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Actualités - OPINION

Lettre ouverte à Sa Sainteté le pape Benoît XVI Laisser faire l’œcuménisme naturel Amine Jules ISKANDAR

Très saint-père, C’est avec beaucoup de regrets que nous avons pris connaissance de certaines parmi les dernières déclarations provenant du Saint-Siège romain. Elles concernent plus particulièrement des précisions ou encore des distinctions entre les diverses Églises chrétiennes. Bien qu’en général nous ne pouvons qu’approuver les différentes recommandations, que nous considérons comme émanant incontestablement d’un grand pape, certaines interprétations de ces propos ont fini par pousser récemment un prêtre catholique à refuser la communion à de jeunes orthodoxes. Et pourtant, le Vatican donne aux Églises orientales orthodoxes le titre de « véritables Églises particulières », d’« Églises locales » ou encore « d’Églises sœurs » auxquelles il reconnaît sans ambiguïté la succession apostolique et, par là même, leur valeur « salvifique ». Pourquoi donc ces nouvelles précisions qui tendent à insister sur des différences qui nous semblent superflues ? Le Liban chrétien, très saint-père, ne peut se soumettre à ce mode de pensée qu’en acceptant de prendre le risque de mettre son âme en péril. Malgré tout ce qui se dit du Liban au sujet de ses soi-disant 19 communautés, nous aimerions attirer l’attention du Saint-Siège sur le fait qu’il n’existe au Liban que trois communautés : les sunnites, les chiites et les chrétiens (avec, bien entendu, les druzes qui, malgré leur faible nombre, y ont joué un rôle historique). Syriaques maronites ou syriaques orthodoxes, roums catholiques ou roums orthodoxes, arméniens catholiques ou arméniens orthodoxes, assyro-chaldéens ou latins, tous ceux-là ne représentent que les différentes composantes de l’unique communauté chrétienne du Liban. Ils l’enrichissent ainsi de leurs arts, de leurs liturgies, de leurs langues et de leurs littératures respectives. Ces composantes ne constituent nullement des groupes séparés. Loin de là. Nous les retrouvons le plus souvent au sein des membres d’une même famille. La guerre libanaise, par-delà ses douloureuses expériences, a eu pour le moins le mérite de nous montrer que les chrétiens ici ne forment qu’une seule communauté. En effet, la composition communautaire du Liban, sa structure, fut révélée par celle de ses milices ; le nombre des groupes armés indiquant celui des groupes socioculturels. Il y eut ainsi une milice sunnite, une autre chiite et une autre chrétienne. Il n’y eut à aucun moment de milice pour les maronites et une autre pour les orthodoxes. Ces derniers ont été même assez souvent jusqu’à se faire représenter par le patriarche de l’Église syriaque maronite dans le but d’exprimer leurs craintes et leurs aspirations. Tous les orthodoxes du Liban – qu’ils soient roums, syriaques ou arméniens – aiment à se prosterner devant la tombe de saint Charbel (un catholique) et tous ensemble nous célébrons le mystère de l’eucharistie. Les frontières entre nous ne sont pas floues, elles sont inexistantes. Elles ne consistent qu’en nuances linguistiques et artistiques, mais ne touchent jamais à notre foi unique en Jésus-Christ fils de Dieu vivant. Déjà par le passé, vers les XVe-XVIe siècle, les chrétiens du Liban connurent l’un des douloureux épisodes de leur histoire dont ils n’aiment plus se souvenir. À la suite des voyages à Rome d’éminents savants maronites tels que Gabriel Bar Cleius, le Vatican exerça son influence profonde sur l’Église syriaque maronite, y apportant la prospérité intellectuelle qui allait faire du Liban un cas unique en Orient. Mais cette floraison culturelle fut malheureusement accompagnée d’un début de méfiance à l’égard de tout ce qui n’était pas uni à Rome. Ce nouvel état d’esprit conduisit petit à petit à une fracture au sein de la population chrétienne syriaque du Liban. Il y eut des affrontements sanglants entre les syriaques maronites et les syriaques orthodoxes (appelés à l’époque monophysites ou encore jacobites). Au XVIe siècle, l’Inquisition romaine envoya au Liban plusieurs missions destinées à épurer l’Église syriaque maronite des influences monophysites. Les plus virulentes furent celles des pères Eliano (délégué par Grégoire XIII -1572-1585), Bruno et Dandini (délégués par Clément VIII-1592-1605). Cette chasse aux sorcières fut couronnée par les autodafés, comme ceux de 1578 et 1580. Dans chaque village, on rassemblait les manuscrits syriaques sur les places publiques avant d’y mettre le feu. Ce fut une perte inestimable autant pour le patrimoine syriaque que pour l’histoire libanaise, car les manuscrits brûlés contenaient des témoignages artistiques et des notices marginales sur des faits indépendants de toutes formes de polémiques théologiques ou doctrinales. L’héritage syriaque des maronites, consommé par les flammes, fut remplacé par les nouveaux livres imprimés à Rome, des livres dépourvus de tout lien historique, culturel ou sentimental avec le passé. De plus, Rome n’imprima pas toujours en syriaque, mais de plus en plus en arabe. Elle précipita involontairement les syriaques maronites dans l’arabisation, qu’elle rendit presque inévitable. Ces syriaques se retrouvèrent dès lors amputés de leurs racines, de leurs origines, de leur mémoire et de leur identité. Ce n’est enfin qu’à l’issue du génocide de la Première Guerre mondiale, que les syriaques et les arméniens demeurés orthodoxes, fuyant les Turcs et les Kurdes, revinrent s’installer en masse au Liban. Leur arrivée fut une aubaine pour cette terre. On aurait dit que le pays du Cèdre fut depuis toujours leur patrie. En 1997, ils se rendirent par dizaines de milliers à la messe donnée par le pape Jean-Paul II à Beyrouth. Ils y célébrèrent la messe avec les roums catholiques, les roums orthodoxes et les syriaques maronites. Ils participèrent tous au mystère de l’eucharistie dans une communion verticale avec le Seigneur et une communion horizontale entre les hommes. Pouvons-nous encore défaire cette communion cristallisée et sacralisée sous les yeux d’un pape ? C’est en tant que représentants d’une association syriaque maronite que nous nous adressons à vous, c’est-à-dire en tant que fidèles de la très sainte Église romaine catholique. Mais avant tout cela nous sommes chrétiens, comme nos frères orthodoxes, ni plus ni moins. Très saint-père, nous avons vécu notre éloignement (au XVIe siècle) des syriaques orthodoxes comme une véritable amputation qui a failli nous coûter notre identité. La faille qui s’ouvrirait éventuellement aujourd’hui entre nous et nos frères roums orthodoxes pourrait mettre en péril jusqu’à notre existence même. C’est grâce à notre cohésion que nous avons réussi à nous maintenir jusqu’ici dans cet Orient qui bouillonne. Avec tout l’amour et le respect que nous vous devons, nous vous demandons de bien vouloir œuvrer encore plus au rapprochement entre les Églises. Les hiérarchies orthodoxes et catholiques, à défaut de pouvoir reconsidérer leur attitude en ce qui concerne la célébration eucharistique, à défaut de pouvoir régler des problèmes dogmatiques, ne pourraient-elles pas laisser faire l’œcuménisme naturel dans nos humbles paroisses ? Que l’expérience libanaise puisse servir d’exemple. Dans ce Liban message, nous sommes chrétiens avant d’être autre chose. En faisant part de notre dévouement et de nos sentiments les plus filiaux, nous vous remercions de votre compréhension. Amine Jules ISKANDAR Architecte Membre fondateur du Comité de la culture syriaque maronite Article paru le Mardi 24 Juillet 2007
Très saint-père,

C’est avec beaucoup de regrets que nous avons pris connaissance de certaines parmi les dernières déclarations provenant du Saint-Siège romain. Elles concernent plus particulièrement des précisions ou encore des distinctions entre les diverses Églises chrétiennes. Bien qu’en général nous ne pouvons qu’approuver les différentes recommandations, que...