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Actualités - interview

INTERVIEW - Chef de projet du Louvre d’Abou Dhabi et du Landmark à Beyrouth, pour l’atelier Jean Nouvel Youssef Tohmé : Une cicatrice est belle si on sait la mettre en valeur

Diplômé de l’école d’architecture Paris-Villemin, associé à l’Agence 109 architectes (lire également « Sang neuf »), et travaillant actuellement comme chef de projet sur le Louvre d’Abou Dhabi et le Landmark du centre-ville de Beyrouth, pour l’atelier Jean Nouvel, Youssef Tohmé, de passage à Beyrouth, a exposé pour « L’Orient-Le Jour » sa lecture de la pratique de l’architecture au Liban où, en raison de la guerre, « une phase d’évolution a été omise », dit-il. Pour combler le temps perdu par quinze années de guerre, l’évolution n’a pas été normale mais « frénétique ». « Nous avons importé des modèles massivement, mais à aucun moment nous n’avons remis en cause ce que nous importions, nous mettant ainsi en position d’acculturation. Or, pour repenser le Liban, il faut tenir compte de la situation géographique du pays, de son héritage historique et culturel, mais aussi de la guerre qui constitue un patrimoine et dont on ne peut nier les traces », estime Youssef Tomé. Déplorant l’« urbanisation par collage », le développement sans mesures planificatrices, et comparant les flancs des montagnes défigurés par les constructions sauvages aux « favelas de rio », Tohmé se déclare pour une architecture à la « verticale ». « Dans un pays qui a 50 km de large pour 200 km de long, il faut pouvoir parer au manque de possibilités par une politique de la ville plus verticale. » Il considère aussi bien « incohérent » de préserver des quartiers pouvant accueillir de la hauteur avec « délicatesse » que de construire sans se soucier du tissu existant. À la question de savoir comment une architecture à la verticale peut intervenir dans des quartiers dits à caractère traditionnel, Tohmé donne à titre d’exemple un projet de tour de logements à Gemmayzé que le bureau des 109 architectes avait présenté à la société Audi Saradar lors d’un concours. « Au cœur d’un quartier où la continuité de la ville traditionnelle est encore présente et où l’identité de l’architecture libanaise nous oblige à être prudents dans notre approche, nous avons proposé des tours de logements élancés depuis l’intérieur de l’îlot mais que l’on ne voit qu’à l’échelle de la ville, c’est-à-dire de l’extérieur de Gemmayzé », précise-t-il. De même, elles ne sont pas conçues comme « un empilement de plateaux » mais plutôt comme « un landmark ». Mais l’architecte n’a pas réussi à faire passer le message ni à faire accepter son projet. Celui-ci a été décroché par le bureau d’architecture de Samir Khaïrallah. Par ailleurs, l’enveloppe reste la question de fond dans l’architecture libanaise. Traitée sous l’angle de « l’esthétisation », du « sensationnel » en Europe, elle existe de facto au Liban sur les façades des bâtiments déchiquetés par les obus, selon Tohmé. « Je pense à un immeuble de Beyrouth que l’on pourrait prendre pour une œuvre de Herzog ! On ne sait pas si son enveloppe relève d’un acte architectural volontaire ou d’un acte de guerre. Ce que l’on essaie de faire en Europe à des fins purement esthétiques est assez cynique vu du Liban. Les recherches sur la dématérialisation, la détérioration, la perforation de la matière menées en Europe deviennent des données au Liban ! » Tohmé ajoute qu’une cicatrice est belle si on sait la mettre en valeur. « Cela me fait penser à l’œuvre de Giacometti, l’homme qui marche. Il n’a plus que les os, mais il continue à marcher. Le Liban, c’est un peu cela, fort et fragile. Et j’ai essayé de traduire cette réalité dans le projet de Gemmayzé. » Youssef Tohmé et ses partenaires travaillent actuellement sur le projet d’extension de la demeure de Mario Saradar à Broummana où le paysage a été abordé avec « un soin et une attention extrêmes ». Au sein d’une forêt de pins qui traverse le terrain, les architectes ont dessiné un bâtiment de loisirs, « une sorte de plot vertical contenant un sauna, une salle de sports et un jacuzzi. Le but étant de s’étaler le moins possible et de densifier verticalement. Quand on pénètre dans ce bâtiment lisse à l’extérieur, on est pris dans une complexité technologique et volumétrique ». La même équipe a élaboré les plans du campus de l’innovation, de l’économie et du sport, de l’Université Saint-Joseph. L’espace est créé de bâtiments juxtaposés et travaillés « de matériaux par contraste, le polycarbonate et le béton banché perforé ». Pour ce projet, les architectes ont fait appel à la technologie structurelle, « ce qui est assez nouveau au Liban », indique encore Youssef Tohmé, dont trois pages lui ont été consacrées dans le Moniteur architecture, amc de juillet dernier. Propos recueillis par May MAKAREM
Diplômé de l’école d’architecture Paris-Villemin, associé à l’Agence 109 architectes (lire également « Sang neuf »), et travaillant actuellement comme chef de projet sur le Louvre d’Abou Dhabi et le Landmark du centre-ville de Beyrouth, pour l’atelier Jean Nouvel, Youssef Tohmé, de passage à Beyrouth, a exposé pour « L’Orient-Le Jour » sa lecture de la pratique...