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Actualités - OPINION

Le dogme de l’infaillibilité « sayyedale », ou l’art de convertir les défaites en victoire

On vient de célébrer la victoire qualifiée de divine par le secrétaire général du Hezbollah en août 2006, avec évidemment beaucoup d’éclat, de démonstrations musclées, d’arrogance et de fanfaronnade ostentatoire. L’objectif serait de révéler une existence certifiée à une catégorie de Libanais et, plus encore, à la planète entière, que l’on tient par les armes et les discours fallacieux, une place centrale dans la structure et le fonctionnement de ce qui reste de cette république déchirée et mise à mort par ce même parti-milice. Qu’il y ait eu une forme de victoire, nul ne peut le nier. Mais ce fut une victoire négative, illustrée par la mise en difficulté de l’armée israélienne, de ses prétentions hégémoniques et de ses fantasmes de puissance militaire régionale invincible. Tout le reste n’est qu’une série de défaites, explicites ou masquées, que le discours de l’infaillibilité « sayyedale » a su convertir en victoires. Tout d’abord, la grave défaite de l’esprit et de la pensée. Se positionnant comme charismatique, infaillible et impeccable (au sens étymologique), Hassan Nasrallah a pu, comme autrefois Gamal Abdel Nasser, malgré les nombreuses déroutes de l’armée égyptienne, galvaniser le peuple chiite dont il a anéanti toute pensée critique et parvenir à pavoiser et à célébrer cette fameuse victoire divine. Cette défaite de la pensée se traduit aujourd’hui par la soumission absolue de la majorité du chiisme libanais aux diktats du seul Hezb, entraînant ainsi l’asservissement du mouvement Amal et détruisant tout autre velléité de distance critique des autres citoyens appartenant à cette communauté. Le suivisme d’Amal, chacun le sait, n’a d’autre objectif que de lutter contre l’asphyxie et l’inanition. Cette outrageuse confiscation de la décision chiite scandalise, révolte, mais reste sans recours, malgré les quelques voix qui s’élèvent, de temps à autre, pour manifester ou affirmer une existence différente. La seconde défaite est d’ordre politique. Obtempérant aux injonctions damascènes de prolonger en victoire politique locale la débâcle de l’armée israélienne, le même Hezb a réussi à gripper la machine étatique dans son ensemble par la fracture du gouvernement, la fermeture de la Chambre des députés grâce à la diligence et à la complicité de son président et l’abolition de toute vie démocratique réelle au moment où l’interaction entre les différents protagonistes devait produire une solution innovante de la crise actuelle. Cet état de fait a généré une multitude d’infractions constitutionnelles, tant au niveau de la présidence de la République qu’à celui de la présidence du Parlement, violations mortelles restées jusque-là impunies. Par leur opposition à la mise en place du tribunal international, le Hezb et ses alliés, naïfs ou abusés, auront voulu indirectement protéger les assassins des hommes politiques condamnés à disparaître par des décideurs soupçonnés et probablement déjà reconnus. Cette collusion évidente restera comme une souillure dont auront à rougir les générations futures au moment où tomberont les masques. Ce qui n’échappe plus à personne, de l’avis de nombreux constitutionnalistes et de politologues, c’est l’orientation essentielle de la milice qui procède méthodiquement au renversement du régime démocratique libanais en ne faisant plus aucune référence aux acquis de Taëf et en préconisant, sans l’avouer, une nouvelle formule de vie commune selon la règle des trois tiers. Il s’agit bien d’un coup d’État rampant, sournois. Tout cela dans la nostalgie de l’hégémonie syrienne, le retour à la servitude de l’ancien occupant, lui emboîtant le pas pour l’instauration d’un totalitarisme teinté de théologie. L’arsenal dont dispose ce parti et présenté comme inutilisable à l’intérieur n’en constitue pas moins une puissance de frappe dissuasive, voire menaçante qui fausse avec évidence le jeu de la communication et du dialogue, et corrompt en la distordant toute velléité d’entente. On n’est plus justement à armes égales pour négocier ou conclure un accord. La troisième défaite est économique, la guerre de juillet 2006 ayant agi comme un violent abrasif de tous les efforts entrepris pour redonner au pays sa stature dans la région. Décidée contre le gré de l’ensemble du pays et dans l’imprévision la plus totale – dixit le sayyed –, la guerre sur le terrain eut pour conséquences une destruction sans précédent d’une grande partie de notre infrastructure routière et du potentiel immobilier de régions entières. Un responsable du Hezb comparait, sans vergogne et sans se rendre compte de la perversité du rapport établi, notre situation globale en août 2006 à celle de Londres en 1945. Ce genre d’arguments ou de démonstrations révèle la considérable manipulation de l’opinion publique par les tenants de la milice et son impact sur une mentalité collective acquise d’avance, soumise, obnubilée. Le sayyed ne peut se tromper et promet victoire sur victoire, même celle attendue au sortir de ce honteux sit-in du centre-ville , producteur de chômage et de ruine, comme ce fut le cas de l’été 2006, fossoyeur des espérances d’une saison estivale bien partie. La défaite culturelle a suivi de très près les autres défaites, le Liban-festival ayant été endeuillé au berceau. Devenu, au fil des ans, un lieu de convergence culturelle reconnu, notre pays illustrait bien sa vocation de creuset aux innombrables manifestations artistiques et à l’intersection des créativités diverses, venues de tous les pôles de la planète. L’éclat et le rayonnement de ce Liban ont toujours fait des jaloux. Quand la liberté d’expression, la création artistique et les manifestations de la puissance de l’esprit, greffées sur une certaine démocratie, sont cernées géographiquement et politiquement par des régimes totalitaires obtus, elles ne peuvent qu’agacer, par le jeu de contraste qu’elles instaurent. La lutte politique et militaire de la résistance n’a pas besoin de culture, comme autrefois la Terreur, durant la Révolution française, n’avait pas besoin de philosophes et de savants. Le développement culturel d’une population n’est-il pas un réel danger pour toute idéologie totalitaire qui préconise un parti unique, une pensée uniforme, une presse asservie et un art aseptisé ? Deux étés successifs sans festivals, c’est le triomphe d’un certain obscurantisme. Comment ne pas évoquer enfin l’irrémédiable défaite humaine dans tous les secteurs où le sujet éclôt et se révèle, et tout d’abord la vie des personnes : les milliers de morts, les dizaines de milliers de blessés et de handicapés à vie, les innombrables traumatisés, adultes et enfants, le million et demi de déplacés. Et tous ces citoyens écœurés, déçus, déprimés, poussés à l’exil, quémandant, dans l’humiliation la plus abjecte, devant les grilles et les portes des ambassades, des visas pour des pays d’accueil étrangers. Tous ces départs ne constituent-ils pas une blessure vive dans le corps de la nation, une déchirure dans le tissu social, un grave déficit dans la structure énergétique, professionnelle et intellectuelle de notre pays ? On nous répondra que l’indépendance ne s’obtient qu’aux prix de grands sacrifices. Encore aurait-il fallu, et cela a été mille fois répété, que l’option eut pu être celle de la nation entière. S’il est relativement facile de reconstruire des ponts, réhabiliter des routes, de réédifier des immeubles entiers en relativement peu de temps, il est infiniment plus long et plus aléatoire de soutenir des personnes dans leur démarche de reconstitution psychique ou de redonner confiance dans leur pays et leurs dirigeants à des jeunes intérieurement affectés ou anéantis. Si la victoire, que l’on a célébré dans le mépris des sentiments de tous ceux qui en ont terriblement souffert, masque autant de défaites dont les conséquences seraient irréparables, c’est que son objectif évident est de défaire le Liban, notre Liban, ce Liban géographique, mythique, mystique ou spirituel que nous voulons garder comme l’incarnation d’une volonté de vivre dans la liberté. Pr Mounir CHAMOUN

On vient de célébrer la victoire qualifiée de divine par le secrétaire général du Hezbollah en août 2006, avec évidemment beaucoup d’éclat, de démonstrations musclées, d’arrogance et de fanfaronnade ostentatoire. L’objectif serait de révéler une existence certifiée à une catégorie de Libanais et, plus encore, à la planète entière, que l’on tient par les...