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PRÉROGATIVES PRÉSIDENTIELLES Sélim Jreissati : Ce qui est perdu aujourd’hui n’est pas forcément récupérable demain

Membre du Conseil constitutionnel et constitutionnaliste chevronné, Sélim Jreissati explique, en se basant sur les textes, comment la situation actuelle a montré les limites des prérogatives du président de la République, mettant en relief le casse-tête constitutionnel et politique que le pays a dû affronter. On savait déjà que les prérogatives présidentielles avaient été réduites dans l’accord de Taëf, mais la situation créée par la démission des ministres chiites a montré les limites du rôle de la présidence Selon M. Jreissati, le président a été confronté, au cours de la dernière année de son mandat prorogé, à l’application d’un principe et d’un texte. Le principe est l’illégitimité d’un pouvoir non consensuel, et le texte est l’article 95 de la Constitution. Étant le garant de la Constitution et le seul responsable à prêter le serment constitutionnel, le président a été contraint de ne pas occulter ce principe et cet article, et il a considéré que le gouvernement actuel était en violation fondamentale du principe du consensus. Mais en adoptant cette attitude, il n’a pas trouvé dans la Constitution les moyens d’y remédier. Selon M. Jreissati, l’une des principales lacunes de la Constitution est dans cette absence de moyens donnés au président pour appliquer les principes et les articles constitutionnels. Le président Lahoud a donc créé un précédent en déclarant le gouvernement illégal et illégitime, se basant sur le fait qu’il exclut une communauté importante, laquelle, de surcroît, résume la Résistance. M. Jreissati rappelle le texte de l’alinéa j du préambule de la Constitution qui dit : « Aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredit le pacte de vie commune. » Mais une telle situation ne s’étant jamais présentée auparavant depuis Taëf, le président s’est retrouvé dans le rôle de cobaye. Il aurait pu occulter la question, mais il a choisi de la dénoncer et il a créé ainsi un précédent, très important dans le droit constitutionnel. Avec la démission des ministres chiites, le gouvernement actuel a aussi porté un coup aux prérogatives de la communauté chrétienne puisque les décrets ont été désormais publiés sans porter la signature du chef de l’État, consacrant ainsi une marginalisation dans les faits du poids des chrétiens au sein du pouvoir. D’autant, selon lui, que les chrétiens de la majorité n’ont pas réussi à créer un contre-pouvoir. Jreissati poursuit en affirmant que l’argument présenté par le gouvernement selon lequel la communauté chiite s’est retirée de son plein gré du gouvernement ne tient pas, car dans ce cas précis, le retrait est une sonnette d’alarme. Toutefois, après l’adoption de l’accord de Taëf, le président ne peut plus démettre le gouvernement. L’accord a ainsi montré ses limites et ses insuffisances. Pour expliquer l’attitude du chef de l’État, Jreissati précise que l’accord de Taëf s’est articulé autour d’un titre : la participation. À l’époque, dit-il, il s’agissait d’assurer la participation des musulmans à l’exercice du pouvoir. C’est pourquoi certaines prérogatives ont été retirées au président, le plaçant dans l’incapacité de remplir son rôle d’arbitre. Évoquant la requête portant sur l’opposition à la prorogation du mandat présidentiel présentée par des députés, Jreissati précise que cette requête a été publiée dans les journaux, mais elle n’a pas été présentée au Conseil constitutionnel... Jreissati relève que la prorogation du mandat présidentiel s’est faite par le biais d’une loi constitutionnelle. Il se demande pourquoi cette loi n’a pas été attaquée conformément aux règles constitutionnelles qui permettent d’attaquer ce type de loi devant le Conseil constitutionnel. La loi aurait pu être abrogée car elle aurait pu être considérée en contradiction avec la Constitution qui rejette les lois rédigées à l’avantage d’une personne. C’est pourquoi Jreissati estime qu’en fait, les députés voulaient encercler politiquement le président et non le démettre. Abordant la question du quorum à la séance d’élection présidentielle, Sélim Jreissati rappelle qu’avant Taëf, le nombre des députés était de 99, selon la règle 6 chrétiens contre 5 musulmans. La séance d’élection présidentielle s’est toujours déroulée en présence de deux tiers des députés pour donner aux musulmans la possibilité de participer à la genèse du pouvoir suprême de la République. À Taëf, il a été convenu de fixer le nombre des députés à 50% de chrétiens et 50% de musulmans. Or dans ces conditions, si les députés sunnites et chiites s’entendent sur un candidat, ils n’ont plus besoin que d’une voix chrétienne, celle du candidat, pour élire le président, même si tous les autres députés chrétiens y sont opposés. Même si aujourd’hui cela ne semble pas être le cas, qui pourrait garantir qu’il n’y aura pas, un jour, une réédition du sommet de Aramoun (entre sunnites et chiites) en 1978 ? Renoncer aujourd’hui au quorum des deux tiers pour la séance d’élection présidentielle contribue à marginaliser les chrétiens. Le constitutionnaliste a ensuite évoqué la résolution 1559 qui exige une élection présidentielle sans contrainte ou interférence, et il ajoute qu’en principe, on ne peut pas contrecarrer une résolution de l’ONU en arguant de la souveraineté nationale. Car, selon lui, celle-ci est le prolongement de la légitimité internationale. Sinon, on tombe dans un cas de figure similaire à la partie turque de Chypre dont la souveraineté n’est pas reconnue par la communauté internationale et reste donc sans valeur. Mais il a ajouté que lorsque la résolution internationale est de nature à mettre en danger un pays, on lui laisse du temps pour adapter sa situation. La 1559 parle donc d’une élection sans contrainte. Mais au Liban, le président était déjà en place et il ne peut être démis qu’en cas de haute trahison ou de violation de la Constitution. Elle s’applique donc pour la prochaine élection, d’ici au 24 novembre. Il s’agira d’élire un président sans contrainte et sans coup d’État, dans le respect de la Constitution. La majorité des deux tiers s’inscrit, selon lui, dans le respect de la Constitution. De toute façon, il affirme que c’est le Parlement qui a le pouvoir d’interpréter la Constitution, par le biais de l’adoption d’une loi constitutionnelle qui exige la majorité des deux tiers des voix des députés pour la première lecture et 75% des voix dans la seconde. Jreissati précise que les commissions parlementaires ont toujours interprété l’article 49 dans le sens du quorum des deux tiers, sans que l’Assemblée ne vote une loi constitutionnelle qui consacrerait dans les textes ce quorum. L’article 49 dispose expressément d’un quorum de vote, non de présence. Mais on peut en déduire qu’a fortiori, il exige un quorum de présence, car il ne peut y avoir de textes absurdes dans la Constitution. Pour Sélim Jreissati, si les chrétiens ont dû renoncer à une partie de leurs prérogatives, déjà réduites, ils l’ont fait pour des raisons politiques et dans un contexte déterminé. Mais le problème est le suivant : ce qu’on perd aujourd’hui, on n’est pas sûr de pouvoir le récupérer plus tard et il y a toujours le risque de créer un précédent...
Membre du Conseil constitutionnel et constitutionnaliste
chevronné, Sélim Jreissati explique, en se basant sur les textes, comment la situation actuelle a montré les limites des prérogatives du président de la République, mettant en relief le casse-tête constitutionnel et politique que le pays a dû affronter. On savait déjà que les prérogatives présidentielles avaient...