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Actualités - CHRONOLOGIE

Répondant à l’Américain Samuel Huntington qui a prédit une confrontation entre islam et Occident Courbage et Todd annoncent « Le rendez-vous des civilisations », aux éditions du Seuil

Contrairement au « Choc des civilisations » et à l’inéluctable confrontation entre l’islam et l’Occident prédit par l’Américain Samuel Huntington, le démographe Youssef Courbage et l’historien Emmanuel Todd révèlent, dans « Le rendez-vous des civilisations », paru aux éditions du Seuil, qu’un puissant mouvement de convergences se profile à présent à l’échelle planétaire. Le monde musulman n’échappe pas à la règle. Du Maroc à l’Indonésie, de la Bosnie à l’Arabie saoudite, sa démographie en témoigne : hausse du niveau d’alphabétisation des hommes et des femmes, baisse de la fécondité, érosion de l’endogamie… Des bouleversements qui sont à la fois le signe et le levier d’une mutation en profondeur des structures familiales, des rapports d’autorité, des références idéologiques… Enfin un livre rafraîchissant ! Rempli de chiffres, d’indices de fécondité, de taux d’alphabétisation, de proportions d’urbains... Et pourtant rafraîchissant, voire même exaltant, par l’optimisme de ses conclusions. Les deux auteurs Youssef Courbage (libano-français) et Emmanuel Todd (franco-russe), tous deux directeurs de recherche à l’Institut parisien des études démographiques (INED), s’en prennent à la thèse de Samuel Huntington qui prévoyait, bien avant le 11 septembre, l’affrontement inéluctable entre islam et Occident, thèse ayant probablement donné quelques idées de scénario « grandiose » à un certain Ben Laden. Rapprochant les résultats de leurs travaux en matière démographique (pour Courbage), d’histoire et d’anthropologie (pour Todd), il a semblé leur apparaître un monde en devenir bien différent de celui du Choc des civilisations, donnant aussi pour titre à leur ouvrage : Le rendez-vous des civilisations. Et ce rendez-vous passerait inéluctablement par les effets mécaniques de la démographie. Les épigones de Marx se trompaient donc du tout au tout quand ils voyaient l’économie diriger la marche des sociétés. Pour sa part, et ne découvrant que vertu à une population limitant sa progéniture, Malthus avait en partie raison. En partie seulement, car nos auteurs nous démontrent que les politiques malthusiennes – distribution à l’envi de condoms et autres pilules contraceptives – prônées depuis les années soixante pour les pays du tiers-monde, ont toutes échoué. Ce n’est que la scolarisation, plus particulièrement l’alphabétisation des femmes – premières responsables du destin de leur ventres –, mais aussi celle des hommes, qui peut mener, selon le jargon des démographes, à la « transition démographique », c’est-à-dire à une forte baisse de la fécondité d’une population. L’Europe a connu tout au long du XVIIIe siècle, du XIXe et une partie du XXe cette transition, alors que les pays d’islam ont réalisé une performance similaire en moins de 30 ans. Ainsi en est-il pour les familles du monde arabe qui ont su diviser leurs progénitures par deux entre 1975 et 2005, passant d’une moyenne de 7,5 enfants par femme à 3,6. Mais attention, disent les deux chercheurs ! La phase de transition démographique est loin de représenter le cours d’un long fleuve tranquille. C’est au contraire le passage obligé par une zone de grandes turbulences. Pour comprendre ce paradoxe, reprenons la démonstration des auteurs. Par la statistique, on peut observer que la fécondité d’une société ne chute véritablement que lorsque la majorité de ses membres est alphabétisée. Comme sur une énorme balance à deux plateaux, la transition démographique démarre dès que le plateau contenant ceux qui savent lire, écrire et compter pèse plus lourd que celui des analphabètes. Mais alors, où est le problème ? N’est-ce pas pain béni qu’une société parvienne enfin à se développer culturellement et à contrôler son potentiel de procréation pour offrir une meilleure éducation à sa progéniture ? Le hic, c’est que, nous disent Courbage et Todd, parvenant à un seuil d’alphabétisation majoritaire, la collectivité tombe alors sous les fourches caudines de la loi de Stone, du nom de l’historien britannique qui, analysant les causes de la révolution puritaine de Cromwell, découvrit que les Anglais n’ont osé faire tomber la tête de Charles Ier en 1649 qu’après avoir atteint ce seuil. Selon eux, le progrès culturel déstabiliserait les populations en bousculant les traditions et en désorientant une jeunesse qui se crispe en se découvrant mieux formée que ses parents. Cette rupture d’autorité serait, selon les chercheurs de l’INED, à la base des révolutions française, russe et chinoise, ainsi qu’un des moteurs (non encore suffisamment étudié) de l’avènement du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne. Plus proche de nous, la loi de Stone s’appliquerait au Liban de 1975, à l’Iran de Khomeyni, à la guerre civile algérienne des années 1990 et à tous les soubresauts que connaît aujourd’hui le Proche-Orient. Nos auteurs ne craignent pas d’invoquer également les travaux de Durkheim sur le suicide pour suggérer que la vague kamikaze sévissant actuellement au nom de la religion découlerait de cette rupture d’autorité, et d’avancer « qu’il n’est donc nullement nécessaire, pour expliquer les violences qui agitent aujourd’hui le monde musulman, de spéculer sur une essence particulière de l’islam ». Pour conclure « qu’enfin, nous pouvons échapper à la représentation sinistre d’une planète segmentée en civilisations fermées les unes sur les autres, constituée d’hommes rendus différents par leur religion ». On veut croire à ce monde apaisé d’après les « turbulences », même si, pour cela, on aurait pu souhaiter une mise en perspective historique plus fouillée de cette fameuse « loi de Stone ». On veut assurément y croire, si ce n’est pour nous, du moins pour nos enfants, car ceux-ci auront déjà suffisamment à faire en matière de réchauffement climatique et de saccage des ressources naturelles. Plus référencée est la seconde partie de l’ouvrage qui effectue un balayage systématique du couple alphabétisation/fécondité, partant du Sud saharien, faisant escale au Liban pour finir chez les Chinois musulmans. Et ce périple permet de remettre en cause bien d’idées et de supputations. Au passage : la chute vertigineuse de la fécondité iranienne contrecarrant ainsi les rêves de grandeur du président Ahmadinedjad souhaitant un Iran à 150 millions d’habitants ; ou le « suicide démographique » des Chinois et des Indiens en Malaisie. Pour revenir dans nos contrées : le désamorçage de la « bombe démographique » palestinienne, étant donné que les colons israéliens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est sont plus prolifiques que les Arabes. Aussi, le nivellement de la fécondité des communautés libanaises puisque le différentiel de procréation entre chrétiens et musulmans ne dépasserait plus les écarts de fécondité entre la France et la Grande-Bretagne. Enfin ! Oui enfin, une source autorisée – l’INED étant référence mondiale en matière d’études démographiques – donnant la répartition (2005) la plus probable des communautés au pays du Cèdre : 34 % de chrétiens – toutes communautés confondues –, 31,5 % de chiites, 29 % de sunnites, 5,5% de druzes. Un livre à lire sans retard, même si on n’aime pas trop les chiffres. Il fut encensé et parfois violemment critiqué par la presse occidentale, ce qui ne l’a pas empêché, selon le classement de l’hebdomadaire Le Point, de dépasser les ventes du dernier Harry Potter. En le refermant, on sent passer dans son cou un petit vent d’optimisme – ce qui est déjà pas mal par les temps qui courent – puis au moment de s’endormir, on réalise que les deux auteurs nous auront permis, tout au moins, de revisiter nombre d’idées reçues. Rafic BOUSTANI Démographe
Contrairement au « Choc des civilisations » et à l’inéluctable confrontation entre l’islam et l’Occident prédit par l’Américain Samuel Huntington, le démographe Youssef Courbage et l’historien Emmanuel Todd révèlent, dans « Le rendez-vous des civilisations », paru aux éditions du Seuil, qu’un puissant mouvement de convergences se profile à présent à...