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Actualités - OPINION

On m’a dit : N’écris pas cet article Emil ISSA

La plus grande victoire, c’est peut-être d’admettre sa défaite. Yvon Paré, extrait d’Anna-Belle. C’est la rentrée, nouvelle bataille politique, nouvel épisode. Tiens ! Toujours le même feuilleton ! Fin d’une saison, début d’une autre : alternance. Tout comme les arbres qui se débarrassent de leurs feuilles jaunies une fois devenues inutiles et encombrantes, il est de notre devoir de réexaminer la pertinence des slogans qui avaient fait refleurir l’espoir et qui aujourd’hui étouffent, usés, au milieu d’un paysage politique laissé en jachère. Slogan politiquement correct numéro un : « Élire un président accepté par les deux parties adverses. » Quel torticolis politique ! D’abord, si les deux parties sont adverses c’est bien parce que chacune a sa propre vision du Liban, ses idées, ses projets et donc son candidat pour les réaliser. Les élections ne portent pas sur une personne, mais sur une certaine vision du Liban qu’incarnerait cette personne. C’est pour cela que ce slogan répété en boucle dans les médias finit par lasser et dénaturer le but même de la bataille pour la présidentielle. Ne devrait-on pas plutôt garder cette énergie pour la réinvestir dans des débats autrement plus importants, par exemple celui des prérogatives du président élu ? Du Liban que nous voulons ? Sommes-nous trop différents désormais pour rester ensemble ? Nous voilà donc devant deux visions différentes du même Liban, qui rivalisent par tous les moyens depuis environ deux ans. Mais cette fois plus de raccommodages qui tiennent. Pourquoi ? Je l’expliquerai dans la deuxième partie de cet article, mais aussi parce que le phénix a autre chose à faire que renaître de ses cendres. C’est certes un de ses attributs, mais tellement passé de mode. De même, certains hypocrites iraient jusqu’à nier que deux visions du Liban se font la concurrence. Pourrait-on alors expliquer au peuple pourquoi le pays est ainsi paralysé depuis bientôt deux ans ? Si c’est pour déboucher sur un deal de dernière minute ramenant au statu quo, alors de quel droit, messieurs les politiciens, nous avez-vous pris en otages pendant tout ce temps? Il est urgent aujourd’hui de se rappeler que l’essence même de la démocratie, c’est de pouvoir, chacun, exprimer ses projets différents et se battre politiquement pour les faire prévaloir. Cependant, cette bataille doit se faire dans un cadre précis pour qu’elle reste démocratique. Dans le cadre du respect de l’État et de toutes ses institutions. À partir du moment où une partie décide de faire cavalier seul et recourt à des stratagèmes pour sortir de ce cadre lorsqu’elle réalise que dans ces conditions elle ne peut faire triompher son projet, on a le droit alors de se demander, pour être réaliste, à quoi servent les « règles de base » et si on ne devrait pas les faire évoluer afin de continuer à vivre ensemble. Ces règles de base, autrement dit la Constitution sur laquelle nous nous étions tous entendus, entre-tués puis entendus, nombreux sont ceux de tous bords qui n’en veulent plus (au moins dans sa forme actuelle). Ce qui nous amène au second slogan. Slogan politiquement correct numéro deux : « Ni vainqueur ni vaincu. » Ce slogan est une insulte à l’intelligence humaine et au principe de la saine compétition politique. Quel que soit le vainqueur, en politique comme en sport, il faut qu’il y en ait un. Afin de sortir de l’immobilisme dans lequel nous sommes plongés, et aussi afin de donner une chance à l’alternance. Comment alors critiquer un camp en s’attaquant seulement à son projet ? Si on lui donnait le temps de l’exécuter, on pourrait au moins aussi l’attaquer non seulement sur des idées mais aussi sur des actes. C’est bien le principe de responsabilité (Accountability) en politique, qui est à la base de toute véritable opposition. Ensuite, vaincre ne veut pas dire humilier. C’est d’ailleurs le cas en sport. C’est cela l’esprit sportif, le fair-play. Trêve de mauvaise foi donc et arrêtons les monologues à deux. C’est ici un cri du cœur, un y’en a marre bouillonnant. Je ne prétends pas présenter de solutions miracles, mais je souhaite ici proposer quelques pistes sur lesquelles d’autres pourraient s’engager pour mieux élaborer et débattre. L’État dans sa forme actuelle a été essayé et « retouché » tout au long du XXe siècle. Il a prouvé ses limites. Les États les plus évolués au monde ont connu leurs moments de crise et c’est ainsi qu’ils ont accepté de tenter chaque fois un modèle différent, sans honte et sans complexe. Pourquoi alors ne pas passer à une autre forme d’État plus décentralisé et donnant plus d’autonomie afin de continuer à vivre ensemble mais autrement ? De manière plus mûre, plus intelligente et plus indépendante. Brisons enfin les tabous de cette hypocrisie qui nous paralyse. Au Liban, nous avons peur d’être taxés de « partitionnistes », de « racistes », ce qui est absolument faux vu les leçons tirées de ces années de guerre et aussi vu la composition communautaire des forces en compétition. La France, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis ont compris l’importance de la décentralisation et du fédéralisme. Le Liban est trop petit géographiquement ? Et alors ? Accepter d’avoir des projets différents, des convictions différentes et pourtant offrir à chacun le droit de les réaliser sans pour autant lui imposer notre propre vision, c’est ça le fédéralisme. Accepter de vivre avec l’autre qui est différent et lui donner juridiquement le droit d’être différent et d’exercer un pouvoir, c’est aussi ça le fédéralisme. Aux États-Unis, certains États appliquent la peine de mort, d’autres non. Pourtant les Américains vivent ensemble. En définitive, c’est à nous d’essayer de trouver notre formule locale et de continuer à proposer de nouvelles idées hybrides et adaptées à notre cas. Quitte à ce qu’elles s’avèrent inadéquates : mieux vaut cela que de persister à vouloir faire marcher ce qui a été déjà tenté et qui a prouvé ses limites. Aujourd’hui, la Belgique se pose des questions sur son avenir. Le Moyen-Orient tout entier est sur le point d’être redessiné. Et nous nous abritons derrière une multitude de slogans ! Mais de grâce cessez ce déluge de paroles sur un désert d’esprit ! Emil ISSA Étudiant en sciences politiques - AUB Article paru le mardi 2 octobre 2007
La plus grande victoire, c’est peut-être
d’admettre sa défaite.
Yvon Paré, extrait d’Anna-Belle.

C’est la rentrée, nouvelle bataille politique, nouvel épisode. Tiens ! Toujours le même feuilleton ! Fin d’une saison, début d’une autre : alternance.
Tout comme les arbres qui se débarrassent de leurs feuilles jaunies une fois devenues inutiles et encombrantes,...