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Actualités - OPINION

Humeur Immigrer en pièces détachées

Combien sont-ils ces Libanais qui ont choisi de prendre le large depuis que le pays est entré dans les espaces de la turbulence ? Les statistiques officielles sont à manier avec prudence et sérieux. Selon les estimations consulaires, ils étaient plus d’un million en 2006, soit l’équivalent d’une ville comme Beyrouth (une hémorragie démographique). C’est énorme, c’est même grave, que dire, catastrophique ! Je sais qu’il ne faut pas tirer des conclusions définitives sur ce flux, car il mêle indistinctement tous types de population, de confessions : l’étudiant qui a passé sa licence d’histoire en France, l’entrepreneur qui s’exile dans les déserts du golfe Persique ou dans les mines d’Afrique, le restaurateur qui ouvre un snack à Montréal et même le richard qui planque son magot en Suisse, au Luxembourg, sinon dans les îles Caïmans, ou l’infirmière qui consacre un an humanitaire à soulager les plaies dans les favelas de Rio ou de Bombay. Ce que l’on peut constater, c’est que depuis 1992, la population expatriée a crû de 23 %. Un sacré bond comparé à la décennie 75-85 où cette croissance ne dépassait pas les 10 %. Certains disent qu’il ne faut pas crier à l’hémorragie. Historiquement, les Libanais se sont toujours expatriés depuis 1915, à l’époque où on criait famine. Ils n’avaient pas attendu les jets supersoniques pour aller respirer l’air ailleurs. Très ouverts à l’apprentissage des langues, ils s’adaptent aisément et se disciplinent à l’étranger. Mais aujourd’hui, ce qui pousse les Libanais à s’expatrier, c’est la façon dont est géré le pays, le niveau médiocre du discours politique, la qualité peu reluisante de la classe politicienne, une magistrature branlante, une certaine presse partisane, une dégradation déliquescente des mœurs, un recul effarant de la culture et des arts, une arabité envahissante qui supplante notre libanité à travers nos chaînes télévisées, des institutions paralysées, un président de la République boycotté, un gouvernement amputé, une Chambre de députés introuvable, une hospitalisation trop chère, une Sécurité sociale inexistante, des magouilles à n’en plus finir, etc. En somme, on va chercher ailleurs ce que l’on a du mal à dénicher sur place. Il n’y a qu’à constater la situation cataclysmique des moins de 30 ans sur le marché de l’emploi pour comprendre que peu de choses les retiennent au Liban. Car d’un bout à l’autre du spectre, qu’ils soient sortis du système scolaire sans qualifications ou qu’ils se destinent à des postes d’« intellos précaires », les jeunes pâtissent à des degrés divers de toutes les « faiblesses » du modèle libanais, un modèle qui semble en déphasage, même avec le système… solaire. La fuite des cerveaux au-delà des frontières est devenue une réalité. Mais combien sont ceux qui ne reviennent pas (surtout après les attentats et les accrochages intercommunautaires de janvier dernier). Au moins 1 sur 5 s’établit définitivement à l’étranger. Parmi eux on distingue deux profils : ceux qui ont les moyens nécessaires choisissent un pays qui leur paraît plus dynamique, plus valorisant, et ceux qui sont tout bonnement coincés, soit par l’absence d’emplois, soit parce qu’ils ont rompu toute relation avec leurs arrières. Peut-être que les salaires ne sont pas aussi juteux qu’ils l’espéraient, mais ils partent quand même. Surtout parce que leurs droits civiques sont respectés. C’est aussi parce qu’à l’étranger, on est plus sérieux et moins à cheval sur l’identité raciale et confessionnelle. On imagine parfois la galère des malchanceux, des démunis, mais ils estiment être moins oppressés, et quand ils décrochent un job, même s’il ne fait pas partie de leur spécialisation, ils y excellent. C’est ce que l’on appelle le miracle libanais. À quand celui de nos politiciens ? Au Liban, le virtuel supplante le réel, les médiocres ont plus de notoriété que les compétents et le symbolique s’abîme dans le gag, ou tout objet de dérision. Bref, le Liban n’appartient plus aux Libanais. Si le gouvernement (amputé) de Siniora compte poursuivre sa politique de taxation outrancière, peut-on craindre que dans les poches du citoyen ne circulent plus des devises, mais… des courants d’air, et que notre pays soit vendu aux enchères… en pièces détachées ? Nahi LAHOUD Producteur de théâtre

Combien sont-ils ces Libanais qui ont choisi de prendre le large depuis que le pays est entré dans les espaces de la turbulence ? Les statistiques officielles sont à manier avec prudence et sérieux. Selon les estimations consulaires, ils étaient plus d’un million en 2006, soit l’équivalent d’une ville comme Beyrouth (une hémorragie démographique). C’est énorme,...