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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Il veut sauver la mémoire de « Loulou », « Alaeddine » et autres « Chater Hassan » Henry Mathews, le superhéros de la BD arabe

Même s’il porte un nom occidental, il n’y a pas plus arabophone que ce Libano-Britannique membre de la grande famille de l’AUB. Henry Mathews, bédéphile, que dis-je, bédévore invétéré, s’attèle en effet depuis un an à construire une encyclopédie de la bande dessinée au Moyen-Orient. La BD arabe aura-elle enfin trouvé son superhéros pour la sauver du monstre de l’oubli ? Tout a commencé avec le numéro 7 de la revue Bissat el-Rih. Le petit Henry reçoit un jour de sa mère un « petit livret multicolore » avec, en couverture, une illustration « qui changera le cours de ma vie ». Sur fond de ciel bleu azur, Sindibad survole joyeusement les airs, monté sur un cheval blanc comme neige. Ce fut le déclic. Le coup de foudre immédiat et sans appel. Ce soir-là, et pendant un certain temps, il glissera ce numéro sous l’oreiller avant de s’abandonner au royaume des rêves. Le scénario hebdomadaire allait se répéter invariablement : le cœur palpitant, Henry attendra chaque nouvelle parution avec un plaisir grandissant. « J’ai grandi dans cet univers et je l’ai adoré », note Mathews. Au début, il y avait Dounia el-Ahdath (devenue plus tard al-Foursan), publiée par Laurine Rihani. Puis Bissat el-Rih (de Zouheir Baalbaki) puis les versions arabes de Superman, Batman, et autres superhéros ainsi que Loulou (Leila Da Cruz) et Dounia el-Abtal (Jack Mantoura). « À tous ces gens-là, je dois une grande partie de mes bonheurs d’enfance, des moments d’évasion inoubliables ». Mathews reconnaît également avoir été très influencé par les histoires de héros et autres sauveurs de l’humanité. « C’est sans doute de là que je tiens mon besoin de sauver les animaux en détresse et autres créatures plus faibles. C’est dans ces histoires que j’ai appris l’importance de la loyauté, de la bravoure et les principes de la politesse envers autrui. » Durant ses études aux Beaux Arts de la BUC, Henry Mathews a essayé de reproduire la magie de l’univers fantastique des BD. Puis il a eu un job à Bissat el-Rih puis chez Superman, traduisant, mettant en pages et dessinant parfois. Répondant également au courrier des lecteurs, partageant sa passion avec tant d’autres comme lui. La guerre et d’autres passions, notamment celle de l’exploration spatiale, l’ont éloigné de l’art. En 2000, il revient à la peinture et expose en avril 2006 au West Hall de l’AUB. En septembre 2006, il reçoit un e-mail étrange d’Égypte où un certain monsieur lui demande s’il est bien le Henry Mathews de la revue Bissat el-Rih. Les deux bédéphiles entretiennent alors une correspondance régulière. Poussé par les encouragements de son ami de plume, Mathews défriche ses archives et en déniche des raretés. Un monde à part « Raconter des histoires et en faire d’autres passionnantes est probablement une activité aussi vieille que le genre humain, et ses représentations picturales prédatent certainement la civilisation, note le bédévore. C’est uniquement dans le 9e art que l’écrit et le visuel sont aussi étroitement liés. » En inventant des personnages et en leur donnant forme ; en leur faisant vivre des expériences et des aventures incroyables dans des univers fantastiques; en créant des univers entiers riches en détails ; en mélangeant peinture et écriture, passé, présent et futur; en combinant réalité et fiction, rêves et désirs – en enfermant tout cela dans un carré de papier –, c’est le monde de l’artiste de la bande dessinée. L’encyclopédie que Mathews prépare explore la relativement courte histoire de cette forme d’expression dans le monde arabe qui est devenue l’un des piliers de la culture de masse du XXe siècle. Avec un passé riche en récits d’aventures et d’images, les pays arabes ont, malgré un manque de moyens et la concurrence des productions occidentales, acquis une tradition dans la bande dessinée. « Aujourd’hui, la production de bandes dessinées des pays arabes semble faible, comparée à celle des pays occidentaux. Voilà qui peut paraître étonnant lorsqu’on sait à quel point notre passé est riche en récits d’aventure et en images. » C’est que la BD arabe a souffert d’un manque de moyens endémique, et subi depuis ses débuts la rude concurrence des productions occidentales… Jusque dans les années 1920, en fait de BD, il n’existe que les caricatures politiques et sociales qui paraissent dans les nombreux journaux et revues publiés au Caire et à Beyrouth. Puis les premières publications pour enfants font leur apparition, tout d’abord en Égypte, puis ici et là à travers le Proche-Orient. Mais depuis les années 1970, c’est l’Algérie, et dans une moindre mesure la Tunisie, qui se taillent la part du lion en la matière. Cependant, ces dix dernières années, les BD étrangères, et plus particulièrement les comics et les mangas, ont pris une part croissante dans le marché de la bande dessinée, laissant peu de place aux initiatives locales. « Les comics libanais et arabes ont nécessité beaucoup d’amour, d’efforts et de génie, soupire Henry Mathews. Il serait injuste et cruel de laisser leur histoire se perdre. On peut facilement trouver dans les librairies universitaires un journal politique datant du 19e siècle. Mais les comics libanais, zéro. C’est injuste. Je dis non à l’oubli. » Henry Mathews a publié récemment Histoire de Bissat el-Rih qui relate, comme son titre l’indique, la chronologie de la revue de BD. « Un échec financier », indique-t-il. Mais il persiste et signe. Il voudrait bien republier les BD produits localement, « de véritables œuvres d’art ». Cette grande opération de sauvetage nécessite évidemment des fonds. Qui lui manquent cruellement. « Je pense à tous ces enfants qui attendaient leurs BD avec tant d’amour. Il ne faut pas oublier. » Maya GHANDOUR HERT
Même s’il porte un nom occidental, il n’y a pas plus arabophone que ce Libano-Britannique membre de la grande famille de l’AUB. Henry Mathews, bédéphile, que dis-je, bédévore invétéré, s’attèle en effet depuis un an à construire une encyclopédie de la bande dessinée au Moyen-Orient. La BD arabe aura-elle enfin trouvé son superhéros pour la sauver du monstre de...