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Actualités - interview

L’ambassadeur d’Italie insiste sur le respect de la Constitution Checchia : Il faut tout faire pour protéger le Liban-message, modèle de coexistence et de multiculturalisme

Entre le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, qui met en garde contre un retour à la guerre si les parties au conflit ne reprennent pas langue, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui met l’accent sur la gravité de la situation au Liban et dans la région, et la tempête politique qui s’amplifie à la faveur des partielles, les Libanais avaient besoin d’une note d’espoir. Un espoir que l’ambassadeur d’Italie, Gabriele Checchia, s’emploie à entretenir en se disant persuadé du « bon sens » des Libanais et en relevant les efforts constants de la communauté internationale, l’Europe en particulier, pour aider les Libanais à dégager une solution à la crise. Le diplomate – dont le pays assume au plan local la présidence de l’Union européenne, en l’absence d’une mission diplomatique portugaise à Beyrouth – met en relief la concordance de vues libanaises sur un élément fondamental à ses yeux, à savoir que le conflit potentiel constitue, pour tous, une ligne rouge. Un élément important, dit-il, pour balayer les craintes d’une résurgence des hostilités, même si le risque de dérapages « que nous voulons éviter » existe. M. Checchia met particulièrement l’accent sur l’importance du respect de la Constitution et souligne la constance de l’engagement international au Liban comme « pays-message, modèle de coexistence et de tolérance », d’autant que cette spécificité libanaise a été compromise avec « le repli de chacun vers son identité » depuis juillet 2006. Pour l’Italie, où le dossier libanais est devenu une « cause nationale », protéger les spécificités libanaises représente le principal enjeu. «Le dossier libanais unit les Italiens qui se reconnaissent tous dans cette cause, souligne l’ambassadeur. Cela a été démontré par la très large majorité qu’a obtenue au Parlement la décision de participer en premier à la mission de la Finul, ainsi que par les visites régulières de responsables italiens de haut niveau au Liban : le président du Conseil et les ministres des Affaires étrangères et de la Défense notamment, des parlementaires de la majorité et de l’opposition, le président du Parlement, des vice-ministres et de hauts officiers. » « Nous sommes tous conscients que l’enjeu ici, poursuit M. Checchia, n’est pas lié à la crise politique, car chaque pays démocratique a ses vicissitudes politiques. Nous pensons qu’il faut tout faire pour protéger le Liban tel que nous le connaissons, le Liban-message, modèle de coexistence, de multiculturalisme et de multiconfessionnalisme, dans une région du monde, comme le Moyen-Orient, qui est soumise à des tensions continues. Nous pensons que la spécificité du Liban, c’est la tolérance dont son histoire a toujours été empreinte, même dans les moments les plus difficiles, et qu’il faut sauvegarder. Le pays a vécu des guerres et des moments atroces, mais le fond du pacte national n’a jamais été mis en question. » Sur l’engagement européen, notamment italien, en faveur du Liban, il explique : « Nous avons senti après la guerre de l’été dernier que le Liban-message pourrait être en danger majeur, en raison des crispations et des replis de chacun vers son identité. Nous avons alors voulu aider le Liban à redevenir un État fort et respecté, à même d’exercer son pouvoir, comme dans chaque démocratie, sur l’ensemble du territoire national. C’est d’ailleurs cette idée qui a été à la base de la résolution 1701, à laquelle nous avons contribué dès le début avec enthousiasme et conviction. Le gouvernement italien a œuvré dans ce sens et je pense que la conférence de Rome (en août 2006) a été le début de l’initiative diplomatique internationale pour soutenir le Liban. Elle n’a pas permis d’obtenir immédiatement les résultats que nous souhaitions, mais elle a enclenché une dynamique très importante qui a ensuite débouché sur la 1701. En même temps, nous avons travaillé avec beaucoup de conviction sur la mise en place de la Finul, à travers la Task Force sous commandement italien, qui a permis en quelques semaines la levée du blocus (israélien), et dont la mission a été appréciée par toutes les familles politiques libanaises. Nous avons ensuite déployé dans le cadre de la Finul le contingent le plus important. » Soulignant que la désignation d’un Italien, en l’occurrence le général Claudio Graziano, à la tête de la Finul, « prouve encore une fois l’importance que Rome attache à la mission de cette force », M. Checchia rappelle que la mission du contingent italien est d’aider à la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions de la 1701, « mais sur la base d’un dialogue régulier ouvert avec toutes les composantes de la population locale », et d’assister la population pour revenir à des conditions de vie normales. Après avoir expliqué que les Casques bleus aident l’armée libanaise dans les domaines qu’elle souhaite, il insiste sur l’application de la 1701 « d’une façon ponctuelle et correcte », et rend un hommage appuyé aux forces régulières « pour leur rôle, comme facteur d’équilibre, dans ces moments difficiles de la vie du pays ». « Nous apprécions aussi le courage et l’esprit de sacrifice dont les officiers et les soldats de l’armée font montre dans leurs combats à Nahr el-Bared », ajoute-t-il, en se félicitant de la « coordination remarquable avec le gouvernement ». Pour lui, il s’agit d’« une action d’ensemble qui va dans le sens que nous souhaitons : un État fort, démocratique, respecté par tous ses citoyens et ouvert au dialogue avec toutes les composantes de la population ». M. Checchia regrette cependant que cette action se déroule sur fond de crise politique aiguë et souligne la contribution des responsables italiens qui sont venus au Liban aux efforts de règlement, en précisant que cette contribution était « basée sur le dialogue et le respect de toutes les sensibilités ». « Nous savons que dans chaque démocratie, il y a une dialectique toujours vivace entre majorité et opposition, mais il faut qu’elle demeure dans un cadre constitutionnel. Nous allons tout faire pour que le dialogue entre les familles politiques et les différentes sensibilités reste encadré par la Constitution et les valeurs communes libanaises », affirme-t-il, en précisant que ces efforts se poursuivront « en étroite liaison avec nos partenaires européens », notamment à la faveur de nouvelles visites d’officiels italiens à Beyrouth, à l’approche de la présidentielle. « Nous collaborerons à cette fin avec Lisbonne et la délégation de la Commission européenne. Je tiens beaucoup à ce travail d’équipe parce qu’il faut que l’UE, au Liban ou ailleurs, ait une seule voix pour être crédible. En tant que président local, je vais tout faire pour transmettre ce message d’une UE qui réfléchit ensemble et qui essaie d’œuvrer en faveur du Liban dans la mesure de ses possibilités. Nous essaierons encore d’apporter un message de bon sens et de pousser au dialogue et au compromis », insiste M. Checchia. Le diplomate se montre nuancé quant aux résultats des médiations entreprises pour régler la crise. Il refuse ainsi de parler d’un échec. « S’il y a un échec, il est à court terme, au moment où une mission s’achève. Personnellement, je crois qu’il faut réfléchir en termes de dynamique. Il faut éviter que la situation dérape et je pense qu’un résultat important a été acquis à ce niveau, grâce aux efforts de la communauté internationale et de l’UE, ainsi qu’au bon sens des politiciens libanais. Ils nous disent tous que la paix civile est une ligne rouge et cela nous fait immensément plaisir de les entendre le dire. Nous essayons de soutenir cette conscience par des suggestions que nous tentons de véhiculer, sans pour autant remplacer les Libanais, parce qu’il faut parvenir à créer à nouveau une dynamique de dialogue purement libanaise. Nous savons que la base est solide. » Quant aux propos du chef de la diplomatie française sur un éventuel retour aux violences si le dialogue n’est pas repris, M. Checchia n’y voit pas un manque d’espoir, mais un appel à éviter les risques. « Nous savons que rien n’est acquis, reconnaît-il, mais comme la paix civile constitue une ligne rouge, de l’aveu même des dirigeants libanais, nous devons tout faire pour qu’elle le reste, sachant qu’aucun d’entre nous n’a des certitudes. Je pense que M. Kouchner a voulu lancer un avertissement selon lequel il n’est pas possible de prendre des risques. Je ne le vois pas comme un manque de confiance, mais comme un avertissement qu’il lance aux Libanais et à nous tous, pour qu’on poursuive nos efforts. C’est le même message qui a été lancé par les membres du gouvernement italien lors de leurs visites à Beyrouth. » S’il insiste sur un règlement libanais de la crise, il souligne parallèlement que les responsables européens sont parfaitement conscients de l’impact du facteur régional sur le Liban. « On ne peut pas envisager une solution à la crise libanaise sans adopter une approche globale. C’est l’essence du message que tous les responsables européens venus au Liban véhiculent. Le Liban est un pays cher à nous tous, mais il est placé dans une région où il y a d’autres acteurs qu’il faut impliquer d’une façon positive en vue d’une solution à cette crise. » Pas de blancs-seings à quiconque concernant le Liban Au terme de sa visite, il y a quelques mois, au Liban et à Damas, le ministre italien des Affaires étrangères, Massimo D’Alema, avait parlé de signes encourageants provenant de Damas, sans qu’on ne sache exactement de quoi il s’agissait. « Il n’est pas rentré dans les détails, explique M. Checchia, mais je pense que le message qu’il voulait transmettre est qu’il faut que tout le monde sache que le Liban est un pays que la communauté internationale ne va jamais abandonner à son destin. Nous sommes ainsi prêts à entrer dans des négociations avec tout État de la région qui peut avoir un rôle à jouer dans ce pays, sur des dossiers qui l’intéressent, mais il faut qu’il donne des gages de bonne volonté quant au dossier libanais. On ne va pas donner de blancs-seings à quiconque concernant le Liban, soyez-en sûrs. Tous les messages d’ouverture qu’on adresse aux pays avoisinants sont accompagnés de demandes précises de comportements acceptables et constructifs par rapport au Liban. On ne va pas sacrifier ce pays pour des équilibres qui le dépassent. C’est une politique sans équivoque de l’Union européenne. M. Javier Solana a été très clair à ce sujet », insiste-t-il, estimant que le dossier libanais est tellement complexe, qu’il faut bâtir pas à pas une sortie de crise. « Mais comme plusieurs États ont des positions divergentes sur les dossiers régionaux, il ne faut pas être pressé et donner le temps à la diplomatie pour mener à bien son travail, sachant que celle-ci a aussi ses limites. Aucun d’entre nous n’a des solutions miracles. » En ce qui concerne plus particulièrement la position européenne, marquée par des divergences sur la façon de traiter le dossier syrien, M. Checchia affirme : « La politique européenne est complexe. On la fait à 27 maintenant et la Commission européenne joue un rôle important, les pays membres aussi. On essaie de trouver peu à peu une position commune. Il se peut parfois qu’il y ait un décalage entre certaines sensibilités nationales et certaines politiques communautaires, mais la politique de l’UE en tant que telle est le fruit de ces sensibilités, qui ne coïncident pas toujours, mais qui doivent trouver un dénominateur commun. C’est donc un effort que les ministres des Affaires étrangères poursuivent à l’occasion de leurs Conseils et que les fonctionnaires des différents pays mènent à un autre niveau. Les dossiers qui ne sont pas parfois agréés vont souvent au Conseil européen et c’est donc à ce niveau le plus élevé des chefs d’État ou de gouvernement que la position européenne est arrêtée. » « Avec toutes nos limites, on a jusqu’à présent réussi à avoir des politiques agréées sur des dossiers délicats. Je suis sûr que le Liban est un terrain où la présence de l’Europe, comme acteur politique international, essaiera de s’exprimer le mieux et c’est ce qu’on est en train de faire », observe-t-il. Concernant la présidentielle, le diplomate affirme qu’il « faut tout faire pour que cette échéance se déroule dans les délais et suivant les modalités établies par la Constitution ». « On souhaite qu’un accord puisse être trouvé. Les deux camps doivent continuer à se parler. Le débat est en cours. Nous ne voulons pas introduire des éléments qui pourront préjuger de la conclusion. Ce qui nous tient à cœur, c’est l’unité du Liban. » M. Checchia assure ainsi que les contacts menés en faveur du Liban vont s’accroître d’ici à septembre. Des contacts qui seraient peut-être menés loin des feux de la rampe. Selon lui, le dossier est « tellement sensible et important, qu’il requiert également beaucoup de discrétion ». Le diplomate écarte face au blocage actuel, l’éventualité que le Liban devienne un non-État avec des institutions qui ne fonctionnent pas. « La qualité de la population libanaise ne le permettra pas. Je pense qu’il y a un souci à se faire si la crise persiste, mais nous continuerons d’œuvrer pour que ce risque reste un cauchemar qui ne sera jamais concrétisé. » Excluant également la possibilité que les efforts diplomatiques soient rattrapés par la guerre, M. Checchia indique que la paix a beaucoup de chances de l’emporter, « parce que nous faisons confiance aux Libanais et au bon sens de la communauté internationale ». * * * Une Italie engagée culturellement et socialement au Liban L’Italie a toujours été le premier partenaire commercial du Liban. Après la guerre de juillet 2006, elle avait perdu quelques places qu’elle a cependant vite récupérées. Aujourd’hui, Rome est de nouveau le premier partenaire commercial du Liban. Mais la coopération avec l’Italie ne se limite pas à ce niveau, puisqu’elle touche à de nombreux autres domaines, culturels et de développement en particulier. Présente au Liban depuis des années à travers ses très actives ONG, l’Italie a renforcé depuis un an son engagement en faveur du développement dans le pays, que ce soit à travers ses organisations non gouvernementales ou à travers son contingent, qui entretient d’excellents rapports avec la population locale du Liban-Sud, assure M. Checchia. Les Casques bleus italiens aident les sudistes à retrouver des conditions de vie normales et sont à l’écoute de leurs besoins, explique l’ambassadeur, précisant que Rome est « très engagé dans la reconstruction de l’infrastructure, ponts, électricité et réseaux de communication dans les villages ». L’une des priorités de l’Italie est actuellement le déminage « pour lequel nous avons déboursé 2 millions d’euros dans le cadre onusien, parce que nous savons combien ce projet est important pour la population du Sud ». « Les mines et les sous-munitions constituent une menace pour les couches les plus faibles, comme les enfants, d’où notre campagne scolaire de sensibilisation à leur danger, ainsi que pour les agriculteurs qui ne peuvent pas exploiter leurs terres », ajoute M. Checchia, avant de faire état d’autres projets de coopération en faveur du Liban, gérés par le ministère des Affaires étrangères et les agences compétentes. Il s’agit du « Programme Ross », axé sur le Liban-Sud et qui est mis en place parallèlement aux projets de coopération classique, exécutés à travers des ONG « qui mènent un travail remarquable et qui sont actives dans de nombreux domaines ». Dans le cadre du « Programme Ross », 35 projets sont exécutés dans une centaine de localités de la partie méridionale du pays. « J’ai signé le 17 novembre, avec le président du CDR, un protocole dans lequel on détaillait tous les projets que l’Italie allait financer, même dans le cadre du “Programme Ross”. Il y a également la coopération ordinaire, affectée sur le plan multilatéral, aux agences spécialisées des Nations unies et dont le montant se chiffre à dix millions d’euros, à ajouter aux 15 millions d’euros consacrés aux ONG, sans oublier les 5 millions d’euros destinés à soutenir le budget libanais, pour des projets de reconstruction et la réhabilitation de l’infrastructure endommagée par la guerre. Il y a également les 120 millions de Paris III », explique M. Checchia. Au Liban-Sud, souligne-t-il en réponse à une question, la coopération avec la population proche du Hezbollah se passe très bien. « Les ONG ont un dialogue régulier avec les municipalités, donc elles ne s’adressent pas à leurs responsables en tant que représentants de partis politiques, mais en tant que représentants des institutions concernées par le développement. Notre axe est l’autorité locale sur place, donc les municipalités. La même chose s’applique aux délégations que nous recevons en Italie dans le cadre de la coopération bilatérale. Elles sont de bords différents. » L’ambassadeur insiste en outre sur la dimension culturelle entre les deux pays. « Elle a toujours joué un grand rôle dans les relations bilatérales. Nous sommes deux pays qui appartiennent à une grande culture. C’est la culture de la Méditerranée. Le Liban nous a donné, à nous tous Européens, des outils extraordinaires pour nous ouvrir au monde. Je parle évidemment de l’alphabet, de la navigation. Nous avons misé tout de suite après l’indépendance du Liban sur le volet culturel comme moyen de communication. Nous avons toujours mené une politique culturelle très active au Liban et en Italie. Le point d’orgue cette année de cette coopération a été le magnifique concert qui a été organisé dans le palais du Quirinal, où le président de la République a tenu un très beau discours à l’égard du Liban. Le fait même qu’on ait pensé au maestro Muti et au palais du Quirinal en signe de solidarité avec le Liban et en l’honneur de ce pays montre à quel point ce pays est perçu par nous tous comme un pays-message qu’il faut sauvegarder, parce que c’est celui de la coexistence et du respect de l’autre. C’est ainsi que nous percevons le Liban et nous voulons continuer de le percevoir comme tel. Même ce genre de manifestation culturelle répond à cette image du Liban. » Dans le même ordre d’idées, M. Checchia met en relief l’italien enseigné ou pratiqué au Liban. « Il y a des projets magnifiques qui sont en cours, au Liban-Sud et dans tous les lycées du pays où l’italien est enseigné comme une deuxième langue. Nous avons aussi un lecteur (un professeur de littérature italienne) dans les universités libanaises. Beaucoup de Libanais parlent l’italien. C’est un atout majeur pour nous et pour les rapports entre les deux pays, même dans les domaines professionnels très sophistiqués, tels que la médecine, l’agronomie et la biotechnologie. La langue va ainsi rester un des axes de la coopération bilatérale. La culture aussi. » Tilda ABOU RIZK

Entre le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, qui met en garde contre un retour à la guerre si les parties au conflit ne reprennent pas langue, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui met l’accent sur la gravité de la situation au Liban et dans la région, et la tempête politique qui s’amplifie à la faveur des partielles, les Libanais avaient...