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Ouvriers et paysans sont les laissés-pour-compte de l’essor économique Derrière le développement spectaculaire de la Chine, des inégalités flagrantes Émilie SUEUR

Cette année, la Chine compte 106 milliardaires, contre 15 il y a un an, selon le classement Hurum établi par un comptable, Rupert Hoogewerf, établi à Shanghai. À la tête de ce classement se trouve une jeune femme, tout juste âgée de 26 ans. Promoteur immobilier, sa fortune est évaluée à 17,3 milliards de dollars. En termes de croissance, la Chine se permet des taux à deux chiffres. Au premier semestre 2007, le PIB enregistrait une hausse de 11 %. Autant de chiffres qui illustrent la puissance de l’Empire du Milieu, mais cachent des déséquilibres internes dont l’un des symptômes les plus visibles ont été les grandes manifestations de paysans, notamment en 2005, dans certaines provinces. Jean-Philippe Béja et Stéphanie Balme, spécialistes de la Chine contemporaine, analysent les causes de ces inégalités, et la réponse que le régime y apporte. Au début des années 80, la Chine de Deng Xiaoping lance un vaste chantier de réformes. La planification à outrance et la centralisation économique laissent la place à une économie de marché de type socialiste. Le secteur agraire est réformé, le régime donne son feu vert à la création d’entreprises privées et le pays s’ouvre progressivement aux investisseurs étrangers. « Dans les années 80, l’ensemble de la société, y compris les paysans et les ouvriers, a profité des réformes, explique Jean-Philippe Béja, chercheur au CNRS-CERI (Centre d’études et de recherches internationales). Un changement intervient à la fin des années 80, avec le développement de la corruption, notamment au niveau officiel, et surtout en 1992 », date à laquelle l’économie de marché est généralisée. « Depuis cette date, les inégalités se sont emballées. Aujourd’hui, le coefficient de Gini (ndlr : mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée) est de 0,49. Avec un tel chiffre, de nombreux pays seraient au bord de l’explosion sociale », ajoute le spécialiste de la Chine contemporaine. Aujourd’hui, certains Chinois deviennent de plus en plus riches, la classe moyenne est en formation, et une grande partie de la population reste relativement pauvre. « Les intellectuels et les cadres sont ceux qui sont entrés dans les entreprises privées. Ils ont profité pleinement des réformes », souligne M. Béja. Les principaux laissés-pour-compte du développement spectaculaire de la Chine sont essentiellement les ouvriers et les paysans. « Il y a 15 ans, on comptait 110 millions d’ouvriers salariés dans les entreprises d’État. Ils sont 80 millions aujourd’hui. Des millions d’entre eux ont été mis à pied avec la fermeture des entreprises étatiques », souligne le spécialiste de la Chine. Des licenciements qui signifient pour ces ouvriers la fin de nombreux avantages sociaux. En ce qui concerne les paysans, ils doivent faire face à de nombreux problèmes et ont notamment exprimé leur colère lors de manifestations massives, en 2005. À l’origine de leur mécontentement se trouve notamment le fléau de la spéculation immobilière, orchestrée par les gouvernements locaux et les promoteurs, depuis l’ouverture de la Chine. « Les terres sont confisquées pour la construction de projets immobiliers ou la mise en place de zones industrielles. Les compensations que les paysans perçoivent sont très faibles car ils ne sont pas propriétaires de la terre, ils n’en ont que l’usufruit », souligne M. Béja. À ce problème s’ajoute celui de la corruption des autorités locales, dont les paysans sont les premières victimes. Le non-respect de l’environnement est une autre cause de colère pour les paysans. « Concentrée sur son développement rapide, la Chine ne s’est pas préoccupée de l’environnement. Aujourd’hui, on recense, par exemple, d’énormes problèmes de pollution de l’eau, notamment au mercure », explique-t-il. Les « villages du cancer » en sont l’illustration la plus flagrante. Dans de nombreux villages, où les paysans boivent l’eau polluée, également utilisée pour l’irrigation des champs, le nombre de victimes de cancer a en effet explosé. « La situation est très grave. Pour certains villages, il s’agit véritablement d’une question de survie », insiste l’expert. Face à la difficulté des conditions de vie dans les zones rurales, certains Chinois ont décidé de plier bagage pour tenter leur chance dans les villes. L’accès aux zones urbaines est toutefois contrôlé grâce aux livrets de résidence. Ces migrants n’en bénéficiant pas, ils ont un statut proche de ceux des clandestins. « Leur statut est précaire. Mais, leur situation reste toutefois moins pire que dans les campagnes », souligne le chercheur du CNRS-CERI. Politique de rééquilibrage Le régime, dirigé par Hu Jintao, chantre de la « société harmonieuse », est toutefois conscient de ces inégalités. « Le gouvernement a lancé une politique sociale de rééquilibrage en direction des populations fragilisées », explique Stéphanie Balme, chercheur à l’Institut d’études politiques de Paris, actuellement en mission à l’Université de Pékin. « Le régime chinois, ne pouvant tirer sa légitimité des urnes, la tire de l’efficacité de ses politiques. Il est donc indispensable que le pays soit stable, et que l’ensemble tienne », souligne-t-elle, avant d’ajouter : « Le gouvernement et le Parti communiste savent qu’ils ne peuvent se permettre que les paysans leur soient hostiles. Le régime sait qu’il doit avoir une relation directe avec les paysans pour se protéger de l’interférence des pouvoirs locaux. » Pour éviter d’arriver à un débordement des manifestations, souvent durement réprimées, le régime a notamment aboli les impôts locaux, « une véritable révolution pour la Chine », précise Mme Balme. Le régime a également octroyé aux paysans le droit à la scolarité gratuite jusqu’à l’équivalent de la sixième. « Enfin, point plus difficile, il a lancé des réformes visant à garantir l’accès à la justice. Pour ce faire, les frais de procédure ont été considérablement réduits depuis avril 2006 », explique-t-elle. « Bien sûr, il faut vérifier que les textes sont effectivement appliqués sur le terrain. Mais les directives ont été passées, et les paysans le savent », ajoute-t-elle. « Ces derniers doivent toutefois toujours faire face au problème de la Sécurité sociale. Or, en Chine, les soins médicaux deviennent de plus en plus chers. Les villageois doivent se rendre dans les capitales provinciales pour accéder à des hôpitaux, où, généralement, ils se font littéralement racketter », ajoute Jean-Philippe Béja. Selon une étude réalisée par l’Organisation mondiale de la santé, la Chine se trouve au 187e rang, sur un total de 191 pays, en termes d’égalité d’accès aux soins médicaux. Les populations défavorisées ont toutefois accès, pour défendre leurs droits, à des réseaux d’opposants, formés de journalistes, d’avocats et d’intellectuels. « Différents mouvements de défense des droits civiques sont apparus depuis 2002-2003 », explique M. Béja. Ces mouvements ne sont plus dans un schéma de confrontation directe avec le pouvoir. Ils privilégient une stratégie par la bande. « Ces mouvements travaillent sur les droits des populations défavorisées, ils peuvent également réclamer des réformes pour lutter contre la pollution. Au fond, ils veulent évidemment des réformes démocratiques, mais ne le disent pas ouvertement », ajoute le chercheur. En ce qui concerne le pouvoir, « bien sûr, il y a des gens qui prônent l’ouverture à l’intérieur du Parti communiste. Mais ils ne sont pas les plus puissants. Le parti se contente, en outre, de créer, des instances consultatives, mais pas de décisionnelles. Il n’y a donc pas d’ouverture réelle », conclut M. Béja.
Cette année, la Chine compte 106 milliardaires, contre 15 il y a un an, selon le classement Hurum établi par un comptable, Rupert Hoogewerf, établi à Shanghai. À la tête de ce classement se trouve une jeune femme, tout juste âgée de 26 ans. Promoteur immobilier, sa fortune est évaluée à 17,3 milliards de dollars. En termes de croissance, la Chine se permet des taux à deux...