Rechercher
Rechercher

Actualités

Le discours réformateur de Seif al-Islam permet à son père de tester le terrain, estime le spécialiste George Joffe La Libye, ex-État terroriste, nouvel eldorado des Occidentaux Émilie SUEUR

Depuis la libération des praticiens bulgares, en juillet dernier, l’aéroport de Tripoli ne cesse d’accueillir des délégations de hauts représentants occidentaux. Il y a vingt ans, c’étaient les bombes américaines qui pleuvaient sur la capitale libyenne, alors que Mouammar Kadhafi incarnait le « mal ». Analyse d’un retournement de situation spectaculaire et des perspectives d’avenir d’un pays… riche en pétrole. 15 avril 1986, une soixantaine de jets américains lancent l’offensive contre Tripoli et Benghazi. Plus d’une centaine de personnes sont tuées, dont la fille adoptive de Mouammar Kadhafi. Le président Reagan vient d’adresser sa réponse à l’attentat perpétré, dix jours plus tôt, contre la discothèque La Belle en Allemagne, fréquentée par des soldats américains. Au cours de l’année, Washington avait déjà renforcé ses sanctions contre le régime libyen, avec lequel les relations diplomatiques étaient rompues depuis six ans. En 1992, les Nations unies imposent à leur tour des sanctions contre la Libye afin de la contraindre à livrer deux ressortissants soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat contre un avion de la PanAm au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie, en décembre 1988. « Dans les années 80, Mouammar Kadhafi a réalisé qu’il n’est pas bon du tout d’avoir les États-Unis comme ennemi », explique George Joffe, spécialiste de la Libye et professeur à Cambridge. « Par ailleurs, la puissance économique de la Libye repose exclusivement sur le pétrole. Avec le régime de sanctions, Tripoli s’est trouvée isolée et l’économie libyenne a accusé le coup. » Alors que les États-Unis et l’Europe rompent leurs relations commerciales avec l’industrie pétrolière libyenne, la Jamahiriya étouffe. « Mouammar Kadhafi comprend qu’il est grand temps de changer de stratégie », souligne M. Joffe. « La Libye utilise alors l’affaire de Lockerbie pour revenir dans le jeu international et passer du statut d’État terroriste à celui de partenaire. » En avril 1999, le colonel Kadhafi livre deux suspects accusés d’être à l’origine de l’attentat de Lockerbie. Tripoli accepte également d’assumer la responsabilité légale de l’attaque et de payer 2,7 milliards de dollars de compensations aux familles des victimes. L’ONU lève ses sanctions et les États-Unis reprennent langue avec le régime de Kadhafi. En 2003, la Libye fait un pas supplémentaire et spectaculaire en annonçant qu’elle renonce à son programme d’armes de destruction massive. En mai 2006, Tripoli et Washington annoncent la reprise totale de leurs relations diplomatiques. « Il faut également comprendre que l’ouverture libyenne, si elle satisfaisait les intérêts de Tripoli, rencontrait également ceux de l’Occident. La Libye avait certes un besoin pressant de relancer son industrie pétrolière, mais l’Occident avait également soif d’or noir », souligne M. Joffe. Cette rencontre de l’offre et de la demande a, en outre, permis à la Libye de revenir dans le concert des nations sans contrepartie en termes de démocratisation sur le plan national, notamment en matière de respect des droits de l’homme. Un schéma qui pourrait, d’ailleurs, se répéter avec la Corée du Nord. Le développement du partenariat entre la Libye et le monde a néanmoins été entravé par l’affaire des praticiens bulgares accusés d’avoir inoculé le virus du sida à des enfants libyens. Leur libération, en juillet dernier après huit ans d’emprisonnement, a permis de lever le dernier obstacle à la normalisation complète des relations entre la Libye et l’Occident. Avec à la clé, une pluie de contrats portant sur des millions de dollars. À l’occasion de l’affaire des infirmières, l’un des fils de Kadhafi, Seif al-Islam, a confirmé son importance sur la scène locale et internationale. Déjà impliqué dans le règlement de l’affaire de l’attentat de Lockerbie, il a été l’un des acteurs centraux dans la recherche d’une porte de sortie concernant les infirmières bulgares. Quelques semaines seulement après cette affaire, Seif al-Islam a plaidé, lors d’un discours à Benghazi, pour la défense d’un projet de réformes politiques visant à moderniser le pays. Il a notamment donné les grandes lignes d’un projet de Constitution et souligné la nécessité d’un dialogue politique « hors des congrès populaires », alors que tout débat politique est actuellement interdit en dehors de ce cadre en Libye. Présenté par certains analystes comme un réformateur appelé à succéder à Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam est plutôt, selon George Joffe, « une carte utilisée par le guide pour tester le terrain en matière de réformes ». « Depuis cinq ans déjà, Seif al-Islam lance des ballons d’essai. Mais sur le terrain, aucun changement majeur n’est visible en termes de réforme. La torture continue, il n’y a toujours pas de Constitution. Le régime libyen n’a procédé qu’à des changements cosmétiques. » De toutes les manières, souligne M. Joffe, « Kadhafi n’autorisera que les changements qui n’entameront en rien son pouvoir ». Lors de ses discours, Seif al-Islam a d’ailleurs bien souligné que la personne de Kadhafi était une ligne rouge. Ayant échoué, dans les années 80, à se positionner comme leader arabe, puis ces dernières années à s’affirmer comme leader africain, que cherche aujourd’hui Mouammar Kadhafi ? « Le guide ne peut espérer transformer la Libye en puissance régionale, car il n’est reconnu ni par les Arabes ni par le Maghreb. Par ailleurs, avec seulement 5 millions d’habitants, la Libye n’est pas une puissance démographique. Le développement économique ne suffit pas à lui assurer un statut de puissance régionale, de même que le soutien international dont elle devrait disposer. Aujourd’hui, Kadhafi veut avant tout être reconnu comme un homme d’État de stature internationale. » Une belle revanche pour l’ancien paria.
Depuis la libération des praticiens bulgares, en juillet dernier, l’aéroport de Tripoli ne cesse d’accueillir des délégations de hauts représentants occidentaux. Il y a vingt ans, c’étaient les bombes américaines qui pleuvaient sur la capitale libyenne, alors que Mouammar Kadhafi incarnait le « mal ». Analyse d’un retournement de situation spectaculaire et des...