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Actualités - OPINION

Du droit... à la désobéissance

Une forme moderne du droit de résistance vient d’être récemment décelée au Liban sous le label de la désobéissance civile, par ceux-là mêmes qui défendent un État fort et fortifié. Que faut-il entendre et comprendre par désobéissance civile ? Est-ce l’expression ultime d’une action collective et concertée pour contester l’ordre établi ? Est-ce, en revanche, l’exercice d’un droit populaire qui n’a pu aboutir par les voies constitutionnelles définies ? Dans les deux cas, on est loin du droit de résistance à l’occupation que le Liban a exercé légitimement pendant plus de deux décennies dans sa partie méridionale. Quant à mener une action collective de contestation d’un certain ordre établi, les éléments constitutifs d’une telle action sont loin d’être réunis : une action de désobéissance civile suppose de prime abord que ses meneurs entendent par cette action contraindre l’État à respecter les principes qui lui ont donné forme. Or ces principes, pour constitutionnels qu’ils soient, n’ont jamais connu une véritable consécration juridique, faute d’être évoqués devant les instances juridictionnelles chargées de les expliciter – entendre le Conseil constitutionnel comme seule autorité de contrôle chargée de la bonne application de la Constitution. Il s’ensuit une myriade d’interprétations émanant de toutes les parties en cause mais en réalité peu concernées par la bonne conduite de la chose publique. Le principe de légitimité de toute autorité au respect du pacte de coexistence communautaire (vie ou mort commune) qui vient d’être brandi suite à une démission ministérielle collective nécessite tout au moins qu’il soit déféré devant un Conseil constitutionnel pour interprétation. Tout comme le projet de loi-traité sur la Constitution du tribunal à caractère international qui vient d’échouer à la porte de la Chambre des représentants du peuple (lequel ?) nécessite la saisine du Conseil constitutionnel pour contrôler sa compatibilité avec la norme constitutionnelle libanaise. Au lieu de cela, nos dirigeants s’investissent vainement dans des dosages quasi pharmaceutiques sur des compositions ministérielles stériles, sinon morts-nées. Par ailleurs, on s’évertue à décortiquer les faits et méfaits du projet de loi sur le tribunal à caractère international, pourtant vaillamment négocié par la partie libanaise, comme si la justice dans notre pays était toujours vouée au clientélisme. Comme si se battre pour les morts obéit à une ligne de partage entre vivants… Désobéissance civile, me dites-vous, justement parce que les voies constitutionnelles sont anéanties (!?). Un gouvernement amputé, une Chambre mal faite, un Conseil constitutionnel introuvable... Que reste-t-il de la République ? Pas grand-chose ! Désobéir n’est pas le remède, c’est plutôt le mal incurable, la mort de la République. Va-t-on désobéir pour rétablir un gouvernement d’union nationale ? Va-t-on désobéir pour élire un nouveau Parlement ? Va-t-on désobéir pour ressusciter un Conseil constitutionnel désœuvré ? Va-t-on désobéir pour dépecer juste un tribunal prêt à rendre justice ? Mais qui a proclamé qu’un gouvernement d’union nationale c’est celui-là même qui garantit le principe de coexistence communautaire ? Lequel principe est-il devenu un principe de gouvernance, transformé en un veto de poche entre les mains de chaque communauté ? Mais qui a prononcé l’inconstitutionnalité du Parlement actuel ? N’a-t-on pas initié des recours en invalidation contre des candidats élus ? N’a-t-on pas invoqué à ce titre l’illégalité d’une certaine fatwa, obiter dictum, imposant le vote impératif, rendue ex cathedra par un allié du moment et faiseur de lois divines ? Et puis le vote impératif, s’il est établi et constaté par le Conseil constitutionnel, n’aboutit-il pas droit à l’invalidation des législatures contestées, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles élections partielles susceptibles de renverser la majorité actuelle ? Et qu’est-ce qui empêcherait la formation d’un nouveau Conseil constitutionnel dont le mandat de plusieurs mandats des membres est arrivé à terme ? Le but n’est-il pas de mettre sur pied un Conseil constitutionnel fonctionnel quelle que soit la loi qui a amendé la procédure de nomination de ses membres ? Enfin, refuser de débattre du statut du tribunal à caractère international au sein du gouvernement, et éventuellement y introduire des amendements, ne constitue-t-il pas un déni de justice de la part du politique ? Démissionner, désobéir, dénigrer ne plaident pas la cause de la République. En revanche, c’est en renforçant le système juridique, en le revitalisant, que le désir de changement dans notre société pourra connaître une voie institutionnelle. Le changement ne peut se faire que dans la stabilité. Or le système juridique est le principal garant de cette stabilité. Comme le dit Hannah Arendt : « Toutes les organisations humaines, sociales ou politiques reposent en fin de compte sur la capacité de chaque individu à prendre des engagements et à les tenir. » Ainsi, la désobéissance civile s’explique par l’irrespect des citoyens vis-à-vis du « contrat social », car le système juridique n’a pas tenu ses engagements. Dès lors, peut-on dire que notre système juridique n’a pas tenu ses engagements ? La République de Taëf a-t-elle échoué ? Aurait-elle été un gros mensonge colporté par des Libanais en mal d’État ? Un principe de précaution constitutionnel voudrait qu’avant d’entreprendre une action irréversible de désobéissance civile, on s’assure que nos « sages » ont véritablement pris toutes les mesures juridiques et constitutionnelles tendant à éviter la destruction durable de notre édifice étatique. Au cas contraire, la désobéissance civile dont on nous menace aujourd’hui serait l’annonce d’un conflit de générations, la révolte des jeunes contre les adultes défaillants et le passage du mensonge à la violence. Attention, danger de mort ! Badih MOUKARZEL Avocat - chargé d’enseignement de droit public à l’USJ

Une forme moderne du droit de résistance vient d’être récemment décelée au Liban sous le label de la désobéissance civile, par ceux-là mêmes qui défendent un État fort et fortifié. Que faut-il entendre et comprendre par désobéissance civile ? Est-ce l’expression ultime d’une action collective et concertée pour contester l’ordre établi ? Est-ce, en revanche,...