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Actualités - OPINION

Antoine Ghanem, un juste parmi les justes

L’histoire ne se fait pas seule. Elle a besoin d’hommes. Et pas n’importe lesquels. Elle a besoin d’hommes purs et intègres. De justes qui n’ont pas honte de crier la vérité au sein du vacarme et du désordre humain. Ainsi était Antoine Ghanem. Un homme juste qui tranchait parmi les justes. Parcourir sa vie, c’est lire un peu l’histoire du pays du Cèdre. Comprendre sa lutte et ses raisons d’être, c’est déchiffrer le parcours de son peuple et la résistance perpétuelle de ce peuple debout. À présent, il a rejoint ses compagnons de route. Il siège désormais avec eux et son fils spirituel, cheikh Pierre, auprès du Père qui est aux cieux. Croyant, Antoine Ghanem avait porté sa croix seul et en silence. Sans jamais perdre la foi. Sans jamais abdiquer ni baissé les bras. Pas une seule journée de repos. On ne l’avait jamais vu bouder. On ne l’avait jamais entendu dire du mal sur quelqu’un. Il avait modelé son chemin. Il avait vécu sa chrétienté... Il n’était pas de ceux qui parlaient beaucoup. Il était un homme d’action. Mais quand il parlait, il ne passait jamais inaperçu. Avocat pénaliste passionné et perfectionniste, il n’avait pas tardé à prendre la défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Il était seul à défendre les enfants de sa région, jugés à tort, devant les tribunaux militaires. Et il faut le dire, il l’avait fait gratuitement pour secourir des opprimés. Citoyen engagé dans sa société, il avait passé sa vie à servir Dieu, la famille et la patrie. Il s’était donné jusqu’au bout. Corps et âme. Et jusqu’au dernier instant. Il était l’exemple du self-made-man, de cet homme du peuple, qui avait traité la chose publique, devenu député pour « représenter le peuple et faire parvenir la cause au sein des institutions », comme il le disait. Il était un résistant qui avait vécu la guerre avec beaucoup de dignité. Prônant l’égalité parmi les hommes, il n’hésitait pas à réconcilier les gens ; mais surtout à concilier des intérêts, apparemment si contradictoires. Il était ancré dans la terre, qu’il n’avait jamais quittée, pour rester à Baabda et surtout demeurer dans sa très chère Aïn el-Remmaneh. Les deux derniers mois de sa vie, il connut l’exil, pour des raisons de sécurité. « Le Liban m’a manqué », justifiait-il devant ceux qui lui reprochaient d’être rentré plus tôt que prévu. L’occupation devenue le pain quotidien, il ne baissera jamais la tête et pour rien au monde n’aurait accepté de vendre son âme. Il marcha seul. Avec une poignée d’hommes, bons ô combien, défiant les iconoclastes. Pas par orgueil. Mais par fierté. Pour ne pas se trahir et trahir ses idées. On retiendra de lui sa constance et sa fidélité à ses principes, au parti phalangiste et son soutien à la lignée politique du président Amine Gemayel – en dépit des circonstances et de l’occupation. Ce regard pétillant et serein. Cette voix douce. Ce sourire paternel et chaleureux. Cette innocence incarnée. Une fois assis, il tenait la main à celui assis à ses côtés. Sa faculté d’écouter et de synthétiser était singulière. Je le revois encore récitant quelques vers de Charles Corm, qui lui rappelait son père, Toufic. Il avait la joie de vivre et ne supportait pas de manger seul ; il n’hésitait pas à inviter ses frères, ses fils, ses neveux, ses amis et même parfois les voisins. Lorsqu’il écoutait les nouvelles, il se concentrait, mais il avait besoin de la chaleur humaine et de la présence à ses côtés de sa femme, Lola, cette femme en noir qui vit avec beaucoup de dignité son deuil. Il faut le dire, il n’avait pas de conseiller politique. Il accomplissait donc ses recherches et ses lectures seul, et préparait ses discours minutieusement. Il ne portait pas sur lui les clefs de sa propre maison, et quand il arrivait au début de la soirée, il sonnait à la porte. Et la petite fête commençait. La maison revivait. Ayant pris de côté son fils unique Toufic et en présence de son neveu Marwan, durant son dernier voyage, il leur légua son testament. « Vas-tu aimer ton cousin comme j’ai aimé mes frères et comme ils m’ont aimé ? » Une famille unie, c’est bien toute sa fortune. Il savait qu’il était aimé chez lui, et il avait beaucoup aimé les siens. Toujours attentif et présent, ainsi était-il. Je me souviens de lui accourant au chevet de sa nièce malade et portant des sucreries dans les bras. Il avait justifié sa présence : « Ma fille, ton père est obligé d’être au travail. Mais je suis là pour toi. » Il en fera autant avec ses amis, les consolant dans leur chagrin. Il était « le premier à arriver, le dernier à quitter », comme le dit un camarade. Il ne craignait rien et, pourtant, il savait qu’il était en danger. Pendant son exil, une rumeur avait couru, selon laquelle il aurait succombé à des complications cardiaques. Son frère Raymond était paniqué parce qu’il savait que son grand cœur affaibli avait trop souffert en silence. Lorsqu’il entendit sa voix au bout du fil, soulagé, il lui dit : « Tony, que se passe-t-il ? Je suis très inquiet. » Et le grand frère, cette montagne libanaise, rit de bon cœur et dit : « C’est le défunt Antoine Ghanem qui est à l’appareil. » Je le revois à Saïfi, son deuxième domicile, le lundi, deux jours avant son assassinat, faisant la queue, comme tout le monde, et attendant son tour pour que le président Gemayel lui signe l’ouvrage dédié au grand cheikh Pierre ; il était souriant et plaisant. Comme d’habitude. Lorsque l’organisatrice s’avança pour lui frayer un chemin dans la foule, parce que son pied lui faisait encore mal à cause d’une entorse qui l’avait bloqué chez lui pendant plus d’un mois, il murmura discrètement : « Ce n’est pas grave. Merci. Le phalangiste est un homme discipliné. » Et de fait, il avait été, jusqu’à sa mort, un phalangiste digne, intègre et discipliné... Nay GHANEM Étudiante en quatrième année de droit, USJ
L’histoire ne se fait pas seule. Elle a besoin d’hommes. Et pas n’importe lesquels. Elle a besoin d’hommes purs et intègres. De justes qui n’ont pas honte de crier la vérité au sein du vacarme et du désordre humain. Ainsi était Antoine Ghanem. Un homme juste qui tranchait parmi les justes. Parcourir sa vie, c’est lire un peu l’histoire du pays du Cèdre. Comprendre sa lutte et...