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Actualités - ANALYSE

PERSPECTIVE Le deuxième effet boomerang

«D’un mal on peut parfois tirer un bien », souligne le dicton populaire. D’une certaine façon, et par ricochet, le Liban doit peut-être une fière chandelle au régime syrien. Car les trente ans d’occupation et les longues années de l’implacable tutelle exercée par les services de renseignements syriens, qui avaient pour finalité un nouvel Anschluss, ont eu pour effet de stimuler la maturation d’un développement fondateur, en tout point historique : l’émergence d’une vaste coalition souverainiste regroupant autour du slogan libaniste « Liban d’abord » un très large éventail de forces, de courants, de partis et de pôles d’influence (sous l’impulsion, il est vrai, des présidents Jacques Chirac et Georges Bush, et avec le concours de l’ensemble de la communauté internationale). Jusqu’à un passé très récent, nul n’osait espérer pouvoir rassembler ainsi tous les partis chrétiens, le PSP, le Courant du futur ainsi que des personnalités indépendantes et de gauche (notamment la Gauche démocratique et une fraction du Parti communiste) autour d’un programme d’action nationaliste rejoignant dans ses grandes lignes la teneur des appels de Bkerké et la ligne de conduite du Rassemblement de Kornet Chehwane. Atteint de cécité politique et vivant dans sa bulle sécuritaire d’un autre âge, le régime syrien a réussi à susciter ce tour de force. Sous le poids des événements, l’opinion publique libanaise a souvent tendance à oublier cette réalité et à banaliser l’importance fondamentale et la portée hautement symbolique que constitue une alliance aussi plurielle et pluraliste que celle du 14 Mars. Surtout que cette alliance reste fondée, contre vents et marées, et quoi qu’on dise, sur un projet politique souverainiste défendant les spécificités et les traditions démocratiques libanaises. Cet effet boomerang qu’a subi le régime syrien au niveau du remodelage du paysage politique local se manifeste aussi actuellement à l’occasion de l’épisode Fateh el-Islam. Poursuivant son inlassable entreprise de sape et de déstabilisation, dans le sillage de sa contre-offensive visant à torpiller les acquis de la révolution du Cèdre, Damas a entrepris de manipuler le groupuscule salafiste qu’il a lui-même implanté au Liban-Nord pour se doter d’un nouvel instrument de sabotage du gouvernement de Fouad Siniora. Le Premier ministre a souligné sans ambages au cours des dernières quarante-huit heures que Fateh el-Islam est bel et bien instrumentalisé par « certains services syriens ». Et dans ce cadre, les scénarii les plus fous ont été rapportés par diverses sources d’information au sujet d’opérations démentielles qu’aurait projeté de lancer Fateh el-Islam, notamment au Nord, afin d’ébranler, pour le compte des services syriens, l’édifice souverainiste en place depuis plus de deux ans. Une vaste machination Mais encore une fois, l’effet boomerang est venu à la rescousse et la vaste machination ayant pour tremplin Nahr el-Bared s’est retournée contre ses commanditaires pour donner un résultat contraire à celui qui était escompté. Destiné à servir de catalyseur d’un genre nouveau aux plans démoniaques de Damas, Fateh el-Islam a au contraire suscité, contre son gré, une double contre-réaction salutaire. Pour la première fois en près de 40 ans, plus précisément depuis le début de la crise entre l’État et les Palestiniens à la fin des années 60, l’armée libanaise bénéficie en effet aujourd’hui d’un vaste soutien populaire et politique sunnito-druze (parallèlement, évidemment, à l’appui chrétien) dans un combat mené pour défendre la souveraineté de l’État face à des organisations se réclamant de la cause palestinienne. L’armée mène dans ce cadre sa première grande bataille depuis les années 70. Dans cette bataille, elle a réussi à briser le tabou et le mythe de l’inviolabilité des camps palestiniens. Depuis le funeste accord du Caire de 1969, et jusqu’au déclenchement des affrontements à Nahr el-Bared, une offensive de la troupe contre un camp palestinien était inconcevable et nul n’osait envisager une telle éventualité. À la faveur de son baptême du feu, qu’elle semble mener d’une main de maître, l’armée a brisé aujourd’hui cette barrière psychologique, avec le soutien total des sunnites et des druzes. Il s’agit là d’une nouvelle donne fondamentale que le ministre Ahmad Fatfat n’a pas manqué de relever. Nous sommes loin en effet de la levée de boucliers sunnite contre l’armée lors des crises de 1969 et 1973 avec les Palestiniens. Certes, le contexte et le paysage géopolitique sont totalement différents, mais l’évolution globale de la position sunnito-druze, dans le prolongement d’ailleurs de l’intifada de l’indépendance, devrait favoriser, surtout à la lumière des résultats de la bataille actuelle, un règlement de la question de l’armement palestinien et, d’une manière plus générale, du problème sécuritaire à l’intérieur des camps. L’approche légaliste de l’OLP Autre donne fondamentale apparue à la faveur de l’épisode Fateh el-Islam : la coopération étroite, voire la complicité, entre le gouvernement, d’une part, et l’Autorité palestinienne et le Fateh, d’autre part. Pour la première fois depuis la fin des années 60, les Palestiniens ne se comportent pas en tant qu’organisations armées entretenant des rapports avec des fractions locales. Ils ont plutôt – du moins en ce qui concerne le Fateh et l’OLP – une approche légaliste des relations avec le Liban, en ce sens qu’ils placent ces relations au niveau de rapports entre le gouvernement libanais et l’Autorité palestinienne. Du coup, et en réaction au phénomène Fateh el-Islam, le pouvoir central et l’OLP trouvent un intérêt commun à reprendre en main la carte palestinienne du Liban de manière à la soustraire aux manigances syriennes visant, par le biais de la manipulation des organisations salafistes, à provoquer un nouveau conflit palestino-libanais dans le but d’accroître la déstabilisation du pouvoir souverainiste. Se sentant visée, sans doute autant que le gouvernement Siniora, par la manœuvre de Damas, l’Autorité palestinienne, par le biais de ses représentants au Liban, a rapidement réagi en soulignant qu’il ne saurait être question pour les Palestiniens de réitérer l’expérience des années 70, lorsqu’ils se sont embourbés dans les sables mouvants de la politique interne libanaise. Ce souci de l’OLP de ne pas se laisser instrumentaliser par Damas n’est pas nouveau. Yasser Arafat en avait fait l’une des constantes de sa ligne de conduite, et cette volonté d’indépendance était dans les années 70 et 80 l’une des causes de la tension chronique entre le régime syrien et le leader du Fateh. La différence aujourd’hui avec la situation passée réside dans la nouvelle perception légaliste des relations que le gouvernement Siniora et l’Autorité palestinienne ont tissées ces derniers mois et qui semblent s’être renforcées à la suite de la bataille de Nahr el-Bared. En fois de plus, le jeu syrien a ainsi provoqué un effet contraire et s’est retourné contre ses auteurs. L’explication de ce nouveau revers est simple : une politique d’État fondée exclusivement sur une logique de renseignements et de complots maléfiques, en lieu et place de rapports politiques rationnels et équilibrés, ne peut que déboucher, à plus ou moins brève échéance, sur une cascade d’impasses et d’effets boomerang politiquement destructeurs. Michel TOUMA
«D’un mal on peut parfois tirer un bien », souligne le dicton populaire. D’une certaine façon, et par ricochet, le Liban doit peut-être une fière chandelle au régime syrien. Car les trente ans d’occupation et les longues années de l’implacable tutelle exercée par les services de renseignements syriens, qui avaient pour finalité un nouvel Anschluss, ont eu pour effet de...