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Actualités - CHRONOLOGIE

FESTIVAL AL-BUSTAN De rhapsodie en caprice, une envoûtante incantation ibérique…

Par un temps de grand froid, avec un vent fouettant les arbres, de la neige sur les voitures et les routes, Vestard Shimkus, pianiste haut de gamme à vingt-trois ans, donnait en soliste au Festival al-Bustan une prestation exceptionnellement incendiaire. Toujours dans le sillage du drapeau espagnol, un programme concocté avec intelligence et esprit, mais où l’air du pays de Cervantès, sans avoir l’exclusivité totale, se mêlait en toute harmonie aux effluves d’un répertoire pianistique de haut vol, sans frontières. Des pages de Haydn, Beethoven et Liszt, mais aussi de Soler,Turina et Moszkowski. De rhapsodie en caprice, en passant par des danses ou des sonates courtes, toute la passion, la fougue, le soleil, les clameurs des arènes, le claquement des éventails en ivoire, les mantilles en dentelles fines, le froufrou des robes fourreaux à traînes et falbalas ont visité, l’espace d’un concert, les touches du clavier d’un pianiste littéralement au talent à couper le souffle. Grand, mince, filiforme, Vestard Shimkus a attaqué avec une royale assurance la Sonate no10 en G majeur de Joseph Haydn, dédiée à la princesse Esterhazy, en deux mouvements (allegro innocente et presto). Narration animée d’un certain humour, d’une fraîcheur décapante, à l’architecture délicate, interprétée avec netteté et une grande beauté sonore. Suivent trois sonates (nos 88 , 47 et 84) très courtes, d’Antonio Soler, qui se disait volontiers disciple de Scarlatti, où pointent des sentiments plus vifs, plus éloquents, plus clairement ibériques. Dans un langage exubérant, usant d’une grande variété de timbres, voilà une subtile combinaison des moments les plus intenses et des rêveries les plus nonchalantes… Pour prendre le relais, une des plus belles sonates de Beethoven, sans titre précis, mais qui se décline en cette appellation de Sonate no 31 op 110 et qui s’inscrit dans l’expression plus connue des trois mouvements. Épanchements torrentiels d’un compositeur qui confiait en toute sincérité et véhémence tous ses remous intérieurs aux pages d’une partition aux turbulences toutes en teintes intimes…Une narration aux morsures marquées, aux cris étouffés ou libérés sous l’emprise d’une passion toujours violente, aux exaltations extrêmes, au lyrisme intense, au romantisme à la fois ténébreux, lumineux et impétueux. Une des œuvres peut-être les moins connues, mais certainement pas les moins émouvantes. Vestard Shimkus donne, en toute autorité, une dimension et une aura encore plus grandes, en prêtant à cette riche palette de sentiments et d’accords fougueux une répercussion, une résonance, une amplitude encore insoupçonnées. Petit entracte et réapparition du pianiste souriant et vêtu d’une chemise rouge flamboyant sous sa veste sombre… Hommage à l’Espagne et petit clin d’œil pour un menu plus «olé-olé»? Sans nul doute. Et, sans préambule, déferle comme une cascade en flots cristallins sur la salle cette incroyable Rhapsodie espagnole de Frantz Liszt, le prince des princes du clavier. Œuvre tout en bravoure et démonstrations périlleuses pour une technique du clavier aux redoutables contorsions des doigts. Triomphe absolu de Shimkus qui porte, imperturbable, une œuvre explosive sur les épaules avec une légèreté de plume: il fend la tornade, affronte la tempête, traverse les arènes, flâne dans des jardins secrets, fleure des roses baccarats, se penche sur des regards chargés de caresses, avec une élégance et une intrépidité incomparables. Talent et maturité L’Espagne, comme l’a perçue Liszt dans ses souvenirs, dans un séjour à Rome, est ici restituée à travers une suite de notes étincelantes, fulminantes, brûlantes comme le feu dans un brasier. D’arpèges perlés en chromatismes pleuvant comme averses en temps d’orage, la partition est débordante de vie et de soleil. Avec des thèmes profondément ibériques, allant de «la folia à la jota». Thèmes incantatoires, passionnés, vifs, éruptifs, magnétiques, où l’Espagne, dans ses horizons divers et variés, dresse avec jubilation ses paysages et ses fragrances dans un éblouissant kaléidoscope d’images intensément colorées. Plus exclusivement espagnoles sont les trois Danses fantastiques de Joaquin Turina, mêlant en toute discrétion écriture moderne et racines folkloriques. Rythmes, cadences, évolution du corps, appel des sens, voilà un bouquet de sensations et d’impressions qui ramènent aux senteurs de l’Aragon, à la douceur du pays basque et à l’ivresse du vin de Sanlucar de Barrameda, aux confins de Guadalquivir… La danse est l’expression des hommes pour les dieux et la musique est ce que ni les mots ni la chair ne peuvent traduire ! Turina en offre une illustration plus qu’éloquente que Shimkus souligne avec verve, sur un ton d’une grande originalité. Pour conclure, ce brillant Caprice espagnol op 37 du Polonais Moritz Moszkowski, professeur de Turina et de Landowska. Morceau de bravoure par excellence, ce caprice volubile, tourbillonnant, aux glissandos agréables, aux fioritures et aux moulures à la fois provocantes et séduisantes, comme les sensuelles draperies des robes des danseuses de flamenco… Pas étonnant que le public, totalement médusé et sous le charme du jeune pianiste, se soit déchaîné en applaudissements intempestifs. D’habitude ce public est bien plus réservé dans ses enthousiasmes. Révérence et sourire radieux du jeune artiste pourtant lessivé par un concert plaçant la barre bien haut et qui ne lui a laissé guère de répit. Deux bis, dont une parodie, de sa propre composition, du Caprice espagnol de Moritz Moszkowski, œuvre qui, paraît-il, à l’âge de treize ans, lui donnait du fil à retordre, car Shimkus s’avoue « paresseux » à la prime enfance. Devant tant de talent et de précoce maturité, on a de la difficulté à croire un peu cet aveu plein d’ingénuité et d’innocence…Toujours est-il que ce « caprice », revisité par un pianiste inspiré, prolonge son charme, avec un soupçon de poésie, quelque malice, beaucoup d’humour et, bien entendu, du talent à revendre. À vingt trois-ans, un talent immense qui laisse pantois et cloue au siège. Edgar DAVIDIAN

Par un temps de grand froid, avec un vent fouettant les arbres, de la neige sur les voitures et les routes, Vestard Shimkus, pianiste haut de gamme à vingt-trois ans, donnait en soliste au Festival al-Bustan une prestation exceptionnellement incendiaire. Toujours dans le sillage du drapeau espagnol, un programme concocté avec intelligence et esprit, mais où l’air du pays de...