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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE - « J’ai tant rêvé de toi »*, première sélection du prix Fémina Patrick et Olivier Poivre d’Arvor sur le cadran solaire de Desnos

« J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie. » Robert Desnos Janvier 1995, hôtel « Yalta » à Prague. Youki Robin, 26 ans, renaît à la vie après de très dures épreuves. Ce voyage qu’elle effectue dans la ville tchèque s’inscrit dans le cadre de sa thèse sur Robert Desnos. Mais sous le couvert d’une simple interview au prix Nobel et poète tchèque Pavel Kampa, Youki veut en fait connaître l’identité de son père dont sa mère Agathe, avant de mourir, lui a révélé l’existence. « J’ai tant rêvé de toi » (éditions Albin Michel) est un roman fiction de Patrick et Olivier Poivre d’Arvor qui mêle les dures réalités de la vie à la poésie de Desnos. Un voyage intérieur et purificateur. Qui est ce poète tchèque rencontré par la mère de Youki lors du printemps de Prague, longtemps auréolé d’un mystère fascinant ? Est-il vraiment ce papa qui a hanté tous les rêves de la jeune étudiante et qui mérite que sa chair ait souffert de son absence ? Est-il ce poète qui a recueilli le dernier souffle de Desnos ? Cet ours qui regarde tendrement la comète, tatouage imprimé dans les peaux respectives de la mère et de la fille ? Ou n’est-il que pur fantasme, une illusion parmi tant d’autres ? Face à ces interrogations et à ses démons, l’héroïne du livre, fragile, anorexique et nymphomane, à l’enfance dévastée par le manque paternel, effectuera sa propre catharsis. Dans cette œuvre réaliste et poignante, réalisée à quatre mains, les frères d’Arvor emmènent leur lecteur pour un voyage introspectif et abordent des sujets qui leur tiennent à cœur : les racines et l’anorexie. Mais également la littérature et, plus précisément, l’imposture littéraire. Journaliste et écrivain (une trentaine d’ouvrages à son actif, dont des biographies et essais écrits avec son frère), Patrick Poivre d’Arvor avoue s’être nourri du livre lors de son adolescence. « J’étais sauvage et timide, j’avais très peu d’amis et c’est le livre qui m’a construit, avouera-t-il. C’est une espèce fragile, qu’il faudra aider face aux agressions des autres modes de communication. » J’ai tant rêvé de toi a une résonance particulière, autant pour lui que pour son cadet, Olivier (diplomate de carrière). Le roman qui se passe à Prague, une ville où OPDA a vécu pendant cinq ans, est construit autour d’une date symbolique, la date du suicide de Solenn, la fille de PPDA. « C’est un hommage ultime que je voulais lui rendre, tout en changeant le cours du destin », confie le roi du 20 heures sur TF1. À la fois tendre et violent, le roman, s’il tarde à démarrer au début, prend par la suite le lecteur au dépourvu. Une sorte de « viol » littéraire où l’espace et le temps s’effacent pour ne laisser place qu’à des questionnements béants comme des blessures. Hommage à Solenn Faisant fi de la chronologie des événements, l’écriture est virile et robuste. Elle saque et défriche même à coups de serpe. Fouille et entaille parfois à la manière d’un bistouri dans les ressorts fragiles de l’âme. Elle sonde, enfin, les sentiments amoureux avec tout ce que cela comporte comme lumineux, mais également comme obscur. Si le titre du livre, le nom de l’héroïne emprunté à l’amante de Desnos et les extraits de ses poèmes font une incursion surréaliste dans le récit, ces éléments ne sont pas les seuls à faire du personnage de Robert Desnos le fil poétique de l’ouvrage. En effet, Desnos a été surnommé par André Breton « le prophète du surréalisme » pour avoir instauré une démarcation dans le domaine artistique entre les intelligents (les littérateurs) et les sensibles (les surréalistes). Ce poète français, emprisonné puis déporté à Auschwitz et mort de typhus en 1944, avait établi dans ses poèmes un rapport différent avec le monde de l’enfance. Ses recueils de poème destinés aux enfants sont nés d’une nostalgie pour cette période de sa vie. N’ayant pour seul objectif que de faire rire l’enfant, les textes de Desnos, loin du didactisme, ne sont ni narratifs ni symboliques. Articulés sur des jeux de mots et des associations d’idées, ils se caractérisent par un rythme bien particulier. Un rythme que les frères d’Arvor empruntent par instants (« Père pervers. Père de tous les vers. Trop vert poète. Envers de père. Et contre tout »), laissant le réel se fondre dans l’onirique de la poésie de Desnos. J’ai tant rêvé de toi est une ode à l’enfance blasphémée, humiliée et castrée. À cette enfance perdue et retrouvée que le poète français a su si bien sonder auparavant et que les frères romanciers ont su triturer pour mieux purifier. « Hier, j’étais un enfant. Je suis un homme maintenant. Le monde est une drôle de chose », disait Desnos. Colette KHALAF * Le roman est disponible à la librairie Stephan.
« J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec
ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera
allègrement sur le cadran solaire de ta vie. »
Robert Desnos

Janvier 1995, hôtel « Yalta » à Prague. Youki Robin, 26 ans,...