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La leçon de patriotisme des propriétaires de restaurants et de pubs en dépit de l’instabilité sécuritaire Gemmayzé se remet à respirer Patricia KHODER

Presque deux mois après le début des combats à Nahr el-Bared, Gemmayzé – la rue qui abrite plus de soixante-dix pubs et restaurants – se remet à vivre. Les recettes actuelles ne sont certes pas comparables à celles qui datent de quelques mois, voire à celle de la première quinzaine de mai, les combats à Nahr el-Bared et les attentats ayant commencé le 20 mai dernier. Même si avec un peu de chance on peut garer sa voiture sur le trottoir, même si le parking de la zone est à moitié plein, même si on n’est pas coincé dans l’embouteillage des beaux jours pour parvenir au niveau du pub et du restaurant choisi, même s’il n’est pas difficile de trouver des places à la table d’un restaurant ou au bar d’un pub… Gemmayzé respire à nouveau. Et ses commerçants sont dignes de donner des leçons de patriotisme à tous les Libanais, décidant d’ouvrir leurs portes toutes les nuits. C’est qu’ils savent – même si beaucoup de Libanais ont baissé les bras – que le Liban ne meurt jamais. Assis au comptoir, Makram Zeeny, copropriétaire du Barbu, indique : « Tous les jours, nous prouvons à tout le monde que nous aimons la vie. Et cela n’est pas un simple slogan. » S’il a ouvert tous les soirs depuis la crise qui a commencé le 20 mai dernier, à l’instar de beaucoup de propriétaires de restaurants et de pubs de Gemmayzé, « c’est parce qu’il y aura, malgré la guerre, les combats et les explosions, beaucoup de gens qui viendront veiller, parce que Beyrouth et le Liban ne seront jamais vidés de leurs habitants qui veulent tout simplement vivre », dit-il. « Il faut combattre ce qui se passe avec espoir », ajoute-t-il. Et Zeeny a tenu avec divers commerçants de la zone à ce que Gemmayzé ne soit pas désertée de ses jeunes et moins jeunes venus dîner ou décompresser en prenant un verre après une longue journée de travail. En fait, la pire crise qu’a connue Gemmayzé est celle qui a suivi le 20 mai dernier, avec le début des combats à Nahr el-Bared, l’explosion de l’ABC, suivie par la vague d’attentats nocturnes. Il y avait surtout ces e-mails que beaucoup ont envoyés à des amis à qui ils veulent du bien. Les textes présentaient des listes d’endroits qui risquaient d’être la cible d’attentats. Et Gemmayzé étaient parmi les zones prétendument visées. Mesures de sécurité Makram Zeeny parle des mesures qui ont été prises, notamment à l’initiative de l’Association chargée de l’organisation de Gemmayzé et ses alentours. Ainsi, une société de sécurité a été engagée. Ses membres ont installé des postes d’observation, mais leur présence est restée discrète : ils devaient être vus pour rassurer les noctambules sans pour autant envahir l’espace. La gendarmerie, située dans le quartier, a aussi pris des mesures supplémentaires pour assurer la sécurité, installant par exemple des chicanes à certains niveaux de la rue. Des membres des FSI ainsi que des hommes de la Sûreté de l’État surveillent désormais la zone. De plus, un bon nombre de commerçants à Gemmayzé a pris des initiatives pour encourager les gens à sortir et à se réapproprier l’espace. Le Barbu, par exemple, a proposé durant tout le mois de juillet la formule « Happy Wednesday », où les verres étaient servis toute la nuit du mercredi à moitié prix. Un mercredi de la mi-juillet, des offres et des attractions ont été organisées. Certains restaurants ont offert des bouteilles de vin gratuites alors que le Molly Malone’s a payé les services, pour une nuit, de cracheurs de feu. Patrick Ghosn est le propriétaire de Rehab, un pub qui a ouvert ses portes en pleine crise. Exactement le 22 juin dernier. Patrick travaillait au Bénin jusqu’à l’année dernière. Spécialisé dans la restauration, il a décidé de rentrer définitivement au Liban en juin 2006, quelques semaines avant la guerre de juillet. Mais l’offensive israélienne contre le Hezbollah ne l’a pas découragé. Il a décidé d’ouvrir un pub à Gemmayzé… L’endroit a ouvert ses portes en pleine crise. « Tout était prêt… Rien ne peut me décourager. Je suis prêt à perdre de l’argent, l’important est que le Liban aille bien. Et à la longue ça sera le cas », dit-il, convaincu. Un peu plus loin se trouvent deux restaurants, le Soto et l’Olio. Ils appartiennent à Samer et Mazen Maroun. Samer explique que les gens ont fui Gemmayzé pour les « roof tops » par précaution, préférant veiller dans un restaurant, un pub ou une boîte de nuit aménagés sur le toit d’un immeuble pour éviter d’être victime d’explosions. Soulignant que « le travail a repris à 80 % à Gemmayzé », il note aussi que « le taux de livraison à domicile a baissé de 30 %. Ce qui prouve que les gens se remettent à sortir ». Samer ne peut pas imaginer sa vie loin du Liban. Comme tous les commerçants de Gemmayzé, il s’adapte à la situation actuelle. « L’année dernière, lors de la guerre de juillet, j’ai pensé pour la première fois mettre de l’argent de côté pour pouvoir tenir le coup en cas de crise », dit-il. « Au Liban, il faut qu’on fasse nos comptes et nous dire que nous allons travailler huit mois sur douze », ajoute-t-il. Désormais, il vit au jour le jour en souhaitant que la situation ne se détériore plus. Samer Maroun vante le Liban pour son hospitalité, sa qualité de vie qui n’existe nulle part ailleurs. Relativement épargnée Il faut traverser la rue, marcher un peu, pour arriver au Godot, le seul pub au Moyen-Orient qui a instauré, deux mois avant les événements de Nahr el-Bared, une nuit par semaine consacrée aux non-fumeurs. Omar Sadek et Elio Panayot, propriétaires de l’endroit, ont tenu à préserver cette nuit spéciale du mercredi même si elle leur fait perdre des clients à un moment où il faut tenir à chaque personne qui franchit la porte d’entrée… Omar et Elio tiennent un discours réaliste, pessimiste diront certains. Mais les deux hommes étaient tout jeunes durant la guerre de 1975. Ils ont vécu toute la période des événements dans le pays. Déçus probablement, ils sont un peu moins optimistes que les autres commerçants de la rue. Omar reconnaît que tout va mal mais qu’il ne veut pas quitter le pays pour « de stupides raisons émotionnelles ». Il rappelle aussi que depuis le 14 février 2005, le secteur passe par des crises : les assassinats de Rafic Hariri, Gebran Tuéni et Pierre Gemayel, la guerre de juillet 2006, l’installation des tentes au centre-ville… Mais rien n’a été aussi dur pour Gemmayzé que la guerre de Nahr el-Bared. C’est qu’en comparaison avec d’autres zones, notamment la rue Monnot où la clientèle a changé et Solidere qui est complètement mort, Gemmayzé avait été épargnée. « Le travail a commencé à reprendre il y a trois semaines », raconte Omar, soulignant que « nous avons besoin de stabilité pour travailler. Nous ne pouvons plus assumer davantage de pertes ». « Nous voulons simplement vivre », soupire-t-il. Elio, qui parle avec fierté de la nuit sans tabac, mise lui sur trois mois de calme pour que tout le monde revienne à Gemmayzé et au Liban. C’est un jour de semaine, il est un peu plus de minuit, Gemmayzé est à moitié vide. Pourtant, c’est vrai, la rue a recommencé à vivre il y a trois semaines. Mais il fut un temps où cette même rue grouillait de monde jusqu’à une ou deux heures du matin. Il fallait alors réserver une table au restaurant ou patienter durant de longues minutes pour trouver une place à dîner. Il y a ceux qui sont optimistes, qui regardent la moitié pleine du verre. Il y a d’autres qui sont déçus, qui portent désormais le deuil de leur pays, mais qui ne sont pas résolus à partir, croyant toujours une légende que tout le monde répète pour se donner courage et qui dit : le Liban ne meurt jamais.
Presque deux mois après le début des combats à Nahr el-Bared, Gemmayzé – la rue qui abrite plus de soixante-dix pubs et restaurants – se remet à vivre. Les recettes actuelles ne sont certes pas comparables à celles qui datent de quelques mois, voire à celle de la première quinzaine de mai, les combats à Nahr el-Bared et les attentats ayant commencé le 20 mai dernier....