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MOMENTS INSOLITES – Naji Boutros, un homme d’affaires qui a réussi, reconverti en viticulteur Par amour pour son village de Bhamdoun Carla HENOUD

Il est des êtres rares qui se sentent sincèrement investis d’une noble mission. Au détour d’un déplacement, d’une nostalgie, d’un souvenir, d’un manque, l’urgence se déclare et bouleverse le cours normal du long fleuve tranquille que peut emprunter leur vie. Pour le jeune Naji Boutros, alors vice-président de Merrill Lynch, vivant confortablement à Londres avec sa famille, le déclic se fera lors d’un banal voyage à Milan. On appelle cela l’appel de la terre. Naji Boutros est un enfant de sa terre de Bhamdoun. Il en connaît chaque recoin, chaque odeur, chaque pierre. La direction du soleil, le langage du vent. De son enfance vécue dans les dédales de l’Hôtel Belle-Vue, construit autour de 1870, qui appartenait à son grand-père maternel Saïd Moujaess, il se souvient encore des visiteurs, des légendes qu’on lui racontait avant de dormir. Il se souvient aussi des moments vécus en famille, escapades, fugues, tours de cache-cache qui ressemblaient au bonheur. Puis vint la sale guerre qui l’a déraciné en même temps qu’elle emportait les dernières pierres, les derniers rires des lieux de cette tendre enfance. En revenant pour des vacances au milieu des années 90, avec sa femme américaine Jill, rencontrée à l’Université de Stanford, Naji ne retrouve plus ses repères. Il ne reste plus rien de l’hôtel, des maisons alentour, des gens, de la légèreté d’antan. « Tout a été volé. Même la forêt avait disparu, raconte-t-il. J’ai juste trouvé une dalle, dernière trace de l’Hôtel Belle-Vue. » Elle est aujourd’hui accrochée aux murs des caves de son vin, qu’il n’a pu que baptiser « Château Belle-Vue ». Le retour « Un jour, confie Naji Boutros, je me suis réveillé et j’ai senti un immense vide. Malgré une vie idéale à Londres, j’avais abandonné une partie de moi pendant des années. » Pour la retrouver, il revient sur les lieux du bonheur y ramener la vie. Il achète une superbe vieille maison et s’installe à Bhamdoun. « J’ai voulu, confie Naji, honorer la mémoire des braves, les morts et plus encore les vivants. Faire oublier cette ville fantôme et raviver l’héritage de nos ancêtres.  » Retraçant les vignobles autour de l’hôtel qui ont fait la gloire passée de son village natal, « Nous avions les conditions idéales pour faire un bon vin », précise-il, secondé par une équipe de professionnels et par sa femme, plus concernée que les femmes du village, il plante, en 2000, 7 hectares, soit 3 000 vignes. Le travail ne sera réalisé que « grâce à des miracles ! » Des anges gardiens qui interviendront à chaque problème, manque d’eau, terrain truffé de mines antipersonnel, pour que Naji puisse démarrer sa mission. Les choses seront également possibles grâce à des rencontres. Le viticulteur trouve en Joseph Khaïrallah, un agriculteur local, le complice idéal pour agrandir sa famille de cœur. Joseph, qui connaît les sols mieux que tous les experts étrangers venus faire des études. Joseph au visage brûlé par le soleil, aux mains creusées par les sillons de la terre, au cœur encore entièrement conquis par ce village « trop longtemps abandonné par les siens ». « Cette nouvelle génération n’a pas d’yeux, pas de mains ni de tête pour honorer cette belle terre, poursuit-il. Naji, en réussissant ce travail, a ramené ses ancêtres dans nos montagnes. » La première récolte aura lieu en 2003. Les habitants de Bhamdoun et des villages voisins viendront spontanément aider.  Les cuvées de cette année-là seront nommées… « La Renaissance » et « Le Château 2003 » .  « Chaque année, nous plantons un petit vignoble. Nous voulons rester petits. Aujourd’hui, nous avons 30 000 vignes. » Pas de vente dans les magasins spécialisés ou les grandes surfaces ; pour se procurer leurs produits, il faut, nous explique Jill, être membres de cette belle aventure. « Nous ne voulons pas être commerciaux, mais plutôt agrandir la communauté, créer une communion d’esprit entre les membres choisis, et ramener les gens et la vie à Bhamdoun. » Sept ans après avoir investi temps, argent et énergie, Naji, qui poursuit par ailleurs sa carrière de consultant financier, est un homme heureux. Depuis quelques jours, il a reçu une bonne nouvelle qui lui est arrivée par la poste, au milieu d’un tas de factures : « Nous avons obtenu, parmi 29 pays et 6 000 participants, la médaille “Gold Best in Class” à l’International Wine and Spirit Competition qui s’est tenue à Londres il y a cinq mois. », raconte-t-il fièrement. Sans doute ajoutera-t-il ce premier et modeste trophée à son livre d’or qu’il ne cesse de relire, en ressentant des émotions intactes. Les messages d’amitié et de reconnaissance déposés dans ces pages blanches ressemblent, pour la plupart, à un retour à la terre. En cela, déjà, le pari de Naji Boutros est gagné.
Il est des êtres rares qui se sentent sincèrement investis d’une noble mission. Au détour d’un déplacement, d’une nostalgie, d’un souvenir, d’un manque, l’urgence se déclare et bouleverse le cours normal du long fleuve tranquille que peut emprunter leur vie. Pour le jeune Naji Boutros, alors vice-président de Merrill Lynch, vivant confortablement à Londres avec sa...