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Actualités - CHRONOLOGIE

Vitrine des sultans mamelouks et véritable musée vivant « Tripoli à travers les âges », de Nina Jidéjian, aux éditions Aleph

Si le Liban a une âme, elle se niche dans les lieux de mémoire où les ruines magnifiées, les monuments à la gloire du passé, les places fortifiées, les réminiscences de batailles et les vestiges enfouis tricotent le roman national. Après Byblos, Tyr, Sidon et Beyrouth, Nina Jidéjian complète la série des cités anciennes côtières par « Tarâbulus », l’unique ville dépositaire des trésors de l’architecture mamelouk au Liban. En sept chapitres étalés sur plus de 200 pages illustrées par les très belles photographies de Joumana Jamhouri, l’auteur nous propose une balade dans l’histoire, à travers les ruelles médiévales où grouille toujours une foule affairée qui rappelle étonnamment la cité du XIVe siècle décrite par Abou’l Abbas al-Qalqachandi. C’est dans cette continuité entre passé et présent que réside le charme de Tripoli, dont le nom vient du grec « Tripolis » ( trois -cités ), et ce en raison de sa division en trois secteurs occupés distinctement par les commerçants de Tyr, de Sidon et d’Aradus qui l’ont fondée et structuré son territoire pour les siècles à venir. En effet, aujourd’hui encore, la ville maintient cette configuration par la région du port, appelée al-Mina, et les deux quartiers intérieurs, al-Qubba et Abou Samra, séparés par le fleuve Abou Ali Sur la base d’une documentation importante, Nina Jidéjian raconte Tripoli, à travers les âges paru aux éditions Aleph. Occupée successivement par les Perses, les Grecs, les Romains, les Byzantins et les Arabes, devenue capitale du comté franc à l’époque des croisades, la ville a connu la domination des Mamelouks, « sultans esclaves d’Égypte », puis celle des Ottomans. Au XIXe siècle, son port devint l’un des plus prospères de ceux que l’on appelait « les Échelles du Levant » et fut tout naturellement choisi comme escale par la compagnie des Messageries maritimes. « En raison de l’enfouissement de l’ancien site sous la nouvelle ville », Tripoli n’a pas pu dévoiler ses dessous gréco-romains. Les seules connaissances de la cité antique sont fondées sur l’étude des objets exhumés au début du XXe siècle par des diplomates étrangers et des archéologues amateurs, et les fouilles menées dans le secteur d’al-Mina en 1967 par la Direction générale des antiquités. Ces opérations archéologiques ont permis de mettre au jour des sarcophages anthropoïdes en marbre, des fragments de statues et des figurines en terre cuite représentant des Tripolitaines, des têtes en bronze du dieu soleil Apollon, mais surtout des poids en plomb portant des inscriptions phéniciennes et des monnaies. Utilisées pour les transactions commerciales, celles-ci montrent le relief d’un dessin représentant les casques des Dioscures, les « Divins gémeaux » (Castor et Pollux), tutélaires de Tripoli, apparus tenant chacun une grappe de raisin. Car selon l’histoire naturelle de Pline l’Ancien, le vin était un élément important de l’économie de la cité. L’on sait également, d’après une inscription datée de l’an 268, découverte à Laodicea ad mare (Lattaquié), que des « concours internationaux » ont été disputés au IIIe siècle de notre ère dans le gymnase de Tripoli construit par Hérode le Grand. De son passé croisé, Tripoli ne conserve que quelques vestiges, dont l’imposante citadelle Saint-Gilles, car lorsqu’elle tombe, au XIIIe siècle, aux mains des sultans mamelouks, la ville côtière (al-Mina actuellement) et les quartiers intérieurs sont détruits puis rebâtis pour devenir un des chefs-lieux du nouvel empire, le principal port de la Syrie et la vitrine de l’architecture mamelouke au Liban. Nina Jidéjian brosse un magnifique tableau des souks qui conservent, en partie, jusqu’à aujourd’hui, leur vocation originelle spécialisée, des khans, des hammams, des mosquées et des madrasas où fut enseignée la religion musulmane. L’illustration d’une superbe reliure en cuir rehaussée d’or du Coran offert par l’émir Aytmish al-Bajasi à une madrasa de Tripoli au XIVe siècle et se trouvant aujourd’hui au Walters Art Museum Baltimore atteste du rôle joué par le monarchisme médiéval dans le développement culturel de la ville. Se référant, d’autre part, aux décrets promulgués durant les règnes des sultans, Nina Jidéjian relève des détails pittoresques sur la vie des gouverneurs qui convoyaient des bateaux transportant de la neige en Égypte ! Sur l’activité commerciale principalement centrée sur la manufacture de la soie, du savon et la production du carbonate de potassium. Elle relate les exactions commises par les administrateurs et, pour ne rien changer à l’actualité, aborde le chapitre des Assassins (Hashashins) qui lançaient leurs expéditions à partir de leurs retraites fortifiées dans les montagnes au nord de Tripoli. En 1516 commence l’occupation ottomane. Les Turcs se posent en bâtisseurs. Tripoli, qui restera une capitale régionale jusqu’à la fin du XIXe siècle, s’agrandit de tous côtés. De nouvelles mosquées et des khans sont construits, une confrérie des Derviches tourneurs s’établit dans une « Taqiyah » sur les rives du fleuve Abou Ali, des industries locales se développent et la ville, plaque tournante d’un commerce florissant, prend une telle importance qu’un consul français est désigné pour la cité. Glissant au passage de l’histoire les faits divers qui font la petite histoire, l’auteur rapporte qu’« en échange des facilités pour accélérer les opérations commerciales, d’importantes sommes d’argent étaient versées par les diplomates étrangers aux fonctionnaires » et que des affrontements entre différents clans ont souvent lieu dans la ville. Rien n’a changé depuis. Le temps semble s’être arrêté dans cette pittoresque cité médiévale, véritable musée vivant… à (re)visiter absolument. May MAKAREM
Si le Liban a une âme, elle se niche dans les lieux de mémoire où les ruines magnifiées, les monuments à la gloire du passé, les places fortifiées, les réminiscences de batailles et les vestiges enfouis tricotent le roman national. Après Byblos, Tyr, Sidon et Beyrouth, Nina Jidéjian complète la série des cités anciennes côtières par « Tarâbulus », l’unique ville dépositaire...