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Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITION - Laure Ghorayeb et Mazen Kerbaj à la galerie Janine Rubeiz, jusqu’au 28 mars «D’une fenêtre, l’autre», ou la résistance par la plume

Il se sont érigés, l’espace d’une guerre, en chroniqueurs de vie et de mort. Elle est peintre, poète et critique d’art. Lui est auteur de bandes dessinées ainsi que de musique. À eux deux, ils ont rassemblé leurs dessins spontanés, croqués d’un seul jet, qu’ils affichent jusqu’au 28 mars à la galerie Janine Rubeiz. «D’une fenêtre, l’autre», signée Laure Ghorayeb et Mazen Kerbaj, dénonce, en illustrations et textes, trente-trois jours de bombardements, de violences et d’agressions physique et morale. Retranscrits quotidiennement sur papier blanc par ces deux artistes de générations différentes, les croquis, rangés par ordre chronologique, sont l’expression d’un parcours parallèle différent, mais tellement similaire. «Il fallait travailler dans l’urgence, capter l’événement et retransmettre immédiatement l’émotion, pour sauvegarder l’authenticité artistique de l’œuvre et notre propre équilibre au cours de cette guerre ignoble.» C’est ainsi que s’expriment la mère et le fils à propos de leurs deux ouvrages exposés parallèlement à l’affichage qui se tient à la galerie Janine Rubeiz. Des dessins compulsifs, croqués en toute vitesse, au rythme frénétique des bombardements. Un peu comme un battement d’ailes qui accompagne celui des tambours. Des impressions crachées, vomies à l’encre de Chine, sur papier blanc, en noir et blanc, plutôt noir que blanc. Hurlements en sourdine. Presque muets. Comme un salut à Edward Munch. Ces croquis réunis au moyen virtuel du blog (créé par Kerbaj durant la guerre de juillet) assuraient le seul lien avec l’extérieur tout en étant le témoignage intime de deux expériences personnelles et artistiques prêtes à affronter l’expérience de guerre. Un moyen de se faire entendre. Un événement... deux regards «Dès que le conflit a éclaté, je me suis mis à dessiner. C’était ma manière à moi de résister. Bien sûr, je n’étais pas assez naïf pour croire que l’art pouvait vaincre la guerre mais, par contre, il pouvait lui survivre. Il ne fallait surtout pas me laisser vampiriser par l’ignominie de la situation, confie Kerbaj. Se tenir en marge de l’événement tout en devenant témoin, que ce soit par l’écriture ou le dessin, tel était mon objectif premier. » Laure Ghorayeb enchaîne: « Trois jours après avoir créé son blog, Mazen m’a invitée à le suivre. Je me suis laissée faire, un peu par défi, un peu par besoin de survie (mentale).» Et de poursuivre: «C’est plus une chronique qu’une œuvre d’art, car elle interprète l’événement sous forme de calendrier imagé.» Sous le coup de crayons de Kerbaj et de Ghorayeb, les dates, chiffres et nombres s’animent, s’articulent et reprennent de leur sensibilité, de leur humanité. Impressions en pointillés, en caractères cunéiformes ou en hiéroglyphes pour l’une; faces déstructurées, corps démembrés et torturés pour l’autre; yeux écarquillés, surdimensionnés pour les deux; les univers des deux artistes fourmillent d’images, de sensations et d’émotions. Ils hurlent à la mort et chantent parfois l’espoir (notamment chez Ghorayeb). Perçoit-on les influences réciproques à travers les lignes? (car il est à conseiller de regarder les dessins avec des yeux de lecteur). Les deux artistes esquissent tous deux un sourire, se renvoient la balle et finissent par avouer que chacun travaillait chez soi mais confrontait les dessins en fin de journée. Une course effrénée contre les aiguilles de la mort qui se faisait parfois d’une manière chaotique, «un chaos qu’on a tenu à préserver en évitant de sélectionner ou d’élaguer». En noir et blanc «D’une fenêtre, l’autre» est, avant tout, l’histoire de deux regards sur un même événement. Deux visions différentes, mais deux journaux intimes qui puisent leurs racines d’un passé commun. Kerbaj ajoute: «Il est vrai que j’ai poussé ma mère à travailler dans l’urgence mais, au bout du compte, elle m’a devancé. Sans oublier que dans mon enfance, j’ai tout appris d’elle.» Elle, pour sa part, avoue que Mazen lui a appris l’instantanéité, la simplicité. «Dans le temps, il me fallait seize heures pour achever une toile. Mon fils m’a appris à simplifier.» Plus de quatre cents portraits à eux deux, «dédiés aux 1 187 boîtes numérotées». D’une part, le ton cynique voire nihiliste de Kerbaj avec des expressions telles que: «Connaissez-vous l’odeur d’un enfant qui brûle?» De l’autre, celui plus teinté d’espoir de Ghorayeb, mais à eux deux une palette monochrome de noir et blanc «Il était inutile de penser couleurs à l’époque», disent-ils en chœur. Leurs dessins? Des larmes d’encre en lavis sur les pages noircies par l’horreur de la guerre, que viendra sécher Evan, fils de Mazen Kerbaj, tout en leur ajoutant des teintes claires et gaies. Une manière à lui d’assurer l’héritage. L’exposition est aussi l’occasion du lancement des livres des deux artistes, 33 jours de Laure Ghorayeb et Beyrouth, juillet-août 2006 signé Mazen Kerbaj. Colette KHALAF
Il se sont érigés, l’espace d’une guerre, en chroniqueurs de vie et de mort. Elle est peintre, poète et critique d’art. Lui est auteur de bandes dessinées ainsi que de musique. À eux deux, ils ont rassemblé leurs dessins spontanés, croqués d’un seul jet, qu’ils affichent jusqu’au 28 mars à la galerie Janine Rubeiz.
«D’une fenêtre, l’autre», signée Laure...