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Actualités - REPORTAGE

L’informatisation exige réformes et transparence, deux antidotes à la corruption et à la bureaucratie abusive L’avenir d’une administration intrinsèquement bureaucrate face aux exigences de l’« egovernment » Lélia Mezher

Les méandres de l’administration, tout le monde connaît. Les bureaux sales, les dossiers empilés à la hâte sur un sol d’une propreté douteuse, les pseudofiles d’attente qu’un citoyen moins ordinaire que les autres est autorisé à ignorer : tous ces éléments sont les ingrédients quotidiens de l’aventure du Libanais dans la jungle de l’administration. Nombreux sont ceux qui ignorent, en revanche, qu’un ministère, dont la tâche est précisément de pallier à ces aberrations bureaucratiques, a été mis sur pied. Le ministère d’État pour le Développement administratif a pour objectif principal de remanier l’administration dans le fond comme dans la forme afin de la rendre plus humaine, moins agressive et surtout moins opaque. Une mission ardue, d’autant qu’aucun budget n’est consacré à ce ministère qui se contente d’essayer de mener à bien ses projets par le biais de donations et d’emprunts. Comment réformer en profondeur sans faire perdre à l’administration ses caractéristiques de service public ? Comment réussir cette transition sans que les fonctionnaires ne se sentent menacés par ce désir de progrès ? Qu’est-ce que l’« egovernment » ? Comment le définir ? Où se situe le Liban lorsqu’il s’agit d’informatisation de l’administration ? Quid de l’accès à l’information qui constitue par ailleurs un des droits du citoyen dans les pays développés ? Lorsqu’il est question d’egovernment, il est normal de penser immédiatement à Internet. Bien sûr Internet joue dans ce cadre un rôle de premier plan. Mais Internet et la mise en réseau des données ce n’est pas tout, ou tout au moins cela ne constitue que la première étape, car l’informatisation est un premier pas nécessaire, vital, pour mettre en route l’administration de demain. Puis, dans une deuxième étape, Internet prend le relais pour offrir alors au citoyen un service qui aura d’ores et déjà été pensé et travaillé en back-office par l’administration elle-même, afin de l’adapter aux besoins du cybercitoyen. Non, tout cela ne relève pas de l’utopie, et ce grand chantier a déjà été amorcé au Liban. Au Sérail, où il loge désormais pour les raisons qu’on connaît, le ministre d’État pour le Développement administratif Jean Oghassapian accueille la presse avec un sourire las. Il a insisté pour être accompagné de deux techniciens informaticiens qui font partie de son équipe : Tania Zaroubi et Najib Korban, tous deux directeurs de projet senior au sein de l’unité technique de coopération du ministère d’État pour le Développement administratif. Qu’est-ce que l’egovernment ? Najib Korban s’empresse de répondre : « Idéalement, le gouvernement électronique, ou egovernment, comprend quatre étapes nécessaires. D’abord, il garantit au citoyen, en premier lieu, l’accès à l’information. En une deuxième étape, il assure ce qu’on appelle “enhanced access to information” ou l’accès amélioré à l’information. Ensuite, la troisième étape permet au citoyen d’interagir avec les informations qui lui sont présentées en ligne. Enfin, le top du top, c’est de permettre au citoyen d’achever en ligne toute la formalité  administrative dont il a besoin, y compris la transaction. » Rêve et réalité À terme donc, le citoyen libanais peut espérer régler ses impôts en ligne en payant par carte de crédit. Le rêve ! Mais la réalité reste que le Liban se situe aujourd’hui à mi-chemin entre la première et la deuxième étape, c’est-à-dire entre l’accès à l’information en ligne et l’accès « amélioré ». Ce qui n’est en soi pas si mal. L’époque où l’administration libanaise comprenait des chemins tortueux n’est certes pas encore révolue, mais le progrès est là, bien palpable. La preuve ? Un site Internet www. Informs.gov.lb a été mis en place par le ministère d’État pour le développement administratif. Des dizaines de formalités y sont recensées, avec, pour chacune, la liste des documents nécessaires qu’il convient de présenter à l’administration compétente. C’est là un pas important, et tous ceux qui auront un jour essayé d’obtenir un permis de construire comprendront l’importance de ce site Internet. Responsable au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG) Lebanese Transparency Association (LTA), Khalil Gebara se souvient de toutes les élucubrations auxquelles il a fallu se livrer afin de pouvoir publier un livret exposant tous les documents nécessaires pour l’obtention d’un permis de construire. Il était quasiment impossible d’obtenir auprès de l’administration une liste définitive énumérant les documents vraiment nécessaires pour mener à bien cette formalité. Aujourd’hui, un net progrès est à souligner, et une hotline existe à ce propos, de même qu’un helpdesk, au service des citoyens qui auraient été perdus par l’opacité de la bureaucratie. Tout un travail d’infrastructure, de back-office, a donc été nécessaire pour parvenir à exposer ces listes de documents à fournir pour chaque formalité. « Même lorsqu’il n’est pas encore question, dans certains ministères, de mettre des informations en ligne, le travail effectué en back-office est indispensable. Informatiser les fichiers prend beaucoup de travail », indique M. Korban. Mais il ne s’agit pas seulement de cela : des réformes administratives sont nécessaires pour préparer l’administration à la mise en réseau en interne, puis au défi d’Internet. Est-il nécessaire de le souligner ? Ce travail en amont permet indirectement de lutter contre la corruption et permet aussi de favoriser la transparence du service public qu’est l’administration. « Au début, nous avons rencontré beaucoup de résistance de la part des fonctionnaires, mais aujourd’hui, même les fonctionnaires âgés désirent apprendre à utiliser les outils informatiques car cela leur permet de rester compétitifs », souligne Tania Zaroubi. Elle ajoute qu’un premier plan directeur a été mis en place en 2002, mais qu’ « aujourd’hui, de nouvelles technologies ont fait surface et il devient impératif de revoir ce plan directeur. Un nouveau document est donc prévu pour 2007, de nouvelles idées pour une nouvelle stratégie, qui puise ses forces auprès de toutes les parties concernées au sein de l’administration, mais aussi dans le secteur privé ». Centralisation et protection du citoyen « L’idéal pour nous est de parvenir à une centralisation des données concernant chaque citoyen », affirme à son tour M. Korban. Mais cela ne menacera-t-il pas, à terme, la vie privée du citoyen ? Dans les pays occidentaux où la culture des moukhabarat n’égale en rien celle qui prévaut au Moyen-Orient, une levée de boucliers a accueilli de prime abord l’informatisation et la centralisation des données. En France, par exemple, la révélation dans la presse, en 1974, du projet Safari (interconnecter l’ensemble des fichiers administratifs) a ému l’opinion publique et provoqué l’institution par le gouvernement d’une commission auprès du garde des Sceaux. Celle-ci devait proposer des mesures tendant à garantir que le développement de l’informatique dans les secteurs public, semi-public et privé, se réalisera dans le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques (Cf. ci-dessous). Le ministre Oghassapian intervient pour clarifier ce point. Il tient à préciser que le projet à long terme du ministère est de mettre en place une « carte intelligente » qui puisse contenir toutes les informations concernant le citoyen. Chaque citoyen disposera en quelque sorte d’une carte d’identité numérique qu’il utilisera dans différentes circonstances. Cette carte, utilisée par le corps médical, permettra au médecin traitant d’avoir accès à l’historique médical de son patient, « sans plus ». « Le médecin ne pourra pas avoir accès à l’état civil de son patient, par exemple, car le lecteur de carte à puce dont il dispose ne lui permettra pas cela », souligne Jean Oghassapian. « Il ne faut pas perdre de vue le but de cette grande réforme administrative. Il s’agit de permettre une gestion maximale de toutes les ressources de l’État pour servir au mieux les citoyens. Ce chantier a aussi pour but d’endiguer la corruption et de limiter le gaspillage des ressources, ajoute M. Oghassapian. Le Liban a souvent recours à des experts étrangers. Lorsqu’une équipe est venue de Malaisie afin d’évaluer l’administration, elle a d’emblée constaté que le service public au Liban était doté d’une infrastructure forte. Là n’est pas donc le problème. Le problème, c’est que très peu de techniciens sont formés à l’usage des nouvelles technologies, c’est pourquoi des sessions de formation sont de plus en plus dispensées par le ministère en collaboration avec des experts étrangers », explique le ministre. À terme, M. Oghassapian souhaite qu’un numéro unique soit attribué au citoyen afin que les différents services de l’administration puissent s’échanger les formalités ou les documents qui auront déjà été présentés par le citoyen, « afin que ce dernier ne présente pas plusieurs fois, à plusieurs administrations, le même document ». Gain de temps pour le service public et pour l’usager, mais aussi gain de place pour l’administration elle-même, puisqu’en recourant à l’informatique, le volume de papier utilisé s’en trouve automatiquement réduit. Un budget absent… Toutefois, un obstacle de taille barre actuellement la route aux projets ambitieux du ministère : l’absence de financement par le gouvernement. En effet, ce ministère d’État ne survit que grâce aux emprunts et autres donations. « Qui donne ordonne », rappelle à cet égard Jean Oghassapian. Il explique que lorsqu’un pays décide d’octroyer des fonds à son ministère, ce même pays précise aussi la manière dont les fonds devront être utilisés. Cela rend la tâche de son équipe beaucoup plus difficile car de nombreux projets voient ainsi le jour en parallèle sans qu’aucun puisse être mené à bien de manière naturelle et aisée. De plus, la crise politique n’est pas de nature à favoriser le travail du ministère. En effet « 30 millions de dollars ont été débloqués par le Fonds arabe pour le développement économique. Mais nous attendons toujours l’aval du Parlement pour pouvoir profiter de ces fonds… », souligne M. Oghassapian. « Nous avons de nombreux projets en tête, comme par exemple mettre en place ce qu’on appelle des “community centers” dans les centres commerciaux, les lieux publics. Ces bornes seront au service du citoyen, il pourra, par leur biais, effectuer des formalités administratives et être en contact avec l’administration. Un fonctionnaire sera affecté à chaque borne afin de venir en aide aux citoyens qui auront du mal à manipuler la technologie. Il est important de ne pas se cantonner à Internet, car 70 % des Libanais n’y ont pas encore accès », rappelle le ministre. Tania Zaroubi enchaîne : « Le secteur public collabore beaucoup avec nous. En tant qu’usagers et citoyens, les membres du secteur privé peuvent nous informer de leurs besoins et de la manière dont ils perçoivent les services fournis par l’Administration. » Pour Najib Korban, « il ne suffit pas d’avoir la capacité de mener à bien des projets de ce type, il faut aussi et surtout en être convaincu ».
Les méandres de l’administration, tout le monde connaît. Les bureaux sales, les dossiers empilés à la hâte sur un sol d’une propreté douteuse, les pseudofiles d’attente qu’un citoyen moins ordinaire que les autres est autorisé à ignorer : tous ces éléments sont les ingrédients quotidiens de l’aventure du Libanais dans la jungle de l’administration. Nombreux...