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Actualités - CHRONOLOGIE

Présidence, formation des gouvernements, élections, administration... une communauté dans la tourmente Marginalisation des chrétiens : intox ou réalité ? Scarlett HADDAD

Comme le fait remarquer un politicien, les chrétiens ont payé un double prix pour l’accord de Taëf. Ils ont d’abord eu une guerre entre eux, puis ils ont payé un prix politique avec la réduction de leur poids au sein du pouvoir. Depuis 1989, les chrétiens éprouvent un malaise qui se manifeste par le sentiment d’être écartés des grandes décisions. La question se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité à la faveur de l’échéance présidentielle, qui se joue dans des coulisses internationales et locales, où chaque partie semble avoir son mot à dire alors que ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de l’élection du président de la Chambre ou de la désignation du Premier ministre. S’il est certain que l’accord de Taëf a réduit les prérogatives des chrétiens, à travers notamment celles du chef de l’État, les années de tutelle syrienne n’ont certainement pas aidé les chrétiens à rétablir un équilibre ni à revenir en force au sein de l’État en raison, entre autres, de la neutralisation de leurs leaders traditionnels, soit par le biais de l’exil, soit par l’emprisonnement, soit encore par le contrôle qui était exercé sur un parti considéré comme l’épine dorsale des chrétiens. Mais après le départ des Syriens et le retour sur la scène politique des trois leaders traditionnels, la situation des chrétiens ne s’est pas beaucoup améliorée et leur marginalisation est devenue l’un des chevaux de bataille du général Michel Aoun, qui accuse le gouvernement de mener une politique systématique visant à affaiblir les chrétiens. Son attitude est-elle justifiée ? La longue enquête que nous avons menée montre certainement un affaiblissement des chrétiens, qui commence surtout avec le système électoral, lequel n’a pas encore été modifié. Il y a aussi la pratique de cette dernière année qui a annulé le rôle de la présidence ainsi que certains comportements de la part des chrétiens eux-mêmes qui ont contribué à réduire leur influence sur la scène politique. Mais parler d’une politique systématique n’est pas forcément justifié, et sur le plan du rapport numérique, au sein de l’administration, l’équilibre entre chrétiens et musulmans est toujours respecté... Pour le reste, c’est apparemment aux chrétiens de se reprendre et de s’imposer de nouveau sur la scène locale. S’il a mis un terme à la guerre, l’accord de Taëf a aussi établi un nouvel équilibre au sein des pouvoirs, enlevant une partie des pouvoirs présidentiels pour les donner au Conseil des ministres réuni. Il a aussi réduit le nombre des députés chrétiens pour aboutir à un Parlement dont les membres sont répartis à égalité entre chrétiens et musulmans. Dans la première mouture de l’accord, le nombre de députés était fixé à 108. Il est ensuite passé à 128 et les dix nouveaux députés chrétiens sur les vingt supplémentaires ont été répartis dans les régions où la population est majoritairement musulmane, comme le siège maronite de Tripoli, à titre d’exemple. Ce qui a contribué à affaiblir leur représentativité au sein de la communauté chrétienne, sous le grand titre de « l’intégration nationale ». Le ton a été ainsi donné et la tendance s’est confirmée à travers les différentes lois électorales qui ont régi toutes les élections législatives depuis 1992 jusqu’en 2005. Le découpage électoral a ainsi eu une influence considérable sur l’affaiblissement des chrétiens, puisque ceux-ci ont été placés sous la coupe des électeurs musulmans à Baabda, par exemple, mais aussi au Nord, au Sud et dans la Békaa. Le système électoral de 1992 De plus, selon des experts juridiques, le système électoral adopté depuis 1992 a favorisé les grandes listes et les grands électeurs à l’échelle nationale au détriment des forces chrétiennes d’influence plus réduite. D’abord, le délai de convocation des corps électoraux est passé de 60 jours à un minimum de 15, ce qui empêche le lancement de véritables campagnes électorales. Ensuite, le fait de procéder à des élections par étapes, étalées sur trois dimanches au moins, sous prétexte de manque de moyens techniques, était une façon de permettre des rattrapages au cas où, dans certaines circonscriptions, les résultats n’étaient pas conformes à l’attente du pouvoir en place et de son tuteur. Dans un tel système, qui n’a d’ailleurs pas été amendé, les chrétiens partaient donc défavorisés et les résultats des élections s’en ressentaient, ajoutant au malaise des chrétiens et à leur sentiment d’être mis à l’écart de la vie politique. À partir de là, tout le système a suivi le mouvement, et si la répartition à égalité entre chrétiens et musulmans a toujours été respectée au sein de l’administration, ou au moins au niveau des fonctions de première catégorie, les chrétiens nommés devaient obtenir l’approbation des forces au pouvoir, donc de la tutelle syrienne, mais aussi des forces musulmanes, car la tradition est restée la même après le départ des Syriens. Il faut signaler aussi que les chrétiens ont aussi perdu certaines fonctions importantes, sans pouvoir les récupérer, comme la Direction générale de la Sûreté générale et la Direction générale du ministère des Affaires étrangères. En contrepartie de celle-ci, les chrétiens ont obtenu la Direction générale du ministère du Tourisme. Ce qui donne une idée du déséquilibre dans les fonctions. Quant au directeur chrétien du ministère des Finances, il est marginalisé depuis deux ans, ne participant à aucune décision importante. C’est dire qu’il existe plusieurs moyens de neutraliser une fonctiontout en la conservant officiellement à une communauté déterminée... Quant à la direction de la garde présidentielle, elle est passée à un sunnite, jusqu’à l’arrestation du général Moustapha Hamdane, mais aujourd’hui, c’est un maronite qui occupe ce poste par intérim. Enfin, certaines fonctions bénéficiant directement ou non d’un contrôle chrétien n’ont pas été remplies. Par exemple, la présidence de la République dispose d’une structure large et complète, mais depuis la conclusion de l’accord de Taëf, de nombreux postes sont restés vacants. Signalons à ce sujet que le ministère de la Réforme administrative avait fait une étude détaillée sur cette question et il avait même établi un système de rotation dans les postes de première catégorie permettant de respecter les équilibres au plan numérique et dans les fonctions. Mais il n’a pas encore été appliqué. Le cas des FSI Récemment, le problème de la composition des forces de sécurité a été soulevé avec fracas à partir de Bkerké et il s’est avéré justifié puisque les FSI avaient effectivement mené une campagne d’enrôlement, et la plupart des nouvelles recrues appartenaient aux communautés musulmanes. Face au tollé qui a suivi cette campagne, le directeur général des FSI a lancé une nouvelle campagne de recrutement et 800 chrétiens ont été engagés dans les Forces de sécurité intérieure. Même si la majorité d’entre eux appartient à un même courant politique, sur le plan communautaire l’équilibre est rétabli. Et le général Achraf Rifi s’est rendu chez le patriarche Sfeir pour l’en informer. Ce qui pousse à croire que lorsque les forces politiques chrétiennes réagissent, le tir peut être rectifié, mais la tendance première est de ne pas tenir compte des chrétiens, à cause justement de leur marginalisation forcée pendant les longues années de tutelle syrienne. D’ailleurs, les chrétiens ont eu beau protester pendant des années contre l’adoption du décret des naturalisations, qui avait marqué un net déséquilibre en faveur des musulmans et qui avait aussi permis d’accorder la nationalité libanaise à près de 25 000 Palestiniens, mais en dépit de promesses faites sur ce plan, les chrétiens n’ont toujours pas réussi à faire adopter un second décret qui rééquilibrerait le chiffre des naturalisés. Pour le CPL, la marginalisation des chrétiens revêt aussi un nouvel aspect à travers ce qu’il considère comme la mainmise du Courant du futur sur tous les rouages de Beyrouth. Les députés de la capitale appartiennent presque totalement à ce courant, ainsi que les membres du conseil municipal et les moukhtars, alors que le poste de mohafez qui revient à un chrétien est controversé et vacant. Même s’il s’agit là essentiellement d’une démarche politique, elle est aussi à coloration confessionnelle et le CPL craint que cela ne devienne une habitude irréversible. Le CPL évoque aussi une marginalisation des chrétiens dans les services publics et les offices autonomes, ainsi qu’à l’AIB, Intra, la MEA et le port de Beyrouth. Mais il n’a pas été possible d’obtenir des précisions sur la question, la transparence, surtout sur des sujets aussi délicats, n’étant pas le fort des différentes administrations au Liban. De toutes ces données générales, une conclusion s’impose : les chrétiens ont certainement subi une politique de marginalisation, d’abord pour des raisons politiques pendant la période de tutelle, mais ensuite par habitude et aussi à cause de l’absence de réaction rapide de leur part. Rien n’est donc perdu et s’il est vrai que l’avenir du Liban est dans l’édification d’une citoyenneté libanaise, il est aussi sans doute vrai que, pour y arriver, il faut d’abord que toutes les composantes de la société se sentent à l’aise, respectées dans leurs droits et dans leurs devoirs...
Comme le fait remarquer un politicien, les chrétiens ont payé un double prix pour l’accord de Taëf. Ils ont d’abord eu une guerre entre eux, puis ils ont payé un prix politique avec la réduction de leur poids au sein du pouvoir. Depuis 1989, les chrétiens éprouvent un malaise qui se manifeste par le sentiment d’être écartés des grandes décisions. La question se pose...