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Actualités - OPINION

Le « confessionnomètre »

Imaginez le président de la République libanaise dire en public : « Je ne vois pas pourquoi, tous les dimanches matins, les chrétiens du Liban doivent aller à l’église pour prier, ils peuvent très bien le faire chez eux. » Ou le Premier ministre dire : « Un mois de jeun pour le Ramadan, c’est beaucoup, j’invite tous les musulmans libanais à jeûner uniquement une dizaine de jours. » Ou le président de l’Assemblée déclarer : « Il est temps de changer certaines traditions musulmanes et qu’un homme religieux soit élu par suffrage universel direct des Libanais de sa confession. » Chose très bizarre, me diriez-vous. Pourquoi ces hommes politiques donnent-ils leur opinion sur des sujets qui ne les regardent pas ? Et bien, pourquoi chers Libanais acceptez-vous l’inverse ? Pourquoi acceptez-vous que les hommes religieux de votre pays fassent des déclarations n’ayant rien à voir avec la religion ? Pourquoi acceptez-vous que l’un soutienne ouvertement le gouvernement actuel alors qu’un autre le déclare illégitime ? Pourquoi acceptez-vous qu’un troisième ait quelque influence sur l’élection présidentielle de l’automne prochain ? Pourquoi ne vous révoltez-vous pas à l’idée que dans notre pays, il n’y a aucune frontière entre la politique et la religion ? Est-il normal qu’un homme religieux, censé représenter Dieu – quelle que soit la religion –, puisse parler de politique dans notre pays, mais aussi qu’il ait une incidence majeure sur les hommes politiques ? N’y a-t-il pas un risque de confusion évident entre deux personnages ? Le premier, le religieux, dont la parole est directement dictée par les textes divins et qui peuvent être difficilement réfutés, et le second, un homme politique, dont la parole est libre et doit être contrôlée par ses concitoyens ? Autrement dit, un maronite qui ne partage pas les convictions – politiques – du cardinal Sfeir ou un sunnite celles du mufti Kabbani, ne risque-t-il pas de penser qu’il contredit la parole de Dieu? Qu’il contredit sa hiérarchie religieuse ? Ce n’est pas un gros problème, me diriez-vous. C’est surtout l’inverse qui est très inquiétant, voire anormal. Et l’inverse, c’est entendre les hommes politiques parler de religion. Pour comprendre de quoi je parle, voici un nouvel instrument de mesure : le « confessionnomètre ». Il fait « bip » à chaque fois qu’il entend un homme politique parler de religion. Faites l’expérience vous-même. Écoutez pendant une minute un député chrétien – par exemple – parler de politique et comptez combien de fois pendant cette minute il prononcera les mots suivants : chrétien, maronite, patriarche, cardinal…, ou tout autre mot que vous jugerez ayant un lien avec la religion chrétienne. Écoutez le même morceau une nouvelle fois et comptez cette fois les mots politiques, comme : État, élection, président… Le constat est alarmant : beaucoup de nos représentants utilisent autant le vocabulaire religieux que le vocabulaire politique. Ils prononcent même beaucoup plus souvent les mots religieux que les hommes de religion eux-mêmes ! On dirait même qu’ils font exprès et qu’ils se lancent des défis pour savoir lequel d’entre eux sera capable de placer le maximum de mots « confessionnalistes » dans un minimum de temps, et qu’à la fin de chaque crise politique majeure dans notre pays, ils décernent au plus confessionnaliste d’entre eux un prix. Tous prétendent être intéressés par un État fort et laïc au Liban, mais aucun ne le veut vraiment. Car le jour où une vraie société civile verra le jour au Liban et que l’État libanais sera vraiment laïc, ces hommes politiques seront au chômage. Toi, mon compatriote, mon frère, ne confonds jamais politique et religion. Ne joue pas avec tes compatriotes au jeu du « confessionnomètre ». Œuvre pour un État laïc qui respecte les convictions religieuses de chacun de ses citoyens. Combats le confessionnalisme, insiste pour que religion et politique ne soient pas éternellement confondus dans ton pays. Demande des comptes aux hommes politiques qui insistent pour te coller une étiquette : celle de ta confession. Dis-leur que tu es libre d’avoir les convictions religieuses que tu désires et qu’elles n’ont aucun rapport avec tes convictions politiques. À chaque fois que tu écoutes un homme politique parler confessionnalisme et raviver en toi cette flamme qui a fait tant de mal au Liban, cette flamme qui s’est embrasée un certain 13 avril 1975 et qui a vu les Libanais s’entre-tuer pendant 15 ans, zappe et ne te laisse pas faire. N’oublie pas que les martyrs de ton pays, ceux de l’intifada de l’indépendance aussi bien que ceux de la résistance contre les crimes de guerre israéliens, ne sont pas morts pour leurs confessions mais pour leur patrie. Ne les déçois plus. Khalil CHÉHADÉ Étudiant – USJ
Imaginez le président de la République libanaise dire en public : « Je ne vois pas pourquoi, tous les dimanches matins, les chrétiens du Liban doivent aller à l’église pour prier, ils peuvent très bien le faire chez eux. » Ou le Premier ministre dire : « Un mois de jeun pour le Ramadan, c’est beaucoup, j’invite tous les musulmans libanais à jeûner uniquement une...