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Actualités - OPINION

LE POINT Faux samouraï

… Et au 351e jour, Shinzo Abe tomba, victime du Parti libéral-démocrate et de l’Afghanistan. L’histoire retiendra, suprême humiliation, qu’à l’annonce de la nouvelle, la Bourse de Tokyo ne réagit que par la perte d’un malheureux demi-point, fidèle reflet en cela d’une opinion publique qui, à 70 pour cent, avait refusé il y a longtemps de suivre l’homme qui s’était juré de restaurer l’honneur du pays et d’amender une Constitution par lui jugée trop pacifiste. Dans une société policée à l’extrême, où le sourire sert souvent à masquer l’embarras, l’échec est patent. Il faut dire aussi qu’en un peu moins d’un an, le plus jeune Premier ministre de l’après-guerre – l’un des rares politiciens de l’archipel à n’avoir pas connu les horreurs de Hiroshima et de Nagasaki, pas plus que les humiliations imposées par « l’honorable-exécrable Douglas MacArthur » – aura collectionné, et avec quelle délectation morbide, bévues, déroutes, impairs et scandales. Deux semaines après son entrée en fonctions, sa cote de popularité était au zénith, boostée par une visite placée sous le signe de la réconciliation, en Chine et en Corée du Sud. Moins de deux mois après, commençait une lente descente aux enfers qui vient de s’achever sur une conférence de presse qui a vu l’homme, au bord des larmes, reconnaître que la tâche est trop ardue pour lui, que la situation est devenue inextricable, enfin qu’il importe de « limiter au maximum la crise ». Un testament conclu sur cette étrange recommandation : « Nous devons chercher à poursuivre notre mission de lutte contre le terrorisme. » Tokyo à l’avant-garde du combat contre les nouveau kamikazes de l’univers ? Relativisons : il s’agirait plus modestement d’assurer la prolongation par la Diète du mandat de la mission navale nipponne chargée de ravitailler, au large des côtes afghanes, les unités de la coalition mobilisée par les États-Unis pour combattre ces infréquentables talibans qui effectuent présentement un retour en force au pays de l’opium et du bouzkachi. Le plus étonnant dans cette affaire est qu’Abe avait annoncé son intention d’assortir sa requête au Parlement d’une menace de démission pour le cas où elle viendrait à être rejetée et qu’il semble, par son départ, avoir anticipé le vote. Les raisons de cette apparente hâte sont multiples, liées toutes à un affaiblissement de l’équipe ministérielle dont le rythme n’a cessé d’aller crescendo. Fin décembre, le président de la commission chargée de la Réforme fiscale, Masaaki Homma, doit démissionner en catastrophe après des révélations de presse sur sa maîtresse, installée par ses soins dans un appartement de luxe payé avec l’argent de l’État. Un mois plus tard, le ministre de la Santé, Hakuo Yangisawa, suscite un tollé général après avoir qualifié les femmes de « machines à enfanter ». Coup de tonnerre dans un ciel déjà passablement noir : le 28 mai, le ministre de l’Agriculture, Toshikatsu Matsuoka, se suicide après son implication dans des scandales financiers, une affaire aussitôt éclipsée par des propos de Fumio Kyuma, titulaire de la Défense, sur les bombardements atomiques de 1945, décrétés « inévitables ». Il était écrit cependant que le chemin de croix du malheureux successeur de Junichiro Koizumi se terminerait sur le mont Golgotha, mais après deux autres stations au ministère de l’Agriculture – décidément …Le nouveau titulaire de ce poste, Norihiko Akagi, doit s’en aller à son tour, victime de douteux soutiens financiers. Il est remplacé, deux mois plus tard, par Takehido Endo, lequel est forcé à son tour de prendre la porte, imité le jour même (nous sommes au 3 septembre) par Yukiko Sakamoto, secrétaire parlementaire aux Affaires étrangères. On conviendra qu’aucune équipe ministérielle n’aurait résisté à une telle série de cataclysmes, survenant, qui plus est, à quelques semaines d’intervalle l’un de l’autre. Au sein de la hiérarchie du PLD, on évoque – il faut bien sauver la face – des problèmes de santé qui ont motivé ce départ inattendu. On pourrait tout aussi bien parler de la magistrale déculottée du 29 juillet, quand la coalition au pouvoir a perdu sa majorité à la Chambre haute, une première depuis des décennies. Ou encore des piètres qualités de communicant du Premier ministre, de son manque d’autorité, de son inexpérience de la chose publique, de son corset idéologique qui avait fini par l’imperméabiliser contre les préoccupations quotidiennes de ses concitoyens. Le 19 septembre, le parti se dotera d’un nouveau leader, qui endossera l’habit de Premier ministre. Pour autant, les problèmes du Japon seront loin d’être réglés, tant est grande la différence de rythme entre une économie florissante, la deuxième du monde, et une dynastie de shoguns héritière des mœurs politiques du XIIe siècle, invitée aujourd’hui à prendre en marche l’express du troisième millénaire. Alors qu’au nord-ouest, scintillent, menaçants, les premiers rayons d’un autre soleil. Christian MERVILLE
… Et au 351e jour, Shinzo Abe tomba, victime du Parti libéral-démocrate et de l’Afghanistan. L’histoire retiendra, suprême humiliation, qu’à l’annonce de la nouvelle, la Bourse de Tokyo ne réagit que par la perte d’un malheureux demi-point, fidèle reflet en cela d’une opinion publique qui, à 70 pour cent, avait refusé il y a longtemps de suivre l’homme qui...