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Dans un petit café rétro de Prague, les touristes affluent pour découvrir un « menu dégustation » L’absinthe tchèque, un mythe lucratif

Dans un petit café rétro du centre de Prague, des touristes russes affluent en bandes pour découvrir, sous les affiches Belle Époque, un « menu dégustation » offrant une vingtaine d’absinthes tchèques, une mode très lucrative pour les distillateurs locaux. « La tradition de l’absinthe tchèque remonte au siècle dernier, on la sert diluée ou flambée, et, après cinq verres, le sixième est gratuit », explique la serveuse à des jeunes qui hésitent entre la « Starorezna Devil » titrant 70° d’alcool et « La Bohème Bitter Spirit » promettant 35 mg/l de thuyone, principal composant à la réputation sulfureuse. À Prostejov, Oldrich Medek, le directeur de la compagnie Starorezna, se frotte les mains : la deuxième distillerie du pays produit quelque 35 000 bouteilles d’absinthe par an, dont plus de la moitié pour l’exportation, et « les ventes augmentent chaque année de 15 % ». « L’absinthe est très à la mode chez les jeunes à cause de sa réputation mythique et de son image underground », souligne, depuis la Franche- Comté (France), Benoît Noël, un écrivain français spécialiste de cette liqueur verte qui fascina Rimbaud, Baudelaire, Manet et Hemingway. Pour mieux séduire les jeunes branchés en quête de sensations fortes et de plaisirs supposément interdits, les distilleries tchèques mettent en avant le degré d’alcool et le taux de thuyone, avec une coloration rouge ou bleu fluorescent, en préconisant de flamber l’alcool. Pour les amoureux de la « fée verte », ces arguments publicitaires relèvent du sacrilège et de la falsification. « L’absinthe n’est ni bleu ni rouge, elle doit être verte et se boit diluée, la flamber comme les feux de l’enfer est une invention qui permet aux grossistes de vendre », s’indigne James Bairnfather. Installé à Jezenik, près la frontière polonaise, cet Américain de 39 ans se revendique comme le seul producteur de République tchèque à user de plantes naturelles et à bannir les agents artificiels. Côté composition, « la forte concentration en thuyone augmente l’amertume, c’est tout : assimiler son effet à celui d’une drogue est une contre-vérité scientifique », assure Theodore Breaux, un chimiste américain de réputation internationale, depuis peu producteur à Pontarlier (France). La mauvaise réputation de cet alcool accusé de rendre « aveugle et fou » a entraîné son interdiction totale en France et en Suisse au début du XXe siècle, mais des études récentes ont prouvé que les effets hallucinatoires induits étaient liés au colorant industriel employé à l’époque, non à l’extrait naturel d’armoise absinthe (artemisia absinthium), détaille Benoît Noël. À l’Est, cet apéritif prisé par l’élite intellectuelle fut proscrit pour des raisons politiques : le régime communiste le considérait comme « petit-bourgeois ». Au début des années 90, la révolution de Velours permit incidemment aux Tchèques de produire de l’absinthe en toute légalité, alors que les contrées natales de la fée verte, en Suisse et en France, restaient encore sous le coup de l’interdit. Selon des récits concordants, un groupe britannique en quête de nouveaux marchés vit là une aubaine, contacta des distilleries locales et ressuscita une production à l’origine anecdotique en conquérant les bars branchés de Londres. Aujourd’hui, l’absinthe tchèque s’exporte partout dans le monde, Canada, Australie, Japon, Mexique ou Afrique du Sud. Les ventes par Internet ont même permis une percée aux États-Unis malgré l’interdiction d’importation en vigueur, selon des sources concordantes. Selon les amateurs, la dégustation révèle facilement la qualité hétéroclite des marques tchèques. « La législation européenne ne fixe aucune composition précise hormis les taux d’alcool et de thuyone: pour le reste, tout est permis », souligne James Bairnfather. Lui-même revendique sans complexe sa « recette originale », sans la distillation traditionnelle, mais avec une longue macération à -8° suivie d’une filtration lente.
Dans un petit café rétro du centre de Prague, des touristes russes affluent en bandes pour découvrir, sous les affiches Belle Époque, un « menu dégustation » offrant une vingtaine d’absinthes tchèques, une mode très lucrative pour les distillateurs locaux.
« La tradition de l’absinthe tchèque remonte au siècle dernier, on la sert diluée ou flambée, et, après cinq...