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Actualités - OPINION

Le rappel à l’ordre

Le mécontentement populaire chrétien engendré par l’adoption de la loi électorale de 2000 et le basculement de la dynamique du printemps de Beyrouth ont constitué un terreau favorable à l’émergence d’un populisme qui s’est avéré peu à peu être un style politique dangereux, qui puise sa force dans la croyance aveugle en un homme soi-disant providentiel et fondé sur des moyens antidémocratiques et un discours politique qui, quelles que soient ses justifications, n’a comme résultat objectif que l’anéantissement des acquis de la révolution de 2005. Plus de deux ans après le retrait syrien, la situation semble chaotique, la crise s’orientant presque inévitablement vers un vide constitutionnel et un deuxième gouvernement, le tout sur fond de criminalité politique jamais égalée, une « irakisation » soft et l’apparition d’el-Qaëda dans le pays. Mais le plus malheureux dans cette descente vers l’abîme, c’est que Michel Aoun n’a pas encore pris conscience de la gravité des événements et ne veut pas tirer les conclusions de son suivisme des alliés de Damas. Il a, au contraire, développé une animosité personnelle à l’égard de toute personne qui ose le contredire, un étonnement et une aigreur à voir se briser ses chances pour la présidence de la République, enfoui dans la rhétorique du « tout le monde est traître sauf moi », un populisme qui veut promettre tout et tout de suite, une surenchère d’arguments légers, et une allusion systématique au « peuple » au détour de chaque phrase. Ainsi, le Metn sera le Conseil d’État du « peuple » face à l’actuel Conseil d’État (dont tant de magistrats sont irréprochables), tout comme le palais présidentiel s’était transformé en 1988 en « palais du peuple », avec toutes les aventures que cela a dû nous coûter, en vies humaines et en effondrement des institutions, et qui a ouvert la voie à quinze ans d’occupation militaire. À la question de savoir pourquoi il refusait le déploiement d’une force multinationale à la frontière syrienne, il a tout mécaniquement répondu sur l’antenne d’al-Jazira que c’est au « peuple » de contrôler la frontière et que les habitants des villages limitrophes seraient mieux à même pour surveiller la contrebande d’armes. Ambitieux programme pour quelqu’un qui ne cesse de stigmatiser l’insuffisance du gouvernement en matière de sécurité (alors qu’il sait que cela fait quarante ans que l’État n’existe pas et qu’aujourd’hui il n’y a pas un État, mais deux États si l’on compte celui du Hezbollah), mais qui n’a pas le courage de dénoncer la source principale de nuisance, à savoir la Syrie, laquelle a tissé au Liban une véritable toile de fond terroriste, et dont le principal allié, le Hezbollah, a invoqué « des lignes rouges » pour rejeter toute idée offensive sur le camp de Nahr el-Bared. Exporter la violence On sait pertinemment aujourd’hui, au moment où el-Qaëda installe sa « succursale » au Levant, « el-Qaëda Bilad el-Cham », après la péninsule Arabique, l’Irak et le Maghreb, que la Syrie sert de base arrière aux groupes jihadistes en Irak, qu’elle n’est pas innocente dans le coup d’État du Hamas dans la bande de Gaza et qu’elle cherche aujourd’hui à exporter cette violence diffuse au pays du Cèdre par le biais des organisations salafistes déjà établies, Osbat el-Ansar et Jound el-Cham, des activistes du PSNS (rallié à Aoun au Metn) et des combattants du FPLP-Commandement général d’Ahmad Jibril. Sans parler de la récente greffe des nouveaux venus de Fateh el-Islam, dont le réseau en Jordanie a été démantelé par les autorités du roi, et leur chef, Chaker Absi, a transité via la Syrie avant de s’infiltrer dans le camp de Naher el-Bared. Entre-temps, Michel Aoun ne veut rien voir autre que « l’islamisation » planifiée d’un gouvernement qui, à part l’erreur d’avoir voulu supprimer le vendredi saint du calendrier des fêtes nationales – ce qui a déclenché une vive surenchère de la part de l’opposition – n’a fait que consacrer ce que les chrétiens ont depuis longtemps revendiqué au plan politique, à savoir : l’envoi de l’armée au Sud, le respect de la légalité internationale et donc du tribunal spécial chargé de connaître de l’assassinat de Rafic Hariri, le monopole étatique des armes, le retour à l’armistice de 1949 avec Israël, l’établissement de relations diplomatiques avec Damas et la délimitation de nos frontières avec la Syrie et, plus que tout, la volonté de fixer une loi électorale juste et représentative. Un gouvernement, répète Michel Aoun, à la « solde des États-Unis », reprenant par là le discours démagogique du Hezbollah, alors que Siniora s’est battu pour que le Hezb ne figure pas sur la liste des organisations terroristes et que Tarek Mitri s’est démené pour lui assurer une sortie honorable lors de la guerre de juillet. Nabih Berry avait même qualifié le cabinet actuel de « gouvernement de la résistance ». Populisme Toujours est-il que Michel Aoun espère en finir avec les féodalismes politiques, avec Skaff, Karamé, Frangié et tant d’autres à ses côtés, et doté d’un gendre qu’il n’a pas fini d’adouber en tant que successeur et héritier de sa formation politique. Il réclame par ailleurs un audit financier en s’alliant avec Berry et se fait le champion de la lutte contre « l’imminence » de l’implantation des Palestiniens alors que cela fait plus de 60 ans que le spectre de l’implantation nous hante, que ce n’est pas demain la veille, et qu’un consensus national s’est déjà dégagé face à un tel danger. C’est encore de la guerre civile que Michel Aoun prétend nous avoir sauvé grâce au « document d’entente » avec le parti de Dieu, comme si nous allions nous ruer, le couteau entre les dents, sur les combattants du Hezb et que celui-ci était sur le point de massacrer les populations de Marjeyoun, Jezzine ou Aïn Ebel, alors qu’il assume, lui, avec la coresponsabilité de Geagea au début des années 1990, le suicide collectif chrétien, cette guerre civile dans la guerre civile où, invraisemblablement, Aïn el-Remmané pilonnait Achrafieh et que le Kesrouan bombardait le Metn… La dernière traduction du populisme s’appelle la « marginalisation des chrétiens ». Hier encore, Michel Aoun se voulait foncièrement laïc et appelait à la suppression du confessionnalisme politique à l’heure où la principale cible du régime syrien était les formations chrétiennes souverainistes, dont le CPL était l’un des piliers. Tout au plus voyait-il dans sa lutte un enjeu national – et il avait raison – dans lequel la souveraineté de l’État devait être rétablie, sans considération confessionnelle aucune, même si le discours indépendantiste était relayé essentiellement au niveau de la rue chrétienne. Pourquoi cherche-t-il aujourd’hui à attiser des peurs qui n’ont pas lieu d’être, à l’heure où les chrétiens commencent à souffler, qu’ils ne désirent plus le maintien de l’état de guerre avec Israël, ni être pris en otages entre le Hezbollah et l’État hébreu, qui se préparent tous deux à une nouvelle confrontation et que, si elle a lieu, ce sera au nord du Litani cette fois, le choc devant être plus violent qu’en juillet 2006 ? La Finul, en tant que force d’interposition et non de dissuasion, ne pourrait qu’assister, à ce moment-là, impuissante et débordée, au déferlement de la violence guerrière. Si Michel Aoun dénonce une quelconque islamisation de la part de la famille Hariri, pourquoi ne va-t-il pas jusqu’au bout de sa logique, en demeurant conséquent envers lui-même et en dénonçant le pari pris contre l’État par le Hezb (véritable État dans l’État) alors qu’il est le premier parti musulman et que, jouant à la fois de la double carte nationale et confessionnelle sur le plan intérieur et de l’autre double carte, régionale et idéologique celle-là, il cherche à instaurer les enseignements de Khomeiny, fort éloignés du chiisme traditionnel libanais. Si Michel Aoun cherche par ailleurs au Metn à rétablir « les prérogatives de la présidence de la République » parce que le décret de convocation du collège électoral est, selon lui, illégal (s’il allait encore une fois au bout de sa logique, il aurait dû boycotter les élections) et s’il s’obstine à reconnaître Émile Lahoud, au nom de ces mêmes prérogatives, pourquoi n’a-t-il pas reconnu René Moawad et Élias Hraoui, si ce n’est à cause de l’absence de convergence entre la légalité et la légitimité politique à l’époque ? Les élections du Metn ont pu être organisées justement pour arrêter le bain de sang dont sont la cible les leaders du 14 Mars, et parce que, face à l’obstination des membres de l’opposition, il ne restait plus que la lutte démocratique. Que Michel Aoun se rassure. Le jour viendra où nous demanderons à Walid Joumblatt de s’expliquer sur la gestion du dossier des déplacés dans le Chouf et le Chahar ; où nous demanderons à Hariri de s’expliquer sur le manque de transparence de la société Solidere et sa gestion des biens des particuliers, mais où nous demanderons aussi à nombre des « nouveaux amis » du général de rendre compte de ces années passées au sein d’un État en marge de toute légalité, avec toute la répression des libertés qui a suivi. On n’avance cependant pas en politique autrement que sur la base de priorités et de réalités, et les réalités aujourd’hui, même si Michel Aoun refuse de l’admettre, c’est le chaos syrien instauré au Liban, c’est le coup d’État rampant du Hezb face au capital « nahdawi » du printemps de Beyrouth incarné par une équipe au pouvoir, aussi boiteuse soit-elle, mais parfaitement légale. Le général met en avant aujourd’hui un choix des plus pernicieux, qui ressemble pour beaucoup à la célèbre apostrophe de l’Américain Richard Murphy concernant Mikhaël Daher : « C’est lui ou le chaos… » (et Dieu sait combien nous aurions aimé que Daher soit élu s’il n’avait pas renié la plupart des principes au nom desquels il avait lutté). Les chrétiens se sont mobilisés autour de Aoun en juin 2005 pour sanctionner l’adoption hâtive d’une loi électorale qui leur était défavorable. Ils ne s’étaient pas ralliés à un projet, même si Michel Aoun a suscité des attentes jamais comblées. La déception fut rapidement au rendez-vous, aggravant ainsi la frustration de nombre de ses anciens partisans. C’est là tout l’enjeu de la partielle du Metn dimanche prochain. Le scrutin est l’occasion en or de rappeler à l’ordre Michel Aoun et de lui signifier que s’il a obtenu la majorité des suffrages en 2005, il ne saurait en aucun cas imposer à ses anciens électeurs des options contre nature. Amine ASSOUAD Avocat

Le mécontentement populaire chrétien engendré par l’adoption de la loi électorale de 2000 et le basculement de la dynamique du printemps de Beyrouth ont constitué un terreau favorable à l’émergence d’un populisme qui s’est avéré peu à peu être un style politique dangereux, qui puise sa force dans la croyance aveugle en un homme soi-disant providentiel et fondé sur...