débrouillent là où ils peuvent, au sein d’une région-classe-communauté, pour avoir des liens physiques, courant le risque d’être pris par la police des mœurs. Mais le fait de braver l’interdit accroît l’excitation », note-t-il.  « Pour les autres, il reste la sublimation et la formation réactionnelle. Cette dernière consiste à adopter des comportements mis en valeur par le milieu social et qui s’opposent à nos instincts, pour combattre nos pulsions. Par exemple l’agressivité est interdite. En conséquent, les êtres agressifs se dirigent vers l’humanitaire et mettent en exergue les valeurs louables pour la société de la générosité et de l’altruisme. La sublimation est plus répandue. Ainsi, à titre d’exemple, la recherche de la vérité que revendique le journaliste ou l’analyste permet de sublimer le sentiment voyeuriste qui existe nettement à l’âge de 3, 4 et 5 ans », estime-t-il. Pour Chawki Azouri, liberté sexuelle n’est pas synonyme de liberté tout court. « Au fond, ce n’est pas le sexe qui est libérateur, considère-t-il. Le sujet n’est pas libre en se libérant sexuellement. Dans le cas d’une faible intensité de l’activité sexuelle comme dans celui d’une activité sexuelle effrénée, ou que ce soit dans l’expression sociale de totale tolérance ou de répression totale, ce n’est pas un indicateur de libération du sujet en tant que sujet. Si on se soumet, on aura la formation réactionnelle, c’est-à-dire on se soumet moyennant un comportement emprunté aux valeurs sociales. Si on se révolte, on se contente de faire l’inverse. Dans les deux cas, ça ne veut pas dire qu’on est plus libre. L’analyste peut vous dire que ce qui indique la liberté d’un sujet, c’est qu’il réalise que ce n’est pas parce qu’il s’est rebellé ou soumis qu’il a trouvé son propre chemin. Celui-ci peut résulter de la soumission, de la révolte ou d’un chemin tiers. » M. H.