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Actualités - CHRONOLOGIE

SOCIÉTÉ - Les habitants de Bitouga dépensent en boissons alcoolisées leur maigre pécule La nuit enivrée des Pygmées du grand nord gabonais

À la nuit tombée, les Pygmées de Bitouga, un village perdu au cœur de la forêt de l’extrême nord gabonais, dépensent en boissons alcoolisées le maigre pécule obtenu auprès de leurs voisins bantous grâce à la chasse, la pêche ou les travaux agricoles. «Depuis que les Pygmées se sont sédentarisés et rapprochés des villes, l’alcoolisme est devenu un vrai problème », admet Hélène Nze, présidente de l’ONG Edzengui, qui signifie « le génie de la forêt » en langue baka. « La vérité, c’est qu’on a récupéré surtout les mauvais aspects des modes de vie bantous. » C’est dans un petit cabaret en bois, où flotte une odeur rance de bière et de vin de maïs fermentés, que ces Pygmées de l’ethnie baka viennent s’asseoir en fin de journée. Éclairé par une lampe à pétrole, ce troquet est un condensé des rapports ambigus entre les Pygmées, peuple de la forêt, les Bantous, notamment les Fangs largement majoritaires dans la région, et les habitants des pays voisins.Dans un coin, le tenancier camerounais, seul étranger et unique commerçant du village, gère méticuleusement sa bourse et ses bouteilles ; affalés sur des banquettes en bois, quelques Fangs échangent en français des propos alcoolisés ; assis au fond, des Bakas, hommes et femmes, sirotent tranquillement leur boisson. Ce petit monde se déplace ensuite autour du feu allumé au cœur de Bitouga, un village d’une quinzaine de maisons en torchis coiffées de branches de palmiers. Là, des femmes entonnent des chants aigus au rythme des percussions, tandis que d’autres dansent en cercle autour du foyer. Soudain, l’alcool, les sons lancinants et le tournis aidant, une femme est saisie de violentes convulsions. Ses yeux sont fermés, ses mâchoires serrées, la peau se glace. C’est la transe. À son réveil, plusieurs femmes sont penchées sur elle. Le guérisseur est là aussi, mais s’en désintéresse vite, accaparé qu’il est par sa maigre peau de fauve tacheté qu’il agite au-dessus des flammes pour y déceler, dit-il, « les bons ou mauvais esprits qui frapperaient l’assistance ». Puis, le feu petit à petit s’éteint, tout comme les bruits. Bitouga s’endort. Il y a deux voies pour arriver dans ce village d’une soixantaine d’âmes depuis Minvoul, la ville la plus proche, non loin de la frontière camerounaise. La plus rapide serait en pirogue à moteur sur la rivière Ntem, mais les troncs qui la jonchent sont autant d’obstacles à la navigation. Il faut donc gravir à pied une colline boisée, traverser le Ntem et marcher encore dans la forêt pour atteindre enfin une clairière parsemée de plantations et d’habitations. En tout, c’est un trajet d’une heure que les Bakas parcourent souvent. « Pour vivre, on fait des petites bricoles pour les Bantous de Minvoul ou d’autres villages, on va aux champs, on chasse le petit gibier ou on pêche », explique Alain Ntsoumba Adombo, seul Pygmée francophone de Bitouga. En contrepartie, Alain gagne peu d’argent, souvent 1 000 francs CFA (1,5 euro) par jour, qu’il dépense dans les rares besoins que la proximité citadine a créé chez les Bakas : les cigarettes, la boisson, mais aussi le pétrole ou le savon. Très soucieux de donner une image positive de sa communauté, ce jeune père de 25 ans minimise les tensions qui opposent encore les Pygmées à leurs voisins bantous. « C’est un peu difficile, ils ont un sentiment de supériorité », finit-il par admettre. Mais cet euphémisme est décrié par le reste du village. « Entre les Bakas et les Bantous, c’est la guerre, et ça ne finira jamais », sourit Yoyo, une « maman » à l’âge incertain. « Quand je vois un Bantou venir, je sais qu’il ne me considère pas vraiment comme un être humain. »
À la nuit tombée, les Pygmées de Bitouga, un village perdu au cœur de la forêt de l’extrême nord gabonais, dépensent en boissons alcoolisées le maigre pécule obtenu auprès de leurs voisins bantous grâce à la chasse, la pêche ou les travaux agricoles.
«Depuis que les Pygmées se sont sédentarisés et rapprochés des villes, l’alcoolisme est devenu un vrai...