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Actualités - CHRONOLOGIE

DOSSIER - La compétition est rude entre les émirats du Golfe, sous les feux de l’actualité avec des projets retentissants Batailles culturelles chez les rois du pétrole

Il nous paraît loin, très loin, si loin le temps où Beyrouth était sacré « Capitale culturelle du monde arabe ». Souvenez-vous, c’était en 1999. Aujourd’hui, ce sont les émirats du Golfe qui remportent la palme de l’attraction culturelle. Ils avaient le pétrole, et c’était tout. Maintenant, ils ont le Louvre, le Guggenheim et la Sorbonne. Ils accueillent Christie’s, Robbie Williams et Shakira. Des sables du désert de Sharjah, de Qatar, de Dubaï et d’Abou Dhabi sortent des musées construits par Frank Gehry, Zaha Hadid, Jean Nouvel, Tadao Ando ou encore Eoh Ming Pei… Dans ce jeu de Monopoly géant, la compétition est rude entre les émirats du Golfe qui veulent attirer le résident ou le touriste de luxe. Le marché de l’art s’y annonce également très prometteur. D’avis de professionnels, un « marché beaucoup plus mature » que le marché émergent en Chine populaire qui fait rêver tout l’Occident. Pour preuve, les ventes Christie’s qui se succèdent, la première Gulf Art Fair à Dubaï organisée début mars dans le cadre somptueux du Jumeirah Madinat Arena et de la spectaculaire Fort Island, et l’audacieuse Art Paris Abu Dhabi qui, comme son nom l’indique, exportera dès novembre la foire d’art moderne du Grand Palais parisien sous les ors de l’« Emirates Palace » dans la capitale de la fédération. Les monarchies du Golfe connaissent une impulsion réformiste évidente ; pour preuve, le scrutin législatif transparent qui a eu lieu à Bahreïn ; le débat d’idées que connaît l’Arabie saoudite ou l’élection d’une femme, Amal Kobeissi, au Parlement des Émirats arabes unis, etc. ; d’aucuns considèrent qu’il s’agit là du début d’un processus qui obère le devenir de ces monarchies condamnées à se transformer de l’intérieur, à l’heure des grands chamboulements que connaît la région. Côté culturel, les Émirats se montrent de plus en plus permissifs, voire carrément « mondialisables ». Avec cette ouverture au monde, ils offrent la sécurité et un sens de la perfection dans ce qu’ils entreprennent. Sous le label de « dialogue des cultures et de la création de passerelles entre les civilisations », les Émirats se trouvent donc aujourd’hui propulsés sous les feux de l’actualité avec leurs projets retentissants. Construire le plus grand musée ou attirer la plus prestigieuse université semblent être les enjeux de ce Monopoly géant. Dubaï, paradis artificiel ? Dubaï, une métropole sans âme, un paradis artificiel pour plaisirs superficiels avec des habitants virtuels ? C’est ce que disaient les « expats » dubaïotes. Mais voilà. La donne est en train de changer. Rapidement. Dangereusement. Autrefois, on y allait pour faire de l’argent. Puis sont venus les restaurants, les pubs, les plages, les complexes de cinéma. L’argent, gagné à force de sacrifices, est dépensé tout aussi rapidement. Dubaï, avec ses tours qui chatouillent le ciel (dont Bourj Dubaï appelée à devenir la plus grande tour du monde et qui devrait être achevée fin 2008). Dubai, où le bâtiment le plus ancien, le Fort Fahidi, qui fait également office, depuis 1971, de Musée national, date de 1787. Dubaï où l’on construit des théâtres de 500 places, où l’on a pu voir un Michael Jackson en tchador (pour l’anecdote) et où ont défilé ces deux dernières années Sting, Robbie Williams, Craig David, Vanessa Mae, Shakira, Mariah Carey, Brian Adams, les Black Eyed Peas. Dans le cadre du Dubai Desert Rock Festival, des groupes cultes comme Incubus, The Prodigy et les Iron Maiden. En attendant les musées, la fin de chacune des négociations et les monuments architecturaux qui doivent les magnifier, les affaires continuent à Dubaï, devenu paradis financier régional et international, pour encourager l’investissement en œuvres d’art au Proche-Orient et en Asie, deux régions prometteuses pour le marché lucratif de l’art. Le mérite en revient à Christie’s, la première à avoir misé sur ce nouveau marché que sont les émirats du Golfe. Sa première saison en mai 2006 a été à ce titre une réussite alléchante pour un marché de l’art qui vit déjà une embellie incroyable, de New York à Londres, de Bâle à Paris, grâce à l’art contemporain. En réalisant un produit de 8,489 M$ (87 % des lots vendus et surtout 94 % en valeur, soit des acheteurs très enthousiastes dont les enchères dépassent largement les estimations), sa vente internationale d’art moderne et contemporain a été un coup de théâtre en 2006. La deuxième saison, tenue le 31 janvier et le 1er février 2007, de montres anciennes, de bijoux et d’art contemporain, était également un grand succès. « Sous la bénédiction des autorités, qui veulent donner une spécificité au lieu et attirer des résidents de qualité, Dubaï a réussi à créer les conditions d’un vrai épanouissement culturel. Sécurité, libéralisme et perfectionnisme poussé à l’extrême en tout projet, la formule attire un nombre croissant d’Indiens, collectionneurs et investisseurs, qui n’hésitent pas à traverser les mers pour venir y ancrer leurs affaires », analyse François Curiel, président de Christie’s Europe. « Ils constituent, dit-il, le cœur de cible de ce nouveau marché à Dubaï, suivis des nouveaux Russes aux fortunes toutes neuves, friands du climat et des facilités du lieu, suivis des acheteurs de la région, des Émirats à l’Arabie saoudite, qui apprécient de voir s’enrichir ainsi leur voisinage touristique et culturel. » Francophonie galopante à Abou Dhabi C’est ainsi, pour « enrichir l’offre universitaire régionale», jusque-là dominée par les Anglo-Saxons, que les EAU ont pris l’initiative de la Sorbonne transplantée à Abou Dhabi moyennant 25 millions de dollars. L’établissement est mixte, axé sur un enseignement laïc et accueillera dans un premier temps une centaine d’étudiants – on en prévoit à terme plus d’un millier – pour les trois années du cursus de licence. Les jeunes émiratis, et plus largement ceux des pays du Golfe, pourront assister à des cours d’archéologie, d’histoire des arts, de littérature française, d’histoire, de géographie et de philosophie, puis, à la rentrée 2007, à des enseignements en droit, en économie et en sciences politiques, tous dispensés en français. Une formation « diplômante », assurée par des professeurs de la Sorbonne expatriés, qui leur permettra de poursuivre leurs études de mastère et de doctorat en France, voire en Europe. Une année d’apprentissage de la langue et de la culture françaises est même prévue à destination des candidats non francophones. Pour Abou Dhabi, accueillir une université aussi prestigieuse est une façon de préparer l’ère de l’après-pétrole en misant sur l’économie du savoir et de la culture, tout en concurrençant Dubaï. L’autre avantage serait de profiter, à terme, du déclin de Beyrouth et du Caire, pour s’affirmer en tant que pôle moyen-oriental de la francophonie. Du côté de la Sorbonne, on affirme, par la voix de son président, Jean-Robert Pitte, vouloir concourir au dialogue des civilisations et au rayonnement de la culture française, face à l’influence des universités anglo-saxonnes. De la réussite de l’expérience d’Abou Dhabi dépendra l’extension, à l’étude, de la formule à des pays comme la Grèce, la Corée du Sud, le Japon, ou la Chine... La possibilité d’une île… des musées On l’aura compris, Abou Dhabi, qui a bâti sa richesse sur le pétrole, mise désormais sur le tourisme et la culture. L’émirat compte en effet se doter d’un « district » culturel unique au monde d’ici à 2018. L’émirat espère construire cinq grands musées (dont les très médiatiques Guggenheim et Louvre) sur l’île inhabitée de Saadiyat, pour un budget évalué à 27 milliards de dollars, en partenariat avec les établissements les plus prestigieux du monde. Le Centre culturel des arts vivants sera conçu par l’architecte britannique d’origine irakienne Zaha Hadid. La capitale des Émirats arabes unis entend ainsi se différencier de Dubaï, sa rivale économique, en misant sur le terrain de la culture et de l’économie du savoir. « L’idée est de créer une complémentarité entre les sept émirats qui composent notre pays », se défendent les gouverneurs. Ce pôle sera également l’occasion d’ancrer le tourisme dans une ville qui vit principalement des pétrodollars (chaque jour y sont extraits 2,5 millions de barils de pétrole). Au terme du projet, l’île pourra héberger plus de 150 000 personnes. Le Guggenheim de New York a officiellement accordé une franchise. Le coût de la construction de cet ouvrage confié à l’architecte Frank Gehry est estimé aujourd’hui à 400 millions de dollars, sans compter l’achat des œuvres à exposer. Si, de leur côté, les Américains n’ont pas montré une opposition à ce projet (il faut dire qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté pour eux : les Guggenheim-bis fleurissent un peu partout), la « délocalisation » du Louvre se passe, elle, sur fond de polémique. Comme on le sait, d’éminentes personnalités du monde culturel français estiment qu’offrir à Abou Dhabi la possibilité de nommer un musée « Louvre » est une manière de brader ce que la nation possède de plus précieux. Rapidement caricaturé, le débat a tourné à la polémique. D’un côté, les « anciens », prétendument dépassés par la nouvelle activité des musées. De l’autre, les « modernes », soucieux de rentabilité et de visibilité internationale. Les choses ne sont évidemment pas aussi simples. Le calendrier n’est pas encore d’une exactitude parfaite – le cabinet de Jean Nouvel, qui édifiera le bâtiment, le reconnaît le premier –, la date d’ouverture du Louvre Abou Dhabi est à situer vers 2012-2013. Un projet, rappelons-le, qui a été voulu par l’émirat d’Abu Dhabi et, au premier rang, par cheikh Mohammad ben Zayed, fils du fondateur des Émirats arabes unis et prince héritier, puis mis en œuvre par cheikh Sultan ben Thanoun al-Nahyan, président de l’autorité du tourisme et du patrimoine, et cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyan, demi-frère du prince, ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Culture. Le projet Louvre comporte trois volets : la construction d’un bâtiment de 24 000 m2 dessiné par l’architecte Jean Nouvel, la location d’œuvres appartenant à plusieurs musées français et l’utilisation de l’appellation « Louvre » (pour un coût de 400 millions d’euros) pendant trente ans. Une opération qui « avoisine le milliard d’euros » (!), chiffre l’ambassade des Émirats arabes unis à Paris. Dont 400 millions d’euros pour le Louvre, sans baisse de dotation budgétaire, sans taxation fiscale, 265 millions d’euros pour l’ensemble des musées participants aux prêts et aux expositions. Cet accord est signé pour trente ans et six mois. Premier acte rêvé par le Louvre-Paris : le pavillon de Flore pourrait être dégagé... Abou Dhabi permettrait ainsi l’achèvement du Grand Louvre. Évidemment, la question de la fidélité des œuvres se pose d’elle-même. Quid de certains types de représentations dans une terre aux mœurs somme toute assez conservatrices ? Bien que le musée revendique « l’universalisme », « les crucifixions, ou les nus » ne sont pas universels pour les Émiratis. Un néologisme aurait même été créé pour l’occasion : « les nus calmes ». Le concept n’existe pas dans la terminologie artistique, mais on le comprend aisément : il s’agira sans doute d’œuvres qui ne présentent pas de caractère trop provocant. Selon un historien d’art, « c’est l’État français qui s’autocensure ». Outre ces critères esthétiques, la sélection des œuvres se fera sur le principe du volontariat : les conservateurs étant libres de mettre ou non à disposition telle œuvre ou telle œuvre. L’émir éclairé de Qatar La monarchie, dirigée depuis 1995 par un émir éclairé et passionné de culture, s’est investie dans une politique délibérée d’acquisition d’œuvres d’art, ayant fait de ce petit pays l’un des plus grands acheteurs sur le marché mondial. En 2005, la presse occidentale avait toutefois révélé la disgrâce du responsable de ces achats, le prince Saoud al-Thani, qui a acquis la réputation de « plus grand collectionneur d’art » au monde. Ce prince ne lésinait pas sur les deniers publics, allant jusqu’à dépenser en une semaine de ventes aux enchères à Londres plus de 15 millions de livres sterling, écrivait alors un journal français. Les acquisitions phénoménales du prince Saoud, au nom de l’émir, devraient occuper une bonne place dans une série de musées, dont la construction est envisagée à Doha. « Nous possédons un immense florilège de pièces originaires de nombreux pays du monde, collectionnées depuis une quinzaine d’années et qui doivent figurer dans une série de musées, le premier devant être inauguré fin 2007 ou début 2008 », déclare à l’AFP Sabiha al-Khémir, directrice du Musée d’art islamique. Le musée, en cours d’achèvement sur la corniche à Doha, a été conçu par le Sino-Américain de renommée mondiale Ieoh Ming Pei, l’architecte de la Pyramide du Louvre. Les espaces intérieurs et la présentation des œuvres ont été confiés à l’architecte-muséographe français Jean-Michel Wilmotte. Quarante-deux chefs-d’œuvre qui doivent figurer dans les salles du futur Musée d’art islamique ont été exposés pour la première fois en juin dernier au Louvre. Le Musée d’art islamique va s’intégrer dans un ensemble de réalisations culturelles, dont cinq à sept musées et une bibliothèque nationale, confiées à d’autres architectes de renommée mondiale, dont l’Espagnol Santiago Calatrava et le Japonais Arata Isozaki. Habib Trabelsi, de l’AFP, mentionne également « un Musée de la photographie, un Musée des œuvres d’orientalistes et un Musée pharaonique ». Sharjah : un prix et des musées L’émirat de Sharjah n’est pas en reste dans cette course effrénée à la culture. Il prépare actuellement sa huitième Biennale de l’art contemporain, la plus grande dans le monde arabe et se targue de décerner le prix Sharjah pour la culture arabe, un prix créé en 1998 en collaboration avec l’Unesco, à l’initiative de cheikh ben Mohammad al-Quassimi, dirigeant de cet émirat. Le prix est destiné à récompenser les efforts d’un ressortissant d’un pays arabe et d’un ressortissant de tout autre pays qui auront contribué, par leurs œuvres artistiques, intellectuelles ou promotionnelles, au développement et à la propagation dans le monde de la culture arabe. Cette initiative a été prise dans le cadre des activités menées en 1998, au titre de la célébration de « Sharjah, capitale culturelle de la région arabe ». Le prix est accordé une fois tous les deux ans lors de la Conférence générale de l’Unesco.

Il nous paraît loin, très loin, si loin le temps où Beyrouth était sacré « Capitale culturelle du monde arabe ». Souvenez-vous, c’était en 1999. Aujourd’hui, ce sont les émirats du Golfe qui remportent la palme de l’attraction culturelle. Ils avaient le pétrole, et c’était tout. Maintenant, ils ont le Louvre, le Guggenheim et la Sorbonne. Ils accueillent...