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Actualités - OPINION

Évolution du Cèdre ?

« Si les Libanais s’entendent sur le mal, il se transforme en bien. S’ils se disputent sur le bien, il se transforme en mal. » Hamid FRANGIÉ La nature a horreur du vide. Les principaux décideurs libanais et ceux, nombreux, qui les suivent – quelles que soit leur appartenance, leur humeur, quel que soit leur niveau de santé mentale –, devraient apprendre parfois à s’aligner sur les bons penchants de la nature, à ne pas uniquement trouver un plaisir malsain dans ses vices et ses déviances. Le vide est annonciateur de chaos ; et le chaos, les Libanais l’ont déjà expérimenté. On peut même dire qu’une certaine intimité pernicieuse, morbide, s’est installée au sein de ce couple maudit constitué par les civils et le chaos durant le dernier demi-siècle. Et les Libanais, que cela soit clair, abhorrent le chaos. Leur appétit de vie devient de plus en plus vorace et communicatif, à force peut-être de côtoyer le pire, de se retrouver sans cesse au bord du gouffre. Ils l’ont d’ailleurs prouvé le 14 mars 2005, même si certains, surtout parmi les jeunes, ont peut-être regretté depuis d’avoir cédé à cette formidable pulsion de vie rouge et blanc, d’avoir tout simplement rêvé. Le Liban déteste aussi les extrêmes. Il ne peut tout simplement pas vivre avec. Il a toujours besoin – malgré les coups de folie sporadiques typiquement méditerranéens – d’un certain sens de l’équilibre, de la modération. La formule libanaise, plus de soixante ans plus tard, continue de l’exiger. Il est peut-être bon, dans ce cadre, de rappeler, à une semaine de l’échéance présidentielle, certaines vérités que l’on s’entête à vouloir abandonner aux fantômes du souvenir, mais qui ressurgissent toujours, invariablement. Le conflit, en terre libanaise, ne profite à personne, sauf à des acteurs extérieurs et jamais pour très longtemps. L’étranger qui trouve plaisir à nous envahir et nous occuper finit toujours par repartir un jour la queue entre les jambes. Quant aux acteurs internes, ils ressortent toujours affaiblis des clivages internes, d’une manière ou d’une autre : la fatalité libanaise, jusqu’à présent, commande que nous trouvions des accommodements parce que nous sommes contraints de vivre ensemble. Et nous sommes contraints, tant que la mauvaise volonté ne cède pas la place à l’optimisme, au positif, à une véritable décision mûre et réfléchie de vivre ensemble. Cela peut sembler très théorique. Il reste que ceux qui pourraient avoir en tête de recourir à la formation d’un second gouvernement ; ceux qui, dans les rangs d’une certaine opposition, font le tour des administrations pour menacer d’une escalade sur le terrain le 22 novembre s’il n’y a pas de président le 21 ; les fous qui fantasment sur une prise d’assaut du Sérail ou sur un putsch quelconque, doivent le savoir. La violence n’entraînera que la violence. Téhéran devrait bien le savoir, puisque son « protégé » local a déjà mis un pied, dimanche dernier, dans le réveil du conflit sunnito-chiite qui couve déjà sous la cendre. Le Liban a d’ailleurs horreur de tous ceux qui pourraient essayer de le conquérir par la force. Cela inclut forcément les velléités de ceux qui pourraient se laisser tenter de gouverner en treillis, que ce soit en uniforme ou avec la mentalité de l’uniforme, sans passer par les procédures et les usages constitutionnels, sans être mandatés par des civils. Que cela soit dit une fois pour toutes : l’armée « n’est une solution » que dans le contexte démocratique, et jamais dans le cadre des jeux de pouvoir, toujours sous les ordres des autorités légales. Sinon, elle devient une calamité, et les neuf dernières années ne nous l’ont que trop appris. Quant à la formule qui voudrait aujourd’hui que le 14 Mars puisse céder à la tentation d’élire un président de la République à la majorité absolue sans l’aval du patriarche maronite, elle ne serait que pure folie. Le nouveau président a besoin d’une couverture chrétienne solide que seul le patriarche peut lui assurer, en raison surtout de la faillite et de la dégénérescence du pouvoir temporel maronite. L’unilatéralisme, d’où qu’il provienne, produira des effets explosifs, il faut en être conscient. Et l’explosion aura bien lieu, rien ni personne ne pourra l’empêcher. La volonté peut parfois conduire certains à s’autodétruire par pur masochisme. Mais ce n’est pas un hasard si ce genre de cas est généralement isolé, traité et, en cas de récidive, interné. *** Près d’un millier de jours se sont écoulés depuis le 14 mars 2005. Durant ces mille et une nuits, qui n’ont pratiquement en rien été féeriques, l’intifada de l’indépendance a été malmenée par les régimes tyranniques, les partis totalitaires, les pratiques politiciennes, les intérêts personnels, l’usage de la violence symbolique et physique, ou encore l’obscénité du discours politique. L’idéal des révolutions reste le plus souvent confiné aux chansons patriotiques et sombre dans la dépravation la plus totale dès lors que le pouvoir s’en mêle, cela s’entend. Plusieurs des nombreux rêves effectués durant le printemps de Beyrouth ont été étouffés dans l’éphémère mouvement de foule, à commencer par la dynamique moderne, civique, démocratique qui aurait dû nécessairement suivre la « révolution ». Mais il reste que trois rêves ont été réalisés. D’abord, la souveraineté a été rétablie et les soldats syriens ont quitté le Liban. Ensuite, les bourreaux de naguère, qui, à la tête des services de renseignements, avaient fait du Liban un mini-1984, croupissent aujourd’hui en prison. Certains d’entre eux continuent même à jouir, et c’est un comble, du privilège de publier des communiqués en vantant partout leur vertu et leur innocence... Enfin, l’exigence de justice suit son cours, et le tribunal international a été formé, contre vents et marées. Il semble évident, à une semaine de l’échéance, qu’un consensus soit inévitable par défaut. Voudrait-on l’ignorer et transcender cette réalité qu’on ne le pourrait pas. Mais, encore une fois, le consensus ne saurait ouvrir la voie aux abus. La crise actuelle ne saurait ouvrir une fois de plus la voie à un compromis boiteux, à l’avènement d’un président grisâtre qui pourrait ramener le pays à la situation qui prévalait avant le 14 mars 2005. Il y a des acquis à respecter. Il y a des progressions à consolider. Il faut que la révolution fasse son évolution, qu’elle ne sombre pas dans la dévolution. Pour cela, il faut que le président élu soit nécessairement, quoi qu’il advienne, un souverainiste pur et dur, intransigeant sur les constantes, intraitable sur les grandes décisions. Le compromis ne peut porter que sur un candidat souverainiste, donc du 14 Mars, qui soit accepté par l’opposition. Un nouveau compromis boiteux, intolérable, ne ferait que reporter la crise de quelques mois, de quelques semaines, de quelques jours. Le pays continuerait de vivre dans un effroyable sursis et une précarité sécuritaire, sans jamais trouver le repos. Il ne faut pas oublier non plus qu’à quelques kilomètres d’ici, il y a un régime assassin solidement installé, qui continue de percevoir tous les signaux qu’il reçoit des chancelleries occidentales comme un permis renouvelé de tuer. Un régime qui, fort de sa couverture régionale et de sa logique binaire, ne reculera jamais devant rien pour rétablir son influence sur ce qu’il considère depuis toujours comme son bien et son droit. Un régime qui a du mal à comprendre que, depuis le printemps 2005, il doit cesser de pourrir la vie du Liban, et commencer à se préoccuper sérieusement de sa propre population, arrêter de détruire la démocratie des autres et en bâtir enfin une chez lui. Michel HAJJI GEORGIOU
« Si les Libanais s’entendent sur le mal, il se transforme en bien.
S’ils se disputent sur le bien, il se transforme en mal. »

Hamid FRANGIÉ

La nature a horreur du vide. Les principaux décideurs libanais et ceux, nombreux, qui les suivent – quelles que soit leur appartenance, leur humeur, quel que soit leur niveau de santé mentale –, devraient apprendre parfois à s’aligner...