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Actualités

La neutralité

La neutralité de la Suisse fut décrétée par le Congrès de Vienne, en 1815, qui réorganisa l’Europe après les bouleversements de l’ère napoléonienne. Mais les conséquences de cet événement sur la vie des Suisses ne furent pas immédiates. Il passera encore plus de trente ans avant que la confédération n’entre durablement, à partir de 1848, dans une ère de paix et de prospérité qui continue aujourd’hui de susciter l’admiration – et l’envie – de nombreux États du monde. Il est en fait difficile de mesurer l’ampleur exacte du statut de neutralité sur le processus de pacification interne de la Suisse. La question qui se pose, en effet, est de savoir dans quelle mesure la neutralité a eu une influence positive sur la concrétisation de l’entente entre les diverses composantes du peuple helvète et, inversement, si ce n’est pas cette entente elle-même qui a donné tout son poids à la neutralité. En outre, que vaut un statut de neutralité d’un petit pays comme la Suisse si les voisins – et quels voisins ! – décident un jour que ce statut n’arrange pas leurs affaires ? À cet égard, le cas de la Belgique neutre de 1914 est significatif. Pour tenter de prendre à revers et de façon massive les armées françaises et britanniques, Guillaume II et ses généraux n’avaient pas le choix : il fallait traverser le petit royaume. Ce dernier avait beau clamer sa neutralité dans le conflit, ce fut en pure perte. La Suisse, en revanche, ne sera jamais sérieusement inquiétée de l’extérieur au cours du siècle sanglant qui sépare l’année de sa pacification définitive de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il est vrai qu’Adolf Hitler se fit à un moment assez menaçant. Mais il ne passa jamais aux actes. Pourquoi ? Est-ce parce que les Suisses avaient réussi à fonder une armée puissante et unie ou bien parce que l’Allemagne nazie avait besoin dans son voisinage d’un espace neutre, propice à toutes sortes d’affaires et de négociations, sans parler de la volonté de ménager les sentiments de l’allié mussolinien ? La vérité est peut-être un mélange de tout cela. Mais, quoi qu’il en soit, il ne faut nullement sous-estimer la formidable conjonction dissuasive que forment une armée certes petite de taille mais unie, déterminée et magnifiquement organisée, et un terrain difficile d’accès (contrairement à la Belgique). Jusqu’à nos jours, les innombrables tunnels routiers et ferroviaires suisses dissimulent dans leurs murs des charges explosives reliées à un système central et qui, actionnées, les rendraient totalement impraticables face à des divisions blindées en marche. Au cours de la guerre, les autorités suisses avaient adressé à leurs homologues allemandes un message clair se résumant à peu près ainsi : « Si vous décidez de nous envahir, nous ne serons pas capables de vous retenir à la frontière. Vous pourrez avancer à découvert en territoire suisse jusqu’à un certain point. Mais à partir de ce point, tous les accès seront fermés devant vous. Vous serez totalement immobilisés et il ne vous restera plus que l’alternative de la retraite… » Ce qui compte, dans un tel avertissement, ce n’est point le ton sur lequel il est délivré, c’est sa crédibilité. S’agissant de l’armée suisse, il serait périlleux pour l’adversaire de miser sur un décalage entre ce qui est dit et ce qui peut être fait. Il ressort de tout cela que le statut officiel de neutralité, même s’il est reconnu par l’extérieur, ne suffit pas à lui seul pour assurer des jours paisibles à un quelconque État, lorsque ce dernier se trouve dans une région en proie à des conflits. Ce statut a besoin d’un corollaire au moins, l’existence d’une armée qualitativement forte et efficace. La boucle est bouclée, car pour parvenir à mettre sur pied une telle armée, il faut d’abord, et de manière impérative, construire un consensus national fort. D’abord le politique, ensuite le militaire. C’est par là que les Suisses ont commencé. C’est par là que tous les candidats au statut de neutralité devraient commencer. Dans le cas du Liban, il existe en fait une confusion d’ordre sémantique à clarifier. Ce pays peut-il être « neutre » ? La question est brûlante et les réponses des Libanais sont contradictoires. Il faudrait peut-être poser la question différemment : le Liban a-t-il vraiment besoin d’un statut de « neutralité » pour retrouver sa paix et sa tranquillité ? Ne vaudrait-il pas mieux parler d’une « neutralisation » des effets des conflits régionaux sur ce pays ? En tout état de cause, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre, on reviendra toujours à la case départ : un minimum d’entente… E. F.
La neutralité de la Suisse fut décrétée par le Congrès de Vienne, en 1815, qui réorganisa l’Europe après les bouleversements de l’ère napoléonienne. Mais les conséquences de cet événement sur la vie des Suisses ne furent pas immédiates. Il passera encore plus de trente ans avant que la confédération n’entre durablement, à partir de 1848, dans une ère de paix et...