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Actualités

Le Liban entre deux Constitutions et deux sociétés

Les événements qui se suivent et se multiplient au Liban empoisonnent la vie du citoyen et poussent les jeunes générations à envisager l’émigration, obligés et meurtris, à la recherche d’un avenir digne, stable et équilibré. La tension et la noirceur du panorama politique après trente ans de guerre et de tutelle étrangère deviennent insoutenables et inquiétantes pour l’existence même de la nation. Les discours et les propositions des antagonistes sur la scène politique intérieure ressemblent davantage à des propos de « procureurs » de la république qu’à ceux d’un « bon père de famille » à la recherche de programmes de « sauvetage » face aux drames vécus par l’ensemble de la communauté nationale. Il est donc urgent, aujourd’hui, de s’atteler à déterminer les causes profondes du mal et essayer de l’anéantir par l’intermédiaire d’un traitement de choc, pour éviter que des métastases ne s’étendent sournoisement et inexorablement dans ce corps affaibli par tant d’épreuves. Depuis 1943, date de son indépendance, le Liban vit, à cause de son équation constitutionnelle, des options fondamentalement antinomiques, souvent déstabilisatrices et conciliables, uniquement, par des compromis et non des solutions durables. Cette situation conflictuelle structurelle s’est souvent exprimée, à travers le temps, soit par des débats orageux entre les parties en désaccord, soit par des manifestations et des combats de rue, pouvant entraîner des dérapages dangereux et dont les conséquences généralement ont balancé, selon l’importance du sujet, entre le compromis compliqué et douteux et la menace du « divorce » constitutionnel, voire même de l’aliénation des libertés démocratiques et républicaines, à l’avantage de puissances étrangères agréées par certains partenaires nationaux et refusées par d’autres. Les causes profondes et immédiates des différentes crises qui ont en tout cas secoué le Liban depuis 1975 à ce jour illustrent de façon évidente les « délicatesses » et la vulnérabilité du système. Avec chacune d’elles, des « recettes » préréglées se sont profilées, entraînant l’apparition de configurations politiques intérieures spécifiques, dont les axes constitutifs et les actions étaient réfléchis et préparés pour aboutir à des archétypes de détonateurs nationaux et constitutionnels. Le panorama qui se dessinait alors pavait le chemin aux décideurs étrangers et à leurs alliés locaux pour entreprendre des actions déstabilisatrices sur une scène nationale qu’ils avaient transformée en une large « zone franche » politique, où tous les coups devenaient aisés et justifiables pour réaliser des objectifs stratégiques commandités par des puissances régionales et internationales. Jusqu’à quand pourra-t-on continuer à assumer cette problématique constitutionnelle qui déchire la nation et les citoyens, et impose à tous une hémorragie permanente avec, naturellement, toutes les conséquences afférentes à cet état de fait ? Est-ce que les règles du jeu doivent rester immuables, surtout quand les citoyens d’une nation et leurs dirigeants n’arrivent plus à dominer, en toute démocratie, les constantes républicaines établies dans leur Constitution de base ? Le temps est peut-être venu d’envisager sérieusement la création d’une « cellule de crise nationale », qui groupera des chefs politiques actuels, ainsi qu’un « comité de sages », formé d’anciens politiques, de professeurs d’université et des représentants de la société civile, dont le rôle consistera à établir une nouvelle charte constitutionnelle basée sur des constantes nationales amendées par rapport à celles actuellement existantes, mais véritablement garantes de l’indépendance, la souveraineté et l’unité nationale. Après tous les malheurs et les injustices que ce peuple courageux subit depuis des décennies, les Libanais, et à leur tête les politiques, doivent s’engager sans plus d’hésitation à interrompre le cercle infernal du mensonge mutuel et réciproque qui les régit et éliminer, dans des délais administrativement gérables, le confessionnalisme politique et sa mainmise sur tout l’appareil de l’État, grâce à l’interventionnisme systématique et à la pression opérés par toutes les religions, constitutionnellement reconnues dans le texte de 1943. Ces dernières sont en effet devenues, à travers le temps, la seule véritable référence, non seulement religieuse, mais aussi civile des Libanais, voire même la manne politique incontournable, pour pouvoir accéder à n’importe quelle forme de participation à la vie nationale, bref pour avoir les droits les plus élémentaires d’exister en tant que citoyen. Non, l’histoire d’une nation ne se bâtit pas sur des terrains minés ou glissants et encore moins perdurer au travers de quiproquos. À l’occasion donc des troubles que connaît le pays, il s’avère de plus en plus indispensable de tomber les masques et de se mobiliser dans une lutte difficile, mais honnête et transparente, contre tous les tabous sociopolitiques qui ont façonné notre réflexion et nos agissements depuis l’indépendance. Il faut que les chrétiens et les musulmans, et peut-être plus, les musulmans que leurs associés dans la République, aient le courage et la sagesse d’adopter, dans leur recherche d’un sauvetage national, les principes républicains de la laïcité et non de la déconfessionnalisation politique, tout en veillant scrupuleusement à garantir toutes les dispositions complémentaires, nécessaires et spécifiques au Liban, pour lui garder sa vocation historique de terre-message multiconfessionnelle et pluriculturelle. Cet acte ne sera certainement pas du goût de bon nombre d’acteurs locaux et sûrement pas des décideurs étrangers, régionaux ou internationaux, qui pourraient y voir une diminution, voire même une dilution de leurs pouvoirs d’intervention sur le front interne. Mais le pari vaut la peine d’être pris si, à la clé, les habitants de ce pays deviennent enfin des citoyens à part entière, libres, indépendants et jouissant de règles démocratiques sacrées et non négociables, malgré les pressions et les menaces que la nation aura à subir à l’occasion des intempéries provoquées lors d’éventuels changements géopolitiques, fréquents dans cette région du monde. Dans cette foulée, le document constitutionnel de Taëf peut servir d’inspiration et de rampe de lancement de la nouvelle Constitution libanaise. Les ingrédients essentiels y sont contenus ; il pourrait, avec les aménagements textuels conséquents à l’adoption de la laïcisation des institutions et certains autres amendements, constituer les bases fondamentales d’une nation modèle, unique dans son genre, au Moyen-Orient. Face donc aux secousses confessionnelles qui lézardent régulièrement l’édifice national et remuent tout le tissu sociopolitique, la laïcité pourrait représenter un tremplin de salut public pour ériger une démocratie qui devra protéger et développer l’image d’un Liban terre d’accueil et de cohabitation entre les religions et les cultures qui peuplent le monde, et y consolider les principes de paix et de tolérance qui ont accompagné sa création. C’est aussi la seule façon de répondre aux aspirations des jeunes générations d’aujourd’hui, toutes communautés confondues, à une vie nationale plus stable, plus productive et plus sereine, tant à l’intérieur qu’avec leur environnement régional et international. Plaise à Dieu que cet appel puisse être lu et serve de réflexion à toutes les âmes de bonne volonté, d’autant plus qu’il intervient dans une conjoncture où tous les Libanais se cherchent une identité nationale durable, solide et solidaire, et alors que le Liban est en pleine mutation démographique, sociale et politique, puisque trois minorités confessionnelles composent aujourd’hui sa contexture, au lieu de l’équation entre chrétiens et musulmans qui avait profondément marqué la naissance du Liban. Salim F. DAHDAH Conseiller en stratégie et en relation publique
Les événements qui se suivent et se multiplient au Liban empoisonnent la vie du citoyen et poussent les jeunes générations à envisager l’émigration, obligés et meurtris, à la recherche d’un avenir digne, stable et équilibré. La tension et la noirceur du panorama politique après trente ans de guerre et de tutelle étrangère deviennent insoutenables et inquiétantes pour...