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Actualités - OPINION

In memoriam Antoine Ghanem Élias R. CHEDID

Il est des choses qu’il est difficile de croire ; des informations qu’il est impossible de digérer ; des faits, inattendus mais bien réels, dont on ne peut admettre la survenance : Antoine Ghanem est mort assassiné. Pour ceux qui ne connaissaient pas Antoine Ghanem, la nouvelle est tombée de manière presque anodine : les gens ont certes été choqués, effarés, attristés – autant qu’ils ont pu l’être, blasés qu’il sont devenus depuis que la sinistre déferlante de martyrs a jeté son macabre dévolu sur le Liban. Depuis que le martyre des politiciens, comme celui des citoyens ordinaires, est devenu le lot, le pain quotidien du Liban. Antoine Ghanem est un martyr de la liberté d’expression, de la liberté de pensée, du Liban embryon de démocratie qui lutte pour sa survie, son existence même, au lendemain de sa seconde indépendance arrachée de justesse. En cela, il convient de saluer sa mémoire et de perpétuer son souvenir. Mais Antoine Ghanem n’était pas seulement cela. Il était bien plus que cela. C’était un homme bon, un homme honnête et un homme constant dans ses convictions. En résumé, tout ce qu’on ne trouve plus de nos jours. Tout ce qu’on ne valorise plus de nos jours. Les bien-pensants enseignent en effet aujourd’hui, au Liban comme ailleurs, que la bonté est faiblesse, que l’honnêteté est bêtise, que la constance est rigidité. En perdant Antoine Ghanem, nous avons pourtant perdu une trempe d’hommes, un genre d’hommes qui étaient des exemples à suivre pour les jeunes Libanais, pas seulement lorsque ces derniers décident de s’engager en politique, mais également lorsqu’ils se lancent dans des études, dans la vie active, lorsqu’ils fondent une famille. À l’heure où l’éthique comportementale est au plus bas dans nos sociétés, à l’heure où la morale a du mal à se faire une place dans un monde qui adule les gangsters (sans compter ceux qui rêvent d’être gangsters), Antoine Ghanem était tout simplement un exemple individuel de vertu. Il était la vertu par excellence. C’était un homme bon, oui, au plein sens du terme. La bonté d’Antoine Ghanem, elle se percevait d’abord dans ses yeux. Dans ce regard paisible et aimant, dans cet abord amical et accueillant. Dans cette voix chaleureuse aussi, rassurante. Mari et père de famille exemplaire, il avait fondé une famille comme peu peuvent se vanter d’en avoir fondé, comme tant rêvent d’en pouvoir un jour fonder. Mais sa bonté allait au-delà de la cellule familiale. Sa permanente volonté d’aider les autres, les innombrables services qu’il a rendus durant toute sa vie étaient sans aucun doute sa caractéristique essentielle. Avocat pénaliste de talent, il se dépensait sans compter, plaidant sans relâche pour faire libérer ou alléger les peines de clients avec lesquels il partageait souvent une cause politique et pour lesquels il travaillait, il faut le savoir, toujours gratuitement. Phalangiste convaincu, une zone d’influence lui avait été confiée pendant la guerre, celle de Furn el-Chebbak. À l’heure où les milices usaient et abusaient du pouvoir qu’elles s’étaient elles-mêmes octroyé en l’absence de l’État, Antoine Ghanem s’est rendu célèbre pour sa gentillesse, son sens de la justice, sa volonté de traiter les gens équitablement et surtout, surtout, son refus du vol, des trafics et rackets divers. Un honnête homme, donc. Cela, décidément, se perd, s’est perdu. Un homme constant aussi. Membre du parti Kataëb dès le début, il n’a jamais varié, Antoine Ghanem, dans ce pays où l’on enseigne la versatilité comme une vertu, dans ce pays où on retourne sa veste plus vite que le vent. Resté au sein du parti qui ne se distinguait plus, dans les années 1990, que par les éloges à chaque fois plus poussés qu’il faisait de la Syrie (on pense à la pathétique « autocritique » du Parti phalangiste, fort heureusement oubliée aujourd’hui), Antoine Ghanem n’a jamais perdu ses principes ni sa lucidité. Il était resté au sein de son parti par souci de l’unité, par refus de la volonté de division. Il me l’avait expliqué, un soir, à l’occasion d’un dîner, en réponse à l’une de mes questions, avec l’affabilité désarçonnante qui le caractérisait. En 2000, à la suite d’une alliance électorale, il avait été désigné par le parti pour le représenter sur la liste de Walid Joumblatt – puis il fut élu – pour le littoral maronite, à partir de son fief de Furn el-Chebbak. À l’époque, Amine Gemayel opérait à l’extérieur du parti Kataëb dont il était exclu. C’est de l’intérieur qu’un Antoine Ghanem ne devant pourtant rien à personne, car encore membre du bureau politique du parti et de surcroît fraîchement élu député, aidera l’ancien président de la République à opérer une réconciliation au sein des phalangistes. Légitimiste jusqu’au bout, il était resté à égale distance de tout le monde et était par conséquent l’un des rares à pouvoir jouer le rôle de marieur sans perdre en crédibilité. Au Parlement, bien que faisant officiellement partie d’un « bloc » Kataëb de deux (!) députés (avec Nader Succar), c’est de feu Pierre Gemayel Jr qu’il était le plus proche. Lorsqu’en 2005, à la suite du retrait syrien, la réunification des Kataëb sous la houlette d’Amine Gemayel est devenue possible, c’est naturellement aux côtés de ce dernier et de son fils Pierre qu’Antoine Ghanem se présente à nouveau aux élections législatives, et tout aussi naturellement qu’il est réélu. Accessible, serviable, à l’écoute, la députation n’avait donné à ce charmant monsieur ni chevilles enflées ni grosse tête. Lorsque je le rencontrais parfois au Palais de justice, c’est lui qui accourait pour me saluer en premier, me prenant de vitesse, en dépit des plus élémentaires traditions de respect dû aux anciens. Attitude par ailleurs ô combien inimaginable au Liban des snobs et des parvenus, qui tentent si souvent de vous ignorer pour cacher leur ignorance. Un député modeste, c’est bien ce qu’il a toujours été et c’est l’image, la si belle image, qu’on gardera de lui. Ici encore, comme pour tant de choses, il est un exemple à suivre. Ce sont sans doute l’humilité et la bonté naturelles d’Antoine Ghanem qui rendent sa perte si frustrante, si enrageante. C’est cette volonté d’assassiner le député ordinaire aussi, le citoyen ordinaire devenu député. Le mal contre le bien, la sauvagerie contre le message de paix. « Avec les Kataëb jusqu’à la mort », disait un vieux slogan. Antoine Ghanem l’a pris, appliqué à la lettre. Mort pour ses convictions et pour leur constance, mort pour le Liban. ll repose désormais auprès du Seigneur, Antoine Ghanem, ce Seigneur qui « renverse les puissants de leur trône et élève les humbles ». On dit que son jeune compagnon, Pierre Gemayel, qui l’y a précédé, lui a réservé un accueil en grande pompe pour qu’il siège à jamais, à ses côtés, parmi les justes. Ils peuvent continuer d’assassiner, ces sombres ennemis du Liban. Ils maîtrisent peut-être le temps et l’espace. Mais ils ont l’intemporel contre eux. ll repose désormais auprès du Seigneur, Antoine Ghanem, ce Christ resplendissant dont il n’a cessé d’accomplir les enseignements, contre vents et marées, contre modes et effets de masse, jusqu’au martyre. Élias R. CHEDID Avocat - Paris Article paru le mardi 25 septembre 2007
Il est des choses qu’il est difficile de croire ; des informations qu’il est impossible de digérer ; des faits, inattendus mais bien réels, dont on ne peut admettre la survenance : Antoine Ghanem est mort assassiné.
Pour ceux qui ne connaissaient pas Antoine Ghanem, la nouvelle est tombée de manière presque anodine : les gens ont certes été choqués, effarés, attristés –...