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Actualités - OPINION

IMPRESSION Miracles et mystères

Dans quelques années, un humain sur deux aura soif. En attendant, une source d’eau pure s’est ouverte sur le trottoir qui borde ma rue. Miracle ? Non, mystère. Cette eau qui file depuis des mois sur l’asphalte n’est qu’un pur gâchis. On ne sait pas d’où vient le problème. Les techniciens concernés n’ont pas encore eu le temps d’y jeter un œil. L’eau se perd, tout simplement. À défaut d’en profiter, résignés à ce sort imbécile, on se fait convoyer l’eau par citernes. Au Burkina Faso, une ONG française a passé des années à prospecter une région avant d’accéder à une maigre nappe phréatique. Le puits creusé est si précieux aux villages limitrophes qu’ils organisent autour de lui tout un rituel, où l’on se recueille quasiment autour de l’eau recueillie. C’est donc ça, le Liban. Un pays gaspilleur, un pays gaspillé. Remarque, ça n’a rien à voir avec le Libanais. Le Libanais est une espèce dont le monde entier, et notamment le monde arabe, est friand. Le Libanais n’a jamais été fichu d’avoir chez lui un musée ou un opéra. Mais qu’est-ce qu’il est doué quand il s’agit d’en gérer, ou même d’en créer chez les autres ! Le Libanais ne sait pas travailler en groupe, sacré individualiste. Mais qu’il intègre une équipe de chercheurs étrangers, et tu ne va pas croire, il est le premier à trouver ! Le Libanais déteste son congénère sur le sol libanais. Mais qu’il se trouve dans un de ces ensembles, où les sociétés étrangères regroupent leur staff, tu le verras renouer avec l’instinct grégaire, le cœur sur la main, prêt à tout pour venir en aide à son frère d’exil. Le Libanais au Liban bâcle son travail, convaincu que ce pays ne le mérite pas. Ailleurs, tu le verras arriver le premier au bureau et trimer comme un âne pour en remontrer aux autres, qu’ils voient de quel bois se chauffe sa tête de libanais. Au Liban, le Libanais ne sait pas résoudre un problème de plomberie. Il ne sait pas tracer une route. Il ne sait pas placer un carrefour. Ailleurs, il te canaliserait, te chausserait et t’électrifierait des villes entières sans un soupir, sans même un cerne à la paupière. Au Liban, le Libanais vit à travers son champion, ce chef dont il a fait le maître de ses jours. Ailleurs, la politique n’est pas trop son souci, sauf parfois par complaisance polie envers sa communauté perso. Le Libanais, on le sait, est bon en tout et partout. C’est le Liban qui n’est pas bon pour le Libanais, lequel le lui rend bien. Comment en sommes-nous arrivés à ce dégoût de nous-mêmes ? Comment ce pays, béni par la nature, comblé de ses bienfaits pourtant parcimonieux ailleurs, a-t-il basculé dans un enfer que tout le monde cherche à fuir ? D’où vient que nos vies se perdent à attendre des ententes qui ne viendront pas et de bons vouloirs qui n’ont rien à voir avec la bonne volonté ? Mystère. Déjà les germes destinés à nos agriculteurs se dépêchent d’aller se faire planter au-delà de la frontière. Les matériaux de construction eux-mêmes répugnent à alimenter les chantiers locaux. Mais ce qu’il nous reste de meilleur à exporter, c’est surtout le Libanais lui-même. Étrange fruit volant, il attend le premier vent pour prendre racine le plus loin possible de la fange natale. Dans le passé, il revenait toujours, nostalgique de son identité, impatient de se retrouver. Aujourd’hui, sans état d’âme, il a simplement renoncé à se chercher. Fifi ABOU DIB
Dans quelques années, un humain sur deux aura soif. En attendant, une source d’eau pure s’est ouverte sur le trottoir qui borde ma rue. Miracle ? Non, mystère. Cette eau qui file depuis des mois sur l’asphalte n’est qu’un pur gâchis. On ne sait pas d’où vient le problème. Les techniciens concernés n’ont pas encore eu le temps d’y jeter un œil. L’eau se perd, tout...