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Actualités - CHRONOLOGIE

FOIRE DE L’ART - Près de 530 œuvres, nées de l’imagination de 113 artistes Les douze points forts de la Documenta 12 de Kassel

Un journaliste caustique du «Guardian» considère qu’il s’agit là de la « pire exposition artistique jamais réalisée ». D’autres critiques d’art sont moins virulents, mais beaucoup se déclarent déçus par la sélection et, surtout, la disposition aléatoire des œuvres d’art. Quoi qu’il en soit, à la Documenta de Kassel (centre de l’Allemagne), tous les superlatifs sont permis. Tous les cinq ans depuis 1955, cette grande foire se présente comme un véritable « sismographe obligé de l’art contemporain », selon les mots de ses organisateurs. Documenta dure cent jours. Puis tout disparaît. Elle rassemble près de 530 œuvres, nées de l’imagination de 113 artistes ou groupes d’artistes venus du monde entier. Les œuvres sont réparties dans cinq bâtiments, sur 17 000 mètres carrés. Un nouveau directeur et un nouveau concept président à chaque nouvelle édition. Le directeur artistique de l’édition 2007, Roger M. Buergel, tenait à présenter des œuvres venues de différentes régions du monde et représentant tous les médias imaginables. Il dit ne pas avoir misé sur les « noms », les « stars », mais avoir cherché ses artistes « à la périphérie ». La plupart des artistes présents à Kassel sont inconnus du public allemand. Et plus de la moitié des exposants viennent de régions négligées par les éditions précédentes : l’Europe de l’Est, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Parmi eux, sept sont chinois. « L’enjeu est de donner l’assurance aux gens qu’ils ont la capacité de participer à une réflexion, même sans grande formation préalable, parce qu’ils portent en eux les ressources essentielles pour comprendre l’art », justifie ainsi le commissaire de l’exposition. Au sommaire des thèmes traités pour ce cru 2007, des questions, comme une sorte de petite université d’été de l’art contemporain. La modernité est-elle notre Antiquité ? Qu’est-ce que la vie ? Que faire ? « Nous réalisons cette exposition pour arriver à trouver quelque chose », clame le site Web officiel de la Documenta 12. Subjectivité et réflexion personnelle sont au cœur du débat. Répétons-le : même si cette Documenta ne présente pas de ligne qui s’impose, elle recèle plein de découvertes intéressantes pour le visiteur curieux. Voici donc, en douze photos, les douze points forts de la Documenta 12. Les 1 001 Chinois d’Ai Weïweï La star (si ce mot a un sens à Kassel) incontestable de cette Documenta 12, c’est l’artiste chinois Ai Weïweï bien sûr, dont la performance « Fairy Tale » fait aussi couler beaucoup d’encre. Il a fait venir à Kassel mille et un compatriotes, un petit millionième de la population, pour y séjourner pendant les cent jours de la manifestation. Un échantillon représentatif, recruté selon des critères très stricts en termes d’âge, de sexe et d’origine sociale et géographique. Mille et un Chinois qui n’avaient jamais quitté la Chine, hôtes de la Documenta. Mais pas question pour autant qu’ils mordent sur l’espace des Kasselois en squattant leurs bancs. Ai Weïweï a aussi fait venir de Chine mille et une chaises en bois de la période Qing qui sont réparties aléatoirement dans tous les sites d’exposition officiels. « Le musée, c’est le restaurant ! » Le cuisinier avant-gardiste espagnol Ferran Adria a réussi l’impossible : être au cœur de la Documenta sans avoir rien réalisé pour elle. Son œuvre étant indissociable de son restaurant El-Bulli (Costa Brava), ce dernier est devenu un pavillon de la Documenta, avec son habituel rituel gastronomico-artistique. « Le musée, c’est le restaurant », explique la star espagnole, premier cuisinier à être invité à la Documenta, mais qui ne délocalisera pas pour autant son restaurant. « Ce qui compte dans ma cuisine, ce n’est pas le plat, c’est l’expérience d’aller dans mon restaurant, explique le bouillonnant Ferran Adria. Il faut parvenir à réserver, attendre la date avec excitation, puis prendre l’avion, la voiture, pour atteindre une petite baie perdue et manger 30 plats, c’est cela mon œuvre. » « Depuis 20 ans, je ne cuisine qu’à El-Bulli, parfois on me demande d’aller ici ou là, je dis non, il me faut ma scène, c’est comme pour le théâtre ou l’opéra », admet-il. Ce génie des fourneaux a bâti sa réputation sur des créations telles que « la nougatine d’algues », les « bonbons à l’huile d’olive » ou les salières remplies de brouillard artificiel odorant. Une table pour deux est réservée chaque soir en Catalogne à des visiteurs de l’exposition choisis par la direction de la Documenta. L’art d’être un chewing-gum Des photos en noir et blanc alignées montrent une matière molle sculptée sur chaque cliché différemment : c’est le chewing-gum mâché en 1973 par Alina Szapocznikow. Tantôt éclaté, tordu, entortillé, troué, tantôt ramassé, aplati, sobre, le chewing-gum est posé comme une œuvre d’art sur un piédestal de pierre, immortalisé par l’appareil photo en 1973, peu avant la mort d’Alina Szapocznikow, en France où elle s’était installée. Ce qui s’est passé : « C’était l’autre jour, j’étais fatiguée, je m’assis et commençai à mâcher mécaniquement un chewing-gum. Alors que je donnais des formes bizarres au chewing-gum dans ma bouche, je réalisai soudain quelle extraordinaire collection de sculptures abstraites naissait entre mes dents », explique l’artiste dans un texte affiché près de l’œuvre. Le riz, c’est le clou Les rizières en terrasse de l’artiste thaïlandais Sakarin Krue-On, installées dans le parc de Wilhelmhsöhe, devaient être un des clous de cette Documenta. Une intervention magique, subtile, d’une poésie inouïe. Hélas, le climat de la Hesse ou le sol de Kassel ne semblent pas convenir à la riziculture. Pour l’inauguration, l’œuvre se résumait à une série de tranchées boueuses, traversées de tuyaux en plastique, d’où émergent timidement quelques touffes vertes faméliques. Déception ! Un « artiste bidon » Il a fait un bateau énorme en bidons, qui s’appelle Dream. Le rêve est échoué à la Documenta. Sur le sol de l’Aue-Pavillon, douze mots en yoruba, la langue de l’artiste béninois Romuald Hazoumé qui se définit volontiers comme un « artiste bidon ». Il faut dire que ses principaux matériaux de travail sont des bidons en plastique usagés, « produits  en masse par l’industrie occidentale ». En virtuose, il les transforme en faux masques africains pour se moquer doucement de l’engouement du même Occident pour les arts dits premiers. Pour la Documenta, il a construit une grande pirogue très spectaculaire, faite bien sûr en bidons : « Le bateau de l’espoir ». Les douze mots en yoruba qui l’accompagnent disent que l’espoir des boat people de trouver une vie meilleure est plus fort que tout, plus fort même que le risque énorme de mourir en route. Des fils tordus de douleur L’œuvre And Tell Him of my Pain de la sculptrice indienne Sheela Gowda est particulièrement impressionnante. Au moyen de 89 épingles, l’artiste a longuement tissé et tordu cent mètres de fils fins, les a colorés et recouverts de gomme arabique, un fixateur pour le curcuma rouge. Ce qu’elle a voulu exprimer se retrouve pêle-mêle dans ce tableau : la culture des épices en Inde, le travail manuel féminin traditionnel, la naissance, les mutations de l’industrie textile indienne, l’importance de la couleur rouge pour l’hindouisme ou la représentation de la douleur. Le monologue de Harvey Keitel Une vidéo de l’artiste irlandais James Coleman, à travers une immense surface vitrée. Aucun son n’est pour autant perceptible. Derrière la vitre, dans laquelle chaque visiteur peut percevoir son reflet, on trouve un calme rare. Dans un espace vaste et sombre, qui rappelle une salle de cinéma sans fauteuils, sur un écran démesuré commence Retake with Evidence, un monologue solitaire devant un décor minimal, froid, magnifiquement déclamé par Harvey Keitel. « Why are you here ? », dit Keitel, rompant le silence. Trisha ne triche jamais Aux États-Unis, où ses premières pièces des années 60 sont des références dans l’histoire de la danse pour les jeunes générations, Trisha Brown passe plus que jamais, à 70 ans, pour une des figures les plus remarquables de la Post-Modern Dance. Sa présence à la Documenta n’est pas une surprise. Elle y livre une série de dessins des années 90, cinq œuvres magnifiques de 2007, où le mouvement de sa danse semble s’inscrire directement sur le papier, et la reconstitution d’une installation performance de 1970 avec la participation d’une pléiade de jeunes danseurs du monde entier. Intitulée Floor of the Forest, cette dernière est une pièce dont la partie « installation » peut tenir par elle-même. Régulièrement, les danseurs interviennent de deux manières. Soit dans le processus original en se glissant dans les vêtements accrochés à d’énormes cordages. Soit dans une chorégraphie intitulée Accumulation interprétée autour de l’installation, au milieu du public. Une œuvre qui entre dans la logique de la Documenta, qui entend retisser des fils entre les œuvres, les époques, les thématiques. La girafe et l’Australien En exposant une girafe empaillée, Peter Friedl tord le cou aux conventions artistiques. Il fait transporter à Kassel l’animal naturalisé du seul zoo qui existe sur la bande de Gaza et il expose par ailleurs des dessins d’enfants. Pourquoi la girafe est-elle là ? C’est un « effet collatéral » de la guerre, dit l’artiste australien, car elle est morte dans un zoo proche du mur de séparation lors d’une attaque israélienne. La photo option philo Photographe, critique et essayiste, Allan Sekula explore depuis de nombreuses années les mécanismes du système capitaliste mondialisé et ses conséquences sur les communautés locales. Explorant par la série la photographie documentaire, sa place dans l’art et la société contemporaine, il expose aujourd’hui l’intégralité de sa série « Fish Story » (1990-1995) à la Documenta. « Ce qui m’intéresse c’est, d’une part, la tension entre les spécificités de la photographie et son caractère aléatoire et, d’autre part, l’illusion d’une représentation dans un contexte plus large. Il faut faire respecter l’objectivité de la photographie, et c’est là où, pour moi, se trouve le point culminant de rencontre, en photographie, entre une sensibilité moderniste et une sensibilité réaliste. » Ou encore : « La photographie étant un médium modeste parce que descriptif, elle sous-entend les conditions esthétiques déjà présentes dans un monde qu’elle ne fait que décrire. » Délires ironiques Artiste polymorphe, Zheng Guogu travaille avec plusieurs médias simultanément. Il conjugue dans son travail tradition et actualité délirante. Ses photographies présentées sous la forme de planches contact, puis teintées à l’aquarelle, détaillent des installations de jouets et modèles réduits souvent construits pas l’artiste, et ironisent sur les objets de désir des consommateurs chinois aujourd’hui. Dans « Shining Sun », le soleil est photographié 400 fois, les tirages sont découpés et collés les uns à côté des autres, à la manière d’une collection d’insectes ou d’une éclipse solaire. On cite également sa fontaine de cire recouvrant des manuscrits anciens. Fashion ampoule Et la robe électrique de Tanaka Atsuko ? Un enchevêtrement de fils, d’ampoules et de tubes de néons colorés. Une œuvre lumineuse dans tous les sens du terme. Oui elle est vraiment électrique et vraiment destinée à être portée. Mais c’est surtout une pièce-phare, typiquement « Gutaï », un important mouvement d’avant-garde japonais des années soixante encore peu connu en Occident. Cette Documenta nous invite aussi au passage à revoir notre histoire de l’art.
Un journaliste caustique du «Guardian» considère qu’il s’agit là de la « pire exposition artistique jamais réalisée ». D’autres critiques d’art sont moins virulents, mais beaucoup se déclarent déçus par la sélection et, surtout, la disposition aléatoire des œuvres d’art. Quoi qu’il en soit, à la Documenta de Kassel (centre de l’Allemagne), tous les...