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Misérables et discrets dans des quartiers bourgeois

Les quartiers pauvres sont faciles à repérer, il en existe dans la banlieue de la capitale, mais aussi dans toutes les régions périphériques. Il est cependant une misère qui se fait discrète parce qu’elle côtoie la bourgeoisie et le luxe. Celle-ci est difficile à identifier, mais elle est évidente dès qu’on frappe aux portes closes derrière lesquelles elle sévit, souvent aidée par son redoutable allié, l’oubli qui entoure ces foyers. Avec pour guide le père capucin Boutros Wardé, nous découvrons quelques cas à Beyrouth, habitant des quartiers que nous traversons tous les jours en ne voyant que les belles boutiques et la population active, arpentant nerveusement les trottoirs, en train de vaquer à ses occupations. Dans un des petits hôtels de Hamra, la porte s’ouvre sur deux vieux frères vivant dans un monde de souvenirs, sans échapper pour autant à la dure réalité quotidienne. L’un d’eux a été directeur d’un grand hôtel de la capitale pendant 40 ans. « J’avais un bon poste, j’étais servi, j’avais de l’argent et j’ai bien vécu, dit-il d’une voix presque inaudible. Aujourd’hui, je suis un mort-vivant. » Son frère, visiblement plus jeune et en meilleure santé, nous apprend qu’il a été frappé d’hémiplégie et que son état de paralysie partielle l’a plongé dans une profonde dépression. En effet, une fois malade et sans aucun filet de sécurité, l’ancien directeur est tombé dans la misère, et ne peut plus compter que sur son frère cadet qui, selon ses dires, a refusé de suivre sa propre famille en Australie pour prendre soin de son aîné. Que demandent-ils aujourd’hui ? « Nous voulons de l’aide, pas de la charité, disent-ils d’emblée. Nous avons besoin de payer le loyer en retard. L’administration de l’hôtel ne patiente que parce qu’elle nous voit nous débattre avec la maladie. Et nous avons besoin d’assurer les frais médicaux chaque mois. » Les frais médicaux sont un problème pour pratiquement tous les foyers pauvres, mais ils ne sont nulle part aussi cauchemardesques que pour une famille composée d’une vieille mère et deux de ses filles, habitant un taudis sous la route qu’il est très difficile de trouver tant il est en retrait, à Aïn el-Mreïssé. Lors des inondations qui ont frappé Beyrouth il y a quelques années, la mère a été prise dans l’eau stagnante qui a envahi la maison durant un long moment et n’a été sauvée que par miracle. Mais il était trop tard pour qu’elle s’en sorte : ses poumons ont été touchés et elle est désormais dotée d’un appareil respiratoire. Les ressources déjà limitées de cette petite famille sont englouties dans les frais médicaux, surtout que la fille aînée a arrêté de travailler pour s’occuper de sa mère, et que le poids financier n’est porté que par la cadette. Dans la toute petite maison, on accède à la pièce, que la vieille femme ne quitte plus depuis des années, en traversant la cuisine. La vieille dame ne peut plus parler, mais elle se débrouille pour soutenir une conversation à force de gestes avec le prêtre qu’elle affectionne particulièrement, répandant une atmosphère agréable au milieu du gris de la vie quotidienne et le peu de luminosité de la pièce. L’amour filial est clair dans tous les gestes de son aînée, et il paraît évident que c’est ce qui la maintient en vie. Dans les propos tenus, aucune trace d’amertume, juste de la lassitude. « Si on pouvait juste nous aider un peu, ça irait bien, dit la fille. Ma sœur cumule deux emplois et ne vient que le soir. Outre ma mère, nous avons toutes besoin de médicaments. » Les liens familiaux sont souvent ce qui reste quand tout est perdu. Tel est le cas de deux sœurs nonagénaires habitant une chambre sur les toits. C’est en voyant l’une d’elles marchant dans la rue, tellement penchée que sa tête toucherait presque le sol, que l’une des associations a eu vent de leur cas. Dignes, elles ne demandent pas facilement l’aumône. La plus jeune, avec un sourire ineffable, explique que cela fait depuis 1949 qu’elles habitent le quartier, que sa sœur y a été mariée, qu’elle y a eu un fils qu’elle a perdu, après une longue maladie. Aujourd’hui, elles sont seules, tout à fait seules. « Nous ne pouvons plus sortir facilement de la maison, dit-elle, et on la comprend quand on voit le nombre de marches à gravir pour atteindre le taudis. La plupart du temps, ce sont des parents éloignés qui nous apportent quelque nourriture. » Et pourtant, leur vie avait bien mieux commencé. Leur père avait de bons moyens et elles avaient du travail. Mais la vie en a décidé autrement.
Les quartiers pauvres sont faciles à repérer, il en existe dans la banlieue de la capitale, mais aussi dans toutes les régions périphériques. Il est cependant une misère qui se fait discrète parce qu’elle côtoie la bourgeoisie et le luxe. Celle-ci est difficile à identifier, mais elle est évidente dès qu’on frappe aux portes closes derrière lesquelles elle sévit,...