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Actualités - OPINION

« Désarabiser » les Arabes

Une semaine après le cinquantième anniversaire du traité de Rome, fondateur de l’Union européenne (UE), les dirigeants arabes tiennent cette semaine à Ryad le sommet annuel de la Ligue arabe, sans que l’on puisse se faire une quelconque illusion sur les résultats de cette réunion, à l’instar de toutes celles qui l’ont précédée depuis 1945. Deux institutions qui ont suivi deux parcours totalement différents. D’abord l’UE, qui compte, depuis le 1er janvier 2007, 27 États membres. Ce dernier élargissement constitue l’aboutissement d’un long processus et d’une action soutenue qui se sont étalés sur près d’un demi-siècle. C’est en 1957 que six pays signèrent les traités de Rome qui instituaient la CEE. Depuis, plusieurs vagues d’adhésion ont eu lieu, et d’autres traités ont été signés qui ont introduit de nouvelles formes de coopération entre les pays membres aboutissant à la création de l’Union européenne. La raison de la réussite de « l’UE est qu’elle n’est pas qu’une institution », disait l’ancien chef de la délégation de la Commission européenne au Liban, Patrick Renauld, en 2004, à l’occasion de l’adhésion de dix nouveaux pays membres. « C’est une identité construite sur la base des différences : peu importe le nombre de langues, la multitude de cultures et d’histoire », ajoutait-il. Quelques années auparavant, lors d’un discours devant le Bundestag, le président français Jacques Chirac déclarait : « Ni vous ni nous ne voulons d’un super-État qui se substitue à nos États-nations. Ces derniers sont la source de notre identité et de notre enracinement. » C’est également sur la diversité et sur la liberté que la chancelière allemande, Angela Merkel, insista lors de son discours devant le Parlement européen au début de cette année. « Il est vrai certes que l’Europe vit de sa diversité », a-t-elle déclaré le 17 janvier dernier. Mais « c’est la liberté qui permet notre diversité. La liberté est la condition essentielle à la diversité », a-t-elle ajouté, avant de souligner que jamais elle ne voudrait quitter cette « maison magnifique » qu’est l’Union européenne. La chancelière allemande brossait ainsi un bilan positif de l’unification européenne qui « a apporté aux peuples d’Europe une immense chance, à savoir la garantie de vivre dans la paix et la prospérité ». Sur la rive sud de la Méditerranée, le bilan d’une autre organisation régionale semble beaucoup moins enthousiaste, pour ne pas dire négatif, sinon catastrophique. On est bien loin des objectifs fixés par la charte de la Ligue qui prône le renforcement des liens entre les États membres afin de réaliser un tant soit peu les espoirs unitaires, tout en permettant l’émergence d’un bloc régional capable de défendre les intérêts communs de la « nation arabe ». S’il est trop tôt pour sonner le glas de la Ligue arabe, force est de constater qu’elle tourne pratiquement à vide depuis des années, minée par les querelles intestines et l’archaïsme de ses institutions qui sont restées presque les mêmes depuis soixante ans. À la différence d’autres blocs régionaux, la Ligue arabe est donc restée figée dans son contexte institutionnel, devenant uniquement le porte-voix de gouvernements occupés à la sauvegarde de leur régime au lieu d’œuvrer à exprimer les espoirs et les inquiétudes des peuples arabes. La Ligue arabe est également handicapée par le fait que l’identité arabe, fondée sur l’unicité de la « nation arabe » regroupant les 22 pays arabes, équivaut à effacer les spécificités des pays et territoires formant cette région. D’où une concurrence avec l’identité nationale en faisant obstacle à l’appartenance à l’État-nation. Ce phénomène est accentué par le comportement des différents gouvernements arabes qui sont, dans leur grande majorité, des régimes autoritaires. Ainsi, les administrés ne se sentent pas représentés par les institutions étatiques de leur pays et perdent toute loyauté envers lui. En conséquence, ils se tournent vers un substitut auréolé par des récits mythiques, à savoir la nation arabe. Ces mythes qui s’appuient notamment sur un passé commun et glorieux des Arabes vont engendrer une pratique politique se traduisant par l’oppression de toute forme de contestation et imposant une seule vision du monde. Le discours totalitaire de nationalisme arabe bafoue, ainsi, les principes de pluralité et de démocratie dans les sociétés arabes. C’est donc le rejet radical de toute altérité et de toute différence qui va caractériser la pensée unique dans le monde arabe, et ce d’autant plus fortement que celui-ci se sent également menacé par la mondialisation et « l’impérialisme occidental ». Perdues dans une identité illusoire, les populations des pays arabes n’ont pas pu s’intéresser à leur triste sort de citoyens. Ni l’influence du colonialisme par le passé, ni les réformes proposées par le partenariat euro-méditerranéen depuis une dizaine d’années ou par le projet du « Grand Moyen-Orient » du président Bush, ni l’imposition par la contrainte d’élections libres n’ont pu faire sortir les sociétés arabes de l’inertie dans lesquelles elles se trouvent. Aucune des approches socio-politico-économiques n’ont pu créer une brèche dans cet ensemble imperméable à la démocratie. Reste à savoir si, en « désarabisant » les Arabes, ceux-ci pourront briser leurs chaînes et faire le pas nécessaire pour entrer dans la modernité et adopter une culture pluraliste et démocratique indispensable à leur épanouissement en tant que citoyens à part entière dans leur pays. Antoine AJOURY

Une semaine après le cinquantième anniversaire du traité de Rome, fondateur de l’Union européenne (UE), les dirigeants arabes tiennent cette semaine à Ryad le sommet annuel de la Ligue arabe, sans que l’on puisse se faire une quelconque illusion sur les résultats de cette réunion, à l’instar de toutes celles qui l’ont précédée depuis 1945.
Deux institutions qui...