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RÉTROSPECTIVE - Un des pionniers de la peinture libanaise au Musée Sursock jusqu’en juillet Le chant d’amour de Georges Daoud Corm

1981, une première rétrospective des œuvres de Georges Corm, présentée à Beyrouth à la Chambre de commerce et d’industrie, commémorait le dixième anniversaire de la mort de l’artiste. En 1994, c’est dans la salle des pas perdus de l’Unesco à Paris qu’une seconde manifestation honorait la carrière du peintre. Aujourd’hui, dans le cadre des hommages consacrés aux artistes libanais , c’est au tour du Musée Sursock d’offrir à voir, jusqu’en juillet, une sélection des travaux de Georges D. Corm, ce peintre humaniste, un des pionniers de la peinture libanaise qui, débarrassé de toute contrainte, a construit une œuvre non assujettie à un courant ou à une vague quelconque. Preuve en est, qu’elle perdure encore. Une belle revanche pour l’artiste libanais quand on sait qu’une toile de Corm n’avait pas été acceptée lors de l’un des Salons d’automne organisés par le musée, à l’époque où l’abstrait dominait l’ensemble de l’art pictural. Pour Georges G. Corm, le fils, à l’origine de cette initiative et gardien de ce legs important, parler de Georges Corm et présenter son œuvre, c’est parler de l’histoire de la peinture au Liban, puisqu’il est à la fois continuation et évolution du patrimoine pictural qu’a laissé Daoud Corm, son père, lequel ne peut se résumer aux toiles religieuses et aux portraits de notables. Si l’héritage de Daoud Corm s’est perpétué dans l’œuvre de son fils, ce dernier, à la différence de son père, s’est épanoui dans des genres très divers de peinture ainsi que dans l’emploi de techniques très différentes. Il était donc important pour Georges G. Corm de préserver et de maintenir ce patrimoine légué par son père et de l’offrir aujourd’hui au regard du public. Ébauches et esquisses du projet « Cela fait des années que les gens me demandent de présenter le travail de mon père. J’hésitais car la dernière fois que cette rétrospective a été réalisée, c’était en 1981 et j’en gardais le souvenir de l’angoisse de l’époque. Encore une fois, les mêmes questions se sont posées. Pourra-t-on tenir le coup malgré les difficultés politiques ? Puis nous avons décidé d’aller de l’avant. Pour continuer à vivre et à exister surtout culturellement. » « L’art de mon père est une peinture de l’Orient sans orientalisme, confie Corm Jr. C’est un témoignage esthétique du Liban culturel. Comme tous ses autres contemporains, Ounsi ou Farroukh, l’artiste avait souffert d’isolement et a été écarté devant la vague de modernisme et d’abstrait qui balayait le classicisme de l’époque. C’est donc un hommage que je rends d’abord à mon père qui s’est battu durant des années pour que le pays ait son propre Musée des beaux-arts, mais également une contribution pour maintenir le patrimoine culturel, artistique du Liban. »  « Mon père peignait énormément, poursuit-il. Il vendait beaucoup de toiles, mais en gardait aussi pour lui. En charge de plus de 500 dessins et à peu près deux cents huiles, pastels et fusains, j’ai réussi à conserver ce fonds hors du pays pour ensuite le ramener en 2004. En attendant de concrétiser d’autres projets : d’une part, un à long terme qui consiste à fonder un musée regroupant les œuvres de Daoud et Georges Corm et un autre à court terme avec la collaboration de l’Université Saint Esprit à Kaslik, où il s’agit de dépouiller les archives et publier les poèmes, les conférences ainsi que les carnets de mon père. Je me suis attelé à mettre sur pied cette rétrospective et à l’étayer par un ouvrage publié chez Antoine. » « Avec la coopération du Musée Sursock et l’aide de mes collaborateurs, nous avons réussi à sélectionner, regrouper et dater les toiles, dit Georges G. Corm. De plus, nous avons fait un appel au public à travers différents médias. Suite auquel, nous avons pu découvrir de superbes toiles chez les collectionneurs qui se sont greffées à mon fonds personnel. Les institutions de l’État comme la présidence de la République et le ministère de la Culture nous ont gratifiés pour les nécessités de l’exposition de certaines œuvres majeures du travail de Corm. » « Cet appel au public, précise le fils de l’artiste, est une des nouveautés dans cette rétrospective. Par ailleurs, on peut y retrouver l’aspect le plus original de la peinture de Georges D. Corm, à savoir des toiles teintées de touches de cubisme, de surréalisme et même d’impressionnisme. » C’est certainement Sylvia Agémian qui a joué le rôle majeur dans la sélection des toiles et dans la prémaquette de l’ouvrage. Il fallait en outre que la subjectivité du fils n’interfère pas dans le choix des œuvres. « C’est en me faisant parler, pour dater les toiles, qu’elle m’a fait remonter dans mes souvenirs et que j’ai pu ainsi redécouvrir mon père, confie-t-il. C’était comme un voyage dans le temps. » Le portraitiste et le paysagiste Pour Sylvia Agémian, commissaire du Musée Sursock, cette exposition couvre une grande partie de la carrière de Georges D. Corm. En montrer les portraits, les paysages, les nus et les natures mortes, mais aussi toutes les techniques utilisées, fusains, huiles, pastels, c’est témoigner du bonheur qu’avait l’artiste à tâter tous les genres. « Ne se laissant pas infléchi, ou si peu, par les mouvements du XXe siècle, il s’est attaqué à ces courants dans son Essai sur l’art et la civilisation de ce temps en 1966 et si nous avons retrouvé certains travaux abstraits, cubiques, impressionnistes ou encore surréalistes, c’était un peu par défi et un peu parce qu’il était un touche-à-tout. Mais il ne demeure pas moins pour autant un classique », écrit Agémian dans l’ouvrage. Actuellement, les œuvres représentant 50 ans de cheminement de l’artiste (de 1896 à 1971) sont accrochées dans l’atmosphère chaleureuse du Musée Sursock. L’exposition, qui regroupe donc le fonds personnel et plus d’une vingtaine de toiles de collections privées, est animée et vivante car outre l’ordre chronologique qui assure un ordonnancement dans le temps (années d’études en France, séjour au Liban, suivi par les années Égypte. Celles-ci, entrecoupées par différents séjours dans le pays natal), les cimaises du musée offrent un ordre de tout autre genre dans ce mélange des diverses techniques auxquelles a touché le peintre. En mêlant les fusains aux huiles et aux pastels, les portraits, les nus aux natures mortes et aux paysages, Sylvia Agémian a réussi à livrer au regard l’échantillonnage varié du travail de Corm et à montrer les multiples facettes de la vie du grand artiste. Une large place est naturellement réservée au portraitiste. Héritier du talent et des goûts de son père, Georges D. Corm a réalisé des portraits à tous les stades de sa vie. De la commande monumentale de Marie Hneiné à l’âge de trente ans jusqu’à la toile où il présente Michel Chiha, son ami, dans sa bibliothèque, en passant par les portraits de sa famille ainsi que ses autoportraits, l’artiste aura sondé l’intérieur des âmes et multiplié toutes sortes d’intentions expressives. La toile de Chiha retient l’attention, car un paysage de Baalbeck apparaît au loin sur le canevas. L’artiste, par ses innombrables techniques et réflexions, aurait voulu, selon la commissaire, passer le relais à l’artiste paysagiste. En effet, les paysages n’ont pas occupé une place moins importante dans la vie de Corm. De l’Égypte au Liban, en passant par Chypre et l’Espagne, Corm parvient à exprimer la grandeur de la nature autant sur grands que sur petits formats (avec une prédilection particulière pour ces derniers ). L’artiste Etel Adnan, qui le qualifie de maître incontesté de la nature libanaise, explique non seulement la difficulté qu’il y avait à être un peintre libanais au début du siècle dernier, mais également à peindre le paysage libanais. « Ce paysage est beau, c’est évident, dramatique, escarpé, déchiré et inattendu, dit-elle. Mais il est surtout extrêmement nerveux. L’œil a à peine le temps de s’habituer à un contour que le changement est vite survenu. » Paysages de Beyrouth, de la montagne libanaise, mais également de l’Égypte, de Chypre et de la France. Des lumières différentes qui déclinent en une palette étendue de couleurs. Sur ses toiles, Corm s’est amusé à jouer les faux-semblants, voire les trompe-l’œil. Le paysage de Ain el-Mreisseh en est le parfait exemple. Un tableau à l’intérieur d’un autre, mais évoquant une fenêtre et l’occultant même. Voici une des manières du peintre à montrer que son art est fait de réflexion et de plaisir. Il est également semblable à un jeu de pistes où l’artiste pose des repères et des indices pour dévoiler sa personnalité, ses humeurs et ses penchants. Dans cette même toile de Ain el-Mreisseh, Corm réunit deux thèmes qui lui sont chers : le paysage et les fleurs . En gerbes opulentes, en bouquets ou en tailles fines et délicates, ces fleurs, qu’il aura multipliées sur ces toiles jusqu’à la fin de son parcours, rythment tout l’accrochage et ponctuent gaiement des œuvres qui, à certaines époques, se sont alourdies de nuages sombres. Les organisateurs de l’exposition ont tenu à présenter les toiles, telles ce Cri de détresse ou la Grotte de Jeïta aux formes anthropomorphiques, pour révéler les moments de doute et de désespoir qui ont traversé la vie de l’artiste auxquels ont très vite succédé des instants de bonheur et de tranquillité. En images et en mots Parallèlement à l’exposition qui se déroule jusqu’au mois de juillet, un bel ouvrage tiré (jusqu’à présent) à 1 000 exemplaires, dans les deux langues française et arabe et édité chez Antoine, a pu voir le jour grâce aux efforts conjugués de plusieurs personnes associées à ce projet, dont Simone Haddad et Léa Boukhater, qui ont classé, reclassé, mesuré les toiles et mis sur ordinateur les photos. Leur travail a été supervisé par Sylvia Agémian qui s’est chargée de parcourir, au fil des pages, les différentes étapes de la vie de l’artiste et qui a opéré la sélection des toiles, pour les replacer dans le même ordre chronologique que l’exposition. Enfin, c’est Mona Serby qui a revu l’impression de l’ouvrage dans lequel figurent également des repères biographiques et bibliographiques ainsi que des témoignages de certains amis, comme Charles Hélou et Marcel Zahar, ainsi que des réflexions d’Etel Adnan et des critiques d’art, Guy Dornand et Émile Schaub-Koch. Par ailleurs, deux articles du peintre lui-même sur le portrait et L’Art et la civilisation de ce temps attestent des options prises dans sa vie. À son tour, Georges G. Corm évoque sur ces pages glacées les continuités et les changements qui dépeignent le relais entre les artistes père et fils. Enfin, deux lettres illustrent respectivement les rapports de Daoud Corm avec ses parents et les liens qui reliaient Georges à son père. À travers cette rétrospective de l’œuvre de Georges D. Corm, ce n’est pas seulement l’autoportrait d’une âme qui est dépeinte et qu’on retrouve avec un immense plaisir, mais également une déclaration d’amour et une promesse d’aube nouvelle que ce grand artiste avait fait à son pays. Et pour reprendre ses paroles : « Ô mon pays, à toi les plus beaux chants de gloire, les plus beaux chants d’amour. » Colette KHALAF
1981, une première rétrospective des œuvres de Georges Corm, présentée à Beyrouth à la Chambre de commerce et d’industrie, commémorait le dixième anniversaire de la mort de l’artiste. En 1994, c’est dans la salle des pas perdus de l’Unesco à Paris qu’une seconde manifestation honorait la carrière du peintre. Aujourd’hui, dans le cadre des hommages consacrés aux...