Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Entre le Québec et le Liban

Ce serait bien, nous écrit un lecteur, si « L’Orient-Le Jour » réservait de temps en temps une colonne où des expatriés pourraient s’exprimer notamment sur leur vision de la politique libanaise et de la scène libanaise vue de loin. Dans ce contexte, ajoute-t-il, je me permets de partager avec vous mes pensées d’expatrié suite aux élections provinciales québécoises du 26 mars. Cet évènement aura certainement des conséquences sur les milliers de Libanais canadiens qui vivent dans la « Belle Province ». La consultation populaire m’a poussé à réfléchir sur notre condition libanaise. Que s’est-il passé le 26 mars au Québec ? Pour un Libanais, c’est un jour de gagné sur une potentielle guerre civile, un jour de plus où il a survécu à un éventuel conflit régional. Pour un Québécois, c’était le jour du scrutin pour élire les membres de l’assemblée provinciale. Rappelons d’une façon très simplifiée que le Québec est gouverné, comme toutes les provinces canadiennes, par deux instances qui ont chacune leurs compétences : le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. C’est le gouvernement provincial qui a organisé en 1995 le référendum sur la souveraineté du Québec. Quel rapport avec le Liban ? Ces élections me poussent à réfléchir et à faire certaines comparaisons avec mon pays natal. Bien que comparer certaines situations éloignées ne soit ni rigoureux ni « correct », je me permets de le faire tout en tenant compte de la limite d’une telle démarche. 1er point : la question existentialiste et les grandes divergences « communautaires ». Traditionnellement et de façon très schématique, les élections au Québec tournent autour du thème de la souveraineté : d’un côté, il y a les séparatistes et, de l’autre, les fédéralistes qui refusent la séparation. Et depuis une trentaine d’année, on assiste à une alternance au pouvoir des séparatistes et des fédéralistes. Un des thèmes de désaccord entre les partis est donc existentiel : Québec indépendant ou pas ? C’est dire le fossé qui sépare ces deux mouvements. Retour à la situation libanaise: les divergences entre groupes sont aussi importantes : État laïc ou confessionnel ? Alignement politique, économique, militaire sur d’autres puissances ou pas ? Usage exclusif de la force aux mains de l’État ou pas ? Politique étrangère agressive ou neutre vis-à-vis de l’Occident et d’Israël ? Répartition du pouvoir selon l’accord de Taëf ou pas ? Loi du plus grand nombre ou pas ? Etc. Au Québec, les anglophones et les immigrants seraient majoritairement hostiles à la séparation. Traditionnellement, les francophones étaient plus favorables à cette idée. On retrouve, comme au Liban, des communautés distinctes qui sont en désaccord et qui ne parlent pas parfois la même langue ! 2e point : une communauté longtemps défavorisée. Historiquement, les francophones du Canada n’ont pas toujours eu la vie facile sous la gouvernance anglaise. Beaucoup ont été déracinés, discriminés. Et pourtant le catholicisme et le français ont survécu au Québec. Il y a toujours eu une communauté marginalisée au Liban : chrétiens, chiites, druzes, sunnites... inutile de citer toutes les confessions. D’où, de temps en temps, on assiste à l’éveil d’un certain sentiment communautaire qui s’oppose au sentiment d’appartenance commune des communautés bien nanties. 3e point : minoritaires/majoritaires ? Les francophones sont minoritaires au Canada. C’est un peu le cas des chiites et des sunnites avec l’étendue du monde chiite proche au Moyen-Orient (Irak, Iran...) ou sunnite proche (Égypte, Jordanie, Arabie saoudite, etc.). Ni les francophones n’essaient de refaire les frontières ou les lois du Québec pour être sûrs de remporter l’indépendance, ni les anglophones ne s’appuient au reste du Canada pour interdire le mouvement souverainiste. 4e point : un débat pacifique. Même si la souveraineté tient à cœur à de nombreux Québécois, pratiquement personne ne songe à l’imposer, à l’acquérir ou à l’empêcher par la force. Le débat demeure pacifique. 5e point : des voisins puissants. Le Québec et le Canada sont voisins des États-Unis. Le Canada a réussi à entretenir de bonnes relations avec son puissant voisin tout en préservant sa souveraineté et ses frontières. 6e point : la gouvernance. La majorité gouverne au Québec. La minorité accepte la défaite même si elle a des doutes : doutes sur le choix de la date des élections qui favorise le parti au pouvoir, doutes sur la capacité des nouveaux dirigeants, etc. Ainsi, fédéralistes et souverainistes ont accepté d’accéder pacifiquement au pouvoir par alternance. 7e point : au-delà de l’attachement à un leader, un attachement à des idées. Le leader du parti défait tire conclusion de l’échec électoral et se retire en général. Le parti et les idées du parti demeurent, évoluent parfois. La défaite des séparatistes lors des élections québécoises indique en partie une certaine lassitude des Québécois vis-à-vis des référendums à répétition et leur préoccupation par d’autres sujets : la santé, l’éducation... 8e point : des résultats non prévus d’avance. Beaucoup d’électeurs québécois sont indécis et critiques face aux hommes politiques. Il faut les reconquérir en permanence. Il y avait trois partis au Québec en 2003. La sanction populaire de 2007 a énormément changé la répartition des sièges : un petit parti passe de 5 sièges à 41 sièges (le tiers de l’Assemblée environ) et dépasse le parti souverainiste, traditionnellement le premier ou le deuxième parti à l’Assemblée. Conclusion : quand le Liban connaîtra-t-il sa « révolution tranquille » et pacifique comme celle du Québec ? Au Liban, il y a une forte probabilité qu’un électeur revotera pour le même parti et pour le même candidat. Le leader du parti sera probablement celui des dernières élections. Un leader politique dont la légitimité et la parole sont probablement méprisées par d’autres. Pour les uns, il s’agit du meilleur d’entre eux, pour les autres, tout le contraire. Si la coalition du 14 Mars gouvernait le pays comme une véritable majorité, la coalition du 8 Mars considérerait que c’est la fin du Liban et de son modèle de coexistence. Si celle du 8 Mars prend le pouvoir ou le droit de veto, celle du 14 Mars considérerait que le Liban est en péril. J’admire les souverainistes et les fédéralistes qui se succèdent au pouvoir suite à la sentence des urnes au Québec. J’admire Gore qui délaisse le poste de président de la plus grande puissance terrestre malgré des élections contestables. J’admirerai le premier leader qui laisserait sa tribune à son opposant pour lui donner une chance loyale de gouverner quelles que soient les conséquences. Le Liban n’est ni en Amérique du Nord ni comparable au Québec. Il est situé en première ligne de nombreux conflits. Il est dans une région « en développement », peu démocratique et libérée. En réalité, comme beaucoup d’immigrants, on ne peut s’empêcher de jauger, de comparer et de penser par rapport à notre petit pays. On se pose une question avec beaucoup de subjectivité : pourquoi cela ne se ferait-il pas au Liban ? Et on se met à rêver, avec une pointe d’amertume et de nostalgie. Ramzi EL-FAKHRI Québec
Ce serait bien, nous écrit un lecteur, si « L’Orient-Le Jour » réservait de temps en temps une colonne où des expatriés pourraient s’exprimer notamment sur leur vision de la politique libanaise et de la scène libanaise vue de loin. Dans ce contexte, ajoute-t-il, je me permets de partager avec vous mes pensées d’expatrié suite aux élections provinciales québécoises du...