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APHORISMES La liberté, ses fossoyeurs, ses empailleurs Percy KEMP

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle française, qui aura vu le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, caracoler en tête avec plus de 30 % des suffrages, la candidate du Parti socialiste, Ségolène Royal, a lancé un appel solennel à tous les démocrates, leur demandant de se mobiliser afin de barrer la route à son rival, taxé de liberticide et accusé de vouloir mettre en place un État policier. Il ne m’appartient pas, en ma qualité d’étranger, de m’immiscer dans une affaire ne concernant que les Français. Il ne m’appartient pas plus, en ma qualité d’homme, de porter un jugement de valeur sur Nicolas Sarkozy ou de faire un procès d’intention à Ségolène Royal. Qu’il me soit néanmoins permis, au vu des heurs et malheurs que la liberté connaît dans les deux pays qui sont les miens, la République libanaise et le Royaume-Uni, de me pencher sur cette valeur-là que Nicolas Sarkozy menacerait et que Ségolène Royal entend protéger. Pour ce faire, je ne me poserai pas la question de savoir si, oui ou non, la liberté est en danger et ce qui pourrait être fait pour la sauvegarder. Je me poserai plutôt la question de savoir quelle est, très précisément, cette liberté-là. Il fut sans doute un temps où les hommes savaient pourquoi ils étaient libres. Il fut aussi un temps où le droit à la liberté s’accompagnait de certains devoirs : devoirs d’un homme libre passant un contrat moral avec lui-même avant même de le passer avec ses semblables. Ce n’est hélas plus le cas depuis longtemps, notamment en Occident où il en va désormais de la liberté comme de tous les droits dès qu’ils se muent en privilèges et en acquis: elle a cessé d’être un moyen, pour devenir une fin en soi. Être libres pour être libres, voilà bien, aujourd’hui, notre définition de la liberté. Liberté que nous concevons comme étant l’abolition de toute contrainte et le libre cours donné à nos souhaits, désirs et penchants. Or cette liberté-là n’est que la projection de notre Moi, qu’il soit dominateur comme chez certains ou altruiste comme chez d’autres, qu’il œuvre à l’accumulation du pouvoir et de l’argent ou qu’il milite, en Afrique, contre la misère et la faim. Dans l’un comme dans l’autre cas, le Moi y trouve parfaitement son compte, valorisé qu’il est et porté aux nues par cette liberté à laquelle nous sommes tant attachés. Si attachés, en fait, que notre attachement à elle en vient, paradoxalement, à nier le sens même du mot liberté. En réalité, nous avons fini par oublier que tout droit implique un devoir dont il tire justement sa force et sans lequel il ne peut ni se raffermir ni perdurer. On s’occupe donc des droits de l’homme, de la femme, des homos, des hétéros, des filles mères, des pères célibataires, des minorités, des majorités, des travailleurs, des chômeurs, des patrons et des retraités, mais on s’occupe peu des responsabilités de chacun et on en parle encore moins. Or, sans responsabilité, la liberté n’est que laxisme et licence, laxisme et licence mènent aux abus et aux excès et les abus et les excès finissent par épuiser la matière dont ils se sont gavés. Il m’apparaît donc que si la liberté succombe aujourd’hui, cela n’est pas tant dû à George W. Bush et à son Patriot Act, à Tony Blair et à ses lois antiterroristes, à Nicolas Sarkozy et à ses lois sécuritaires, encore moins à Oussama Ben Laden et à ses attentats terroristes. Ceux-là ne font en réalité que lui donner le coup de grâce alors qu’elle a déjà été terrassée par nos propres abus et excès. Qu’on ne s’y trompe pas : bien qu’on ne l’ait pas encore enterrée, la liberté n’en est pas moins décédée. Alors, liberticide, Nicolas Sarkozy ? Je vois plutôt en lui un fossoyeur, se chargeant d’escamoter un cadavre gênant qui est pour nous un rappel constant de notre immense lâcheté. Rempart de la liberté, Ségolène Royale ? Je vois plutôt en elle une empailleuse, agitant devant nos yeux un corps sans vie et cherchant par tous les moyens à nous prouver que nous n’avons rien fait de mal ni rien à nous reprocher. On peut préférer les empailleurs aux fossoyeurs. On peut aussi préférer les fossoyeurs aux empailleurs. Mais qu’on ne se targue pas de son choix pour se cacher derrière son petit doigt. Car dans cette affaire, ne l’oublions pas, les vrais liberticides, c’est vous et moi. Avant d’exiger qu’on nous rende notre liberté confisquée, occupons-nous donc de redonner à la liberté son sens premier ; décidons aussi à quel usage nous la mettrons une fois que nous l’aurons retrouvée ; acceptons surtout avec joie la responsabilité qui va avec. Ce n’est qu’alors que nous mériterons vraiment du nom d’hommes libres. Article paru le Vendredi 4 Mai 2007
Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle française, qui aura vu le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, caracoler en tête avec plus de 30 % des suffrages, la candidate du Parti socialiste, Ségolène Royal, a lancé un appel solennel à tous les démocrates, leur demandant de se mobiliser afin de barrer la route à son rival, taxé de liberticide et accusé de...