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Actualités - OPINION

Élection présidentielle et conjoncture régionale I - Remous autour de la solution constitutionnelle Francis KARAM

Ceux qui ont assisté ces derniers temps à des interventions médiatisées ont écouté les intervenants brandir parfois des dispositions constitutionnelles pour étayer leurs hypothèses, et d’autres fois faire appel à la simple raison politique pour justifier leurs agissements. Ainsi, la Constitution est marginalisée quand justement elle est appelée à arbitrer un conflit entre les partenaires sociaux. Pourtant, la solution constitutionnelle reste la voie la plus régulière pour dénouer les crises politiques dans tous les pays démocratiques. Au Liban, l’accord de Taëf a rendu le régime libanais associatif et consensuel ; il est associatif en ce que la Constitution se résume en un pacte écrit entre les différentes communautés confessionnelles ; il est consensuel, en ce sens que les décisions doivent être prises en accord avec la plupart des forces communautaires, laïques ou religieuses, impliquées dans la vie politique. En conséquence, parler de majorité et de minorité ne reflète pas exactement l’esprit de la Constitution taéfiste pour les questions importantes. Par contre, siéger ensemble au sein d’une assemblée, ministérielle ou parlementaire, favoriserait la communication entre les différentes communautés chrétiennes et musulmanes, instaurerait la paix civile entre elles et ferait du Liban un exemple de convivialité et même un message de paix pour l’humanité entière, selon les souhaits du pape Jean-Paul II. Selon ce schéma idéaliste, la solution constitutionnelle pour l’élection présidentielle serait de passer par un compromis entre les forces politiques en présence qui porterait sur plusieurs éléments cumulatifs. En premier lieu, le choix du président de la République doit se faire en pensant déjà à la personnalité du chef du gouvernement avec lequel il va collaborer, et vice versa d’ailleurs ; les deux hommes étant appelés à cohabiter dans l’exercice du pouvoir durant plusieurs années, il est primordial qu’ils aient une concordance de vue sur les événements, sinon le risque d’une crise politique est grand en cas de divergence dans les opinions. En second lieu, la composition du futur gouvernement devrait respecter la représentation autant que possible des différentes forces politiques communautaires. Enfin, toute cette équipe au pouvoir devrait se réunir autour d’une déclaration ministérielle commune qui refléterait le programme politique et économique du gouvernement ainsi que les orientations de l’État dans la politique extérieure.  Au lieu de suivre la solution constitutionnelle, les ténors de la scène politique se sont livrés à des diatribes, insistant par exemple pour élire un président coûte que coûte de leur bord, même avec un quorum amoindri ou une majorité étriquée, alors que l’autre bord prétend élire un second président, ou désigner un second gouvernement, accusant l’autre partie de mener le pays à la discorde, voire à la partition. La troisième voie propose, quant à elle, que le président du Parlement fasse une sorte de présélection entre quatre candidats choisis par les principaux représentants des trois communautés sunnite, chiite et maronite. En réalité, toutes ces propositions ou idées sortent du cadre des règles constitutionnelles bien établies chez nous. Taëf ayant ôté au président de la République le pouvoir de renvoyer le gouvernement ou de dissoudre la Chambre des députés en cas de blocage des institutions, aucune autorité constitutionnelle n’est habilitée à débloquer la crise politique dans laquelle se débat le pays. Il faut souligner, à cette occasion, que si le président de la République a perdu effectivement le statut de chef du pouvoir exécutif à Taëf, le chef du gouvernement ne l’a pas remplacé pour autant dans cette fonction. Par conséquent, la crise politique est appelée à perdurer le temps que les causes externes et internes soient résolues ou écartées de la scène politique libanaise. II - Les causes externes de la crise et la politique régionale des axes Quelles sont les causes externes qui poussent inexorablement le Liban vers le gouffre ? Pour répondre valablement à cette question, il faut revenir à l’attaque terroriste perpétrée sur le territoire américain le 11 septembre 2001. En guise de représailles et selon le droit international naturel qui permet de poursuivre l’agresseur, les États-Unis envoyèrent dans la région une armada impressionnante dans le but d’attaquer les terroristes dans les pays où ils sont hébergés. Au départ, ce fut l’Afghanistan des talibans, lieu où Ben Laden avait semble-t-il commandité les opérations contre les Twin Towers. Sitôt le pays débarrassé des talibans et un gouvernement proaméricain mis en place, ce fut le tour de l’Irak d’être dans l’œil du cyclone. Le régime irakien était accusé de développer des armes chimiques, armes qu’il avait utilisées d’ailleurs contre ses concitoyens d’ethnies différentes, les Kurdes. Il avait aussi réprimé dans le sang un soulèvement chiite dans le sud du pays. En outre, les États-Unis, échaudés par les actes terroristes sur leur territoire, entendaient créer un Moyen-Orient démocratique, même s’il fallait passer par le chaos, constructif si l’on obtient en fin de compte une région pacifiée. Programme de longue haleine qui a l’avantage d’éloigner aussi longtemps que possible les forces hostiles du territoire américain en les occupant militairement ailleurs. Cependant, l’intervention militaire préconisée par les États-Unis en 2003 contre l’Irak avait divisé la communauté internationale. Tout le monde se souvient de l’intervention du ministre français Dominique de Villepin au Conseil de sécurité en faveur de la paix, plaidoyer ovationné par les membres du Conseil réunis au Palais de Verre. Néanmoins, cette brillante plaidoirie, toute humaniste qu’elle était, n’avait pu infléchir la détermination américaine qui a réussi à entraîner les Nations unies dans une intervention musclée. À cette époque, les gouvernants des pays arabes conservateurs et modérés, alliés traditionnels des États-Unis, avaient fait la sourde oreille aux appels des pacifistes, contents de se débarrasser d’un dictateur qui avait dix ans plus tôt envahi un des leurs, le Koweït. Seuls la Syrie et l’Iran se plaçaient dans le camp des opposants à toute intervention militaire contre l’Irak ; ces deux pays étaient des alliés traditionnels depuis la guerre irako-iranienne. Les partis politiques libanais avaient enfourché le cheval du pays avec lequel ils avaient noué des alliances ; de ce fait, la scène libanaise fut divisée entre pro et anti-intervention militaire. La guerre contre l’armée de Saddam Hussein fut gagnée en quelques jours ; les chiites et les Kurdes, principaux composants de la population irakienne et objet de massacres collectifs du régime baassiste, souhaitaient en leur for intérieur le renversement du régime. Les manifestations de joie que la télévision a retransmises de Baghdad montrant des Irakiens faisant basculer la statue de Saddam ne furent en fait qu’une période de rémission pour les habitants avant le grand cauchemar. En effet, les chiites prêtant allégeance à l’Iran pour des raisons religieuses, les sunnites essayant de reprendre le pouvoir dont ils avaient été privés par l’intervention onusienne, les Kurdes profitant du chaos pour renforcer l’autonomie du Kurdistan, la guerre civile ne tarda pas à s’installer dans les régions mixtes, avec pour cible privilégiée les militaires américains. Pour contrer ce morcellement, les différents gouvernements irakiens mis en place essayèrent de réunifier le pays autour d’une Constitution fédérale sans vraiment réussir. Pourrissement politique en Irak, opérations meurtrières entre les différentes ethnies locales impliquant des attentats contre les boys américains, une opinion publique américaine critique quant à la présence des marines en Irak, tels étaient les principaux titres qui s’affichaient sur les écrans des États-Unis. Devant cet enlisement militaire, le Sénat américain n’a trouvé mieux comme solution aux problèmes de l’Irak que d’adopter récemment une recommandation stipulant la partition de ce pays en trois entités distinctes, chiite, sunnite et kurde. Bien que cette initiative soit non contraignante pour le président Bush, et qu’elle ait été accueillie par son Administration avec réserves, il faut savoir qu’aux États-Unis, les recommandations votées par le Congrès prennent traditionnellement le statut de doctrines politiques auxquelles les différents gouvernants se référent un jour ou l’autre pour la conduite des affaires internationales. En bref, les mollahs iraniens pouvaient conclure que l’opération militaire internationale contre l’Irak leur a été bénéfique à plus d’un titre. En effet, débarrassé du dictateur irakien qui avait exténué leur pays dans une longue guerre, durant les années 80, au tout début de la création de la République islamique, avec sous leurs yeux l’armée américaine embourbée dans un guêpier et la perspective qui pointe déjà à l’horizon d’une entité chiite autonome à leur flanc ouest, il leur était loisible de nouer avec leurs coreligionnaires irakiens des alliances indissolubles. Surtout que, avec le sud irakien accessible, les territoires iranien et syrien communiqueraient entre eux sans obstacle, et à travers la Syrie, l’alliée stratégique par excellence, on arriverait au Liban, pays où la communauté chiite est importante. En conséquence, la nouvelle carte régionale des militaires redessinée pour la circonstance par les différents états-majors comprenait virtuellement une superficie territoriale continue, s’étendant de la frontière pakistanaise jusqu’à la Méditerranée, peuplée majoritairement de chiites. Un tel axe politique et militaire ne pouvait laisser indifférents les pays arabes qui voyaient surgir soudainement en plein milieu de leurs territoires une nation perse puissante, étrangère à l’arabisme, qui pourrait à la longue concurrencer, sinon balayer, tous les régimes de la région en place. Ce qui aide à justifier leurs craintes, c’est que l’Iran possède déjà des missiles de longue portée qui pourraient atteindre n’importe quel point des territoires arabes, israélien ou est-européen. De plus, ce pays développe une technologie nucléaire, et qui sait s’il ne posséderait pas d’autres technologies non moins destructrices comme les armes chimiques ou bactériologiques ? En d’autres termes, l’Iran prétendait au statut de superpuissance régionale, les chancelleries n’étaient plus loin de lui prêter quelques intentions impérialistes. Les monarchies pétrolières, à leur tête l’Arabie saoudite, ne pouvaient contrer cet axe que par une coalition comprenant l’Égypte et la Jordanie, en majorité de souche sunnite, rejointes aussitôt par les forces politiques syriennes opposantes, sous la houlette de l’ancien vice-président Abdel Halim Khaddam et des Frères musulmans. Les puissances occidentales, mises à contribution dans ce branle-bas régional par leurs alliés de toujours, se sont contentées jusqu’à présent de soumettre l’Iran et la Syrie à de fortes pressions diplomatiques et économiques, prenant prétexte du dossier nucléaire ; pressions qui n’ont pas l’air pour autant de dissuader l’Iran poursuivre son programme. Il faut reconnaître que la pénétration de l’influence iranienne dans la région s’est faite naturellement et pacifiquement au moyen du lien religieux. Par conséquent, une interférence étrangère contre cette attraction religieuse serait aléatoire, alors qu’une intervention militaire non justifiée par le droit international public ou non autorisée par les Nations unies, pourrait déboucher, en l’état actuel des alliances et des intérêts des puissances concernées, sur une guerre majeure. Francis KARAM Docteur en droit public Article paru le jeudi 8 novembre 2007
Ceux qui ont assisté ces derniers temps à des interventions médiatisées ont écouté les intervenants brandir parfois des dispositions constitutionnelles pour étayer leurs hypothèses, et d’autres fois faire appel à la simple raison politique pour justifier leurs agissements. Ainsi, la Constitution est marginalisée quand justement elle est appelée à arbitrer un conflit entre...