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L’ère des milices est-elle révolue ? I - Des Marada aux mamelouks Amine ISSA

Dans ce texte, je tenterai d’établir comment et pourquoi le reflux du phénomène milicien au détriment ou au profit de l’armée s’est déroulé depuis l’indépendance à nos jours. Dans un État-nation moderne, souverain, les milices apparaissent au moment où les citoyens ont le sentiment que l’État n’est plus capable de les défendre contre une menace extérieure ou intérieure. Ce sentiment est décuplé quand le niveau d’appartenance à cet État est faible. Cette définition s’applique au Liban. Notre pays est une nation jeune. Elle fut constituée à partir d’un noyau dur, la montagne, qui connut diverses formes d’autonomie au cours de son histoire Le Liban ne connut ses frontières actuelles qu’en 1920, quand on y adjoignit d’un trait de crayon des régions et des populations qui souvent ne demandaient rien ou autre chose. Depuis, les tiraillements entre les diverses communautés à propos du système politique et de la politique étrangère n’ont eu de cesse de miner le sentiment d’appartenance au Liban. Le PSNS, formé de chrétiens et de musulmans, tenta par deux fois (1949 et 1961) de renverser l’édifice au nom du Croissant fertile. En 1961, le PSNS échoua car l’armée qu’il pensait, à tort, avoir noyautée, resta fidèle au gouvernement. En 1958, le nassérisme triomphant comptait parmi ses partisans beaucoup de chrétiens ainsi que le patriarche Meouchy. Celui-ci s’opposait au président Chamoun qui tournait le dos à Nasser pour s’allier à ses ennemis en adhérant à la doctrine Eisenhower. Les prétentions du président de renouveler son mandat mirent le feu aux poudres et le Liban s’embrasa. Des milices, marquées par leurs identités communautaires, malgré la présence de chrétiens dans le camp opposé au président Chamoun, s’emparèrent de la rue et la crise ne se dénoua que lorsque l’armée se chargea du maintien de l’ordre. En 1967, se produisit un événement majeur. Alors que les armées arabes se faisaient laminer par les troupes israéliennes, l’OLP réussissait une opération spectaculaire, au-delà des frontières israéliennes. Ce succès de la guérilla acheva de discréditer les armées nationales et fit des émules. Les organisations palestiniennes se multiplièrent. Quand elles se replièrent sur le Liban, chassées de Jordanie par le roi Hussein qui s’opposa violemment à leurs tentatives de contrôler le royaume hachémite, elles recrutèrent des Libanais à tour de bras. Le caractère communautaire de cet enrôlement pris des contours très nets. Quoique beaucoup de chrétiens appuyaient la cause palestinienne, ils furent peu nombreux à s’enrôler dans les rangs des organisations de la Résistance. De l’autre côté du prisme, des chrétiens commencèrent à s’entraîner et à s’armer, craignant une réédition du scénario jordanien au Liban. En 1973, face à l’arrogance de l’OLP qui la défiait sans cesse malgré les accords du Caire, l’armée libanaise tenta de mater les combattants palestiniens. Alors que l’invasion des camps de Beyrouth par l’armée allait bon train, la classe politique l’obligea à stopper net son offensive. Les chrétiens eurent le sentiment que leurs concitoyens musulmans utilisaient les Palestiniens pour obtenir une révision du pacte de 1943 et les musulmans accusaient les chrétiens de vouloir liquider la Résistance palestinienne. Ce fut le prélude à un emballement de l’armement des milices de tout bord, qui, après quelques répétitions, s’affrontèrent pendant quinze ans à partir de 1975. En amont de ces raisons, qui ont poussé les Libanais à faire confiance à leurs milices respectives plus qu’à l’armée nationale, se trouvent des raisons historiques, particulières à chacune des deux confessions. En islam, sous l’empire abbasside (sunnite) à son déclin et sous la dynastie fatimide (chiite) en Égypte, l’aristocratie guerrière de l’empire est progressivement remplacée par des milices formées d’esclaves-mercenaires tels les mamelouks turcs, les Kutamas et les Sanhajas berbères, les Daylamites iraniens et les Banis Hilal bédouins de la péninsule arabique. Cette pratique de confier à des milices la défense du califat se répandit à tel point que certaines de ces milices formèrent elles-mêmes des dynasties, la plus célèbre étant celle des mamelouks. L’universalisme de l’islam est pour beaucoup dans ce phénomène. Tout musulman de naissance ou converti peut prétendre à prendre les armes pour protéger la oumma qui ne connaît de frontières. Ce qui explique le désintérêt des musulmans pour la carrière militaire et les jihadistes de toutes nationalités qui se battent en Afghanistan et en Irak. Le Hezbollah lui-même ne se définit-il pas comme « la révolution islamique au Liban », ce qui souligne son extraterritorialité ? Pour les chrétiens, la référence milicienne plonge ses racines dans l’histoire des Mardaites (ou Marada en arabe), ces soldats chrétiens aux origines incertaines, alliés ou ennemis des Byzantins, occupèrent les hautes montagnes du Liban-Nord et protégèrent la communauté maronite (2). Plus récent également, le moine-soldat des croisades au service de la chrétienté n’est pas loin du modèle adopté par les milices chrétiennes vers la fin du conflit libanais. Or, pour beaucoup de Libanais, le retour des milices est synonyme de catastrophes. La première raison est que les Libanais sont conscients qu’en l’absence d’une armée nationale, les milices qui s’installent dans la durée se transforment rapidement en force de répression des populations qu’elles sont censées défendre et finissent par se scinder en groupes rivaux qui se battent entre eux. Cette expérience n’est pas particulière au Liban. Je prends à témoin les cas irakien et soudanais qui, les deux, souffrent de ces dérives. En Irak, les milices chiites, en plus de s’opposer aux milices sunnites, s’entre-tuent (le mouvement sadriste contre le Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak et contre Hezb el-Fadila) Les sunnites, eux, qui s’opposent aux chiites et aux Américains, se sont scindés en deux groupes, ceux qui continuent d’appuyer al-Qaëda en Irak (Hezb Dawlat al-Irak al-Islamia) et ceux qui se battent contre elle (Sahwat al-Anbar). Au Soudan, les hordes des Janjawid des tribus arabes ont fini par éclater en groupuscules qui s’entre-tuent, ainsi que leurs victimes, les tribus africaines. Amine ISSA Agriculteur (1) Farid Khazen, Tafakok awsal al-dawla fi Loubnan, éditions Dar an-Nahar, page 329. (2) Kamal Salibi, Une Maison aux nombreuses demeures, éditions Naufal, pages 95-7,132. Prochain article : L’armée à l’heure de la présidentielle Article paru le vendredi 19 octobre 2007
Dans ce texte, je tenterai d’établir comment et pourquoi le reflux du phénomène milicien au détriment ou au profit de l’armée s’est déroulé depuis l’indépendance à nos jours. Dans un État-nation moderne, souverain, les milices apparaissent au moment où les citoyens ont le sentiment que l’État n’est plus capable de les défendre contre une menace extérieure ou...