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Actualités - ANALYSE

ANALYSE Au cœur de la partielle du Metn, un triple enjeu politique, stratégique et éthique

Il y a quelque chose de pourri en ce royaume du Metn. Non que le Metn ait jamais été une région facile, surtout dès lors qu’il s’agit pour les différentes – et ô combien nombreuses et jalouses de leurs microspécificités – composantes politiques d’en découdre. Au contraire : de tout temps, le Metn-Nord a été l’arène des affrontements politiques les plus terribles. Le pluralisme et la diversité politiques inhérentes au tissu sociopolitique, dans une région pourtant moins complexe que d’autres sur le plan socioconfessionnel, donnent toujours à la bataille électorale metniote une envergure différente. Ces batailles ne se limitent jamais, par conséquent, à de simples consultations électorales ; qui plus est lorsqu’il y a une présidentielle en jeu, au bout du compte. Si, en plus, toute la bataille s’articule, au Metn, autour d’une partielle pour un siège opposant deux leaders principaux sur le plan national, le président du parti Kataëb, Amine Gemayel, et – par l’intérim de Camille Khoury – le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun... Inutile de dire ce qui se prépare. En 2002 déjà, faut-il le rappeler, l’ensemble du Metn était entré dans un choc titanesque, autour d’un siège orthodoxe resté vacant après le décès du grand Albert Moukheiber, pour une bataille très symbolique entre le courant souverainiste, représenté à l’époque par Gabriel Murr, et les prosyriens, emmenés par Myrna el-Murr Aboucharaf. Cette nouvelle bataille du Metn, si elle a lieu – et il semble bel et bien qu’il n’y ait d’autre issue que la confrontation –, comportera donc une multitude d’enjeux phénoménaux. Il faut donc en faire une analyse en trois dimensions : politique à court terme d’abord, stratégique à long terme ensuite, et, en troisième lieu, symbolique et éthique. Sur le plan politique : la présidentielle Tout le monde en parle déjà : l’enjeu premier qui se profile à l’horizon est la présidentielle. Si Michel Aoun emporte la bataille, il parviendra ainsi à adresser un message fort à l’ensemble des composantes politiques libanaises et à la communauté internationale, le même d’ailleurs qu’il ne cesse de marteler depuis sa victoire aux législatives de 2005. En l’occurrence qu’il est le plus fort sur la scène chrétienne et qu’il est donc, une fois de plus, l’unique candidat sur la scène présidentielle, n’en déplaise à tous ceux qui refusent, ici ou ailleurs, d’accepter cela, à commencer par les pôles chrétiens du 14 Mars. À ces fins, il n’aura de cesse de jouer sur la corde sensible pour mobiliser les masses chrétiennes : la marginalisation des chrétiens au pouvoir, au sein des institutions, du fait du pouvoir actuel. En se posant évidemment comme la seule alternative, le seul redresseur de torts, l’homme par qui arrive l’État. Une propagande facile, mais qui, au demeurant, paie très bien ces jours-ci. Dans ce cas de figure, il ne faut pas se faire beaucoup d’illusions : quelle que soit la contribution – que l’ont dit, à raison, vitale – de Michel Murr à l’élection du cheval de bataille du général Aoun, l’ancien ministre de l’Intérieur n’en tirera pas grand crédit. Michel Aoun n’accepterait pas la moindre allégation selon laquelle sa popularité a baissé en raison de son alliance avec le Hezbollah et de la ligne politique qu’il suit depuis deux ans. Son amour-propre ne l’acceptera pas. C’est lui, et rien que lui, qui emportera la bataille du Metn parce qu’il est, dit-il, le leader chrétien incontesté et incontestable. Et, dans la même logique monopoliste, pour ne pas dire autre chose, c’est donc lui, et rien que lui, qui doit accéder à la plus haute magistrature. Point final. Évidemment, cela met à mal Michel Murr, obligé de rechercher une issue pour éviter la confrontation et maintenir les équilibres ancestraux du Metn, notamment ses liens historiques et complexes avec les Gemayel. Une défaite d’Amine Gemayel serait purement et simplement un fait nouveau sur la scène metniote, dans la mesure où jamais une za’ama de cette envergure n’aura été battue. Une telle défaite aurait, elle, des répercussions fondamentales qu’il convient d’analyser sur le plan stratégique, et non sur le seul plan politique. Enfin, toujours sur le court terme et la présidentielle, et toujours selon la même logique, une défaite du général Michel Aoun porterait un coup sérieux au mythe Aoun et remettrait sérieusement en question sa position dans la présidentielle. Sur le plan stratégique : les options historiques chrétiennes Le CPL et son chef ont tendance à privilégier la tactique à la stratégie. C’est pourquoi, dans une certaine mesure, la première dimension est peut-être, dans leurs calculs, la plus importante. Force est de constater qu’il n’en est rien dans la réalité. La bataille du Metn dépasse largement le cadre du Metn, et peut-être même du Liban sur le plan stratégique. C’est une confrontation qui oppose, à un premier niveau, deux camps politiques, le 14 Mars et le 8 Mars. Tout le monde connaît les discours politiques des deux formations et leur positionnement stratégiques. Inutile donc de revenir sur cela. C’est aussi une confrontation qui oppose deux alliances socioconfessionnelles, les électeurs metniotes menant en effet une bataille nationale par intérim : l’alliance du printemps de Beyrouth avec la composante souverainiste sunnite contre l’entente avec le Hezbollah. Une bataille qui s’inscrit aussi, même si les électeurs du CPL continueront éternellement à le nier, dans le cadre de la contre-offensive syrienne contre la révolution du Cèdre. Pierre Gemayel a bien été assassiné dans le cadre d’une stratégie politique du vide politique au profit du régime syrien, pour annihiler la majorité, même si certains cadres du CPL continuent de penser réellement que « les assassins du ministre de l’Industrie font partie de l’un des principaux pôles chrétiens du 14 Mars, dans l’objectif de diviser les rangs chrétiens et de monter Amine Gemayel contre Michel Aoun pour renforcer leur position ». On pourra penser ce que l’on veut, mais il reste pour le moins étrange que toutes les personnalités assassinées soient des députés ou des penseurs de la majorité souverainiste, pour la vider de sa substance et la faire chuter. Le général Aoun oublie-t-il qu’il a été l’un des premiers, du temps où il était le défenseur le plus intransigeant de la souveraineté libanaise, à accuser le régime syrien de toutes les éliminations physiques au Liban ? Le problème, c’est que le chef du CPL a décidé de mettre fin à sa bataille contre le régime syrien avec le retrait des forces d’occupation du Liban en 2005. C’est encore là une erreur stratégique. Damas est toujours aussi présent au Liban qu’il déstabilise toujours autant. Étrangement, son pouvoir de nuisance est encore plus fort, parce que plus mis à nu, depuis son retrait. Sauf pour ceux qui veulent croire à la grande conspiration internationale, encore dans les rangs du CPL. Mais la discussion avec ceux-là échappe au cadre des faits politiques et entre immédiatement dans la science-fiction. Que faire alors ? Il résulte de tout cela que, sur le plan stratégique, la bataille du Metn est aussi axée sur le patrimoine historique, politique et culturel des chrétiens du Liban. Les options chrétiennes fondamentales, celles de Béchara el-Khoury, Raymond Eddé, Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Hamid Frangié, ont toujours été : la défense de la souveraineté et de l’indépendance du Liban, comprise comme face à la Syrie ; l’édification de l’État de droit seul détenteur du monopole de la violence légitime, surtout au Sud ; la convivialité islamo-chrétienne et l’ouverture sur la communauté internationale, et le respect de la légalité internationale. Le CPL et son chef sont, depuis 2005, dans une position de neutralité positive ou de silence sur la contre-offensive syrienne ; ils sont alliés au Hezbollah et justifient le maintien par ce parti de son arsenal extraétatique ; ils s’ingénient à faire de la surenchère chrétienne ciblée antisunnite depuis un certain temps ; et ne cessent enfin de dénoncer la « tutelle internationale » sur le Liban. En face de cette rupture historique avec les valeurs chrétiennes nationales, qui plus est au nom des chrétiens, il ne serait guère étonnant que l’ensemble des pôles chrétiens, qui ont été la cible principale du CPL lors des élections de 2005, s’unissent pour soutenir Amine Gemayel. Cela est désormais indispensable à leur survie : leur destin est plus que jamais mêlé. Si l’un d’entre eux chute, ils sont tous condamnés. Sur le plan symbolique : la fidélité aux martyrs Des trois dimensions, la dimension symbolique est la plus importante. Elle a d’ailleurs été évoquée hier à Dimane par Samir Frangié. Elle relève d’une certaine éthique politique. Les propos du chef du CPL adressés à Amine Gemayel au sujet de « l’usage des martyrs dans le cadre de la bataille électorale » sont en effet inadmissibles. Ils sont pour le moins scandaleux et n’ont pas de précédent dans la vie politique libanaise, du moins dans l’héritage chrétien. Si l’ancien chef de l’État mène aujourd’hui campagne, c’est parce que son fils a été assassiné. Par-delà toutes les considérations politiques et stratégiques, cela relève du sacré : la fidélité à la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés pour le Liban. Pierre Gemayel est le martyr d’une vision politique incarnée par un camp avant d’être celui des autres. Dans la logique du CPL, il ne faudrait pas qu’après un assassinat politique, il y ait de réaction affective, même si l’objectif est purement l’élimination d’une option. La bataille doit donc être dépassionnée. Les portraits de Pierre Gemayel devraient être, selon la même logique, rangés dans les armoires. C’est un peu lourd. C’est oublier que toute la bataille est axée sur le souvenir de Pierre Gemayel et de tous les autres martyrs aussi. D’une certaine manière, à l’aide d’une telle logique, on n’est pas loin de consacrer le principe de l’élimination physique ! Il reste enfin l’argument selon lequel le problème qui empêche le consensus au Metn est chez Amine Gemayel, le froid entre lui et le CPL étant le résultat des agressions déplorables contre les partisans aounistes dans les heures et les jours qui ont suivi l’assassinat de son fils. Il est vrai que de tels actes n’avaient pas lieu d’être, et le président des Kataëb, qui a toujours dénoncé ce genre de comportements à travers son parcours politique, devrait être le premier à rejeter ces actes. Mais de tels agissements sont à mettre sous le coup de la révolte, d’une réaction épidermique à l’assassinat. Le CPL et son chef de file feraient bien de pardonner et de s’élever au-dessus de ces considérations. Ils en gagneraient en stature sur le plan national. L’attitude exemplaire de Camille Chamoun après le massacre de Safra, le 7 juillet 1980, ferait bien d’inspirer Michel Aoun. Son fils Dany avait failli périr. Ses hommes avaient été massacrés. Aucun homme n’aurait pu pardonner une attaque aussi atroce et injustifiable. Camille Chamoun a pourtant, au nom de l’impératif stratégique de l’unité chrétienne, pardonné à Béchir Gemayel. Il l’a même soutenu politiquement, en véritable chef, et a donné une leçon d’humanité. L’impératif stratégique de la consolidation des rangs internes face à la contre-offensive syrienne, qui a emporté Pierre Gemayel et qui continue d’emporter les leaders du courant souverainiste, n’en mérite-t-elle pas autant ? Michel HAJJI GEORGIOU


Il y a quelque chose de pourri en ce royaume du Metn. Non que le Metn ait jamais été une région facile, surtout dès lors qu’il s’agit pour les différentes – et ô combien nombreuses et jalouses de leurs microspécificités – composantes politiques d’en découdre. Au contraire : de tout temps, le Metn-Nord a été l’arène des affrontements politiques les plus terribles.
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