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Actualités - OPINION

Des choix à faire

Décidément, l’indépendance ne nous réussit pas. Depuis que nos hommes politiques ont choisi de s’appuyer sur les Anglais pour nous émanciper malgré nous du mandat français, le pays va mal. Nos « trente glorieuses » de 1918 à 1946 ont vu les Libanais d’outre-mer revenir au pays, et des partis populaires émerger, qui cultivaient ambitions et valeurs nationales ou régionales. Les hommes politiques turbulents étaient exilés pour un bout de temps plutôt que d’être démembrés comme on l’a vu récemment au coin d’une rue ou au creux d’une route de montagne. La seule puissance qui gouvernait était laïque et empêchait nos défenseurs de la foi, religieux ou pas, de nous empoisonner la vie. Elle préservait l’intégrité du pays et empêchait, par exemple, les Anglais de mettre la main sur le Sud (déjà) pour le compte des kibboutzim assoiffés de terre et de bonne eau. On a eu un recensement, on a voté presque normalement et la vie était douce. On était divisés au plus fort de la Seconde Guerre mondiale entre Pétain, de Gaulle, et Hitler ; mais comme on le ferait à l’occasion d’un Mondial. Malgré ça, on n’était pas embastillés ou fusillés pour autant. On pensait et écrivait à tout va, et la vie culturelle était en ébullition. Le pays était exsangue après des siècles d’oppression ottomane, et pourtant on nous offrait une infrastructure qui permettait à l’économie de reprendre son souffle et de redémarrer, et aux coffres de l’État de se remplir. On ne faisait pas la queue devant les consulats et on ne soudoyait personne pour obtenir un visa nécessaire pour faire un tour d’Europe. Il n’y avait pas de réfugiés ingrats qui prétendent, sans sourciller, nous donner des leçons de patriotisme à chaque bout de champ. On allait librement en Syrie sans regarder toutes les deux secondes par-dessus l’épaule si quelqu’un épiait nos paroles et nos actes pour nous chercher noise. On y faisait des affaires sans avoir peur d’être racketté et de voir ses gains confisqués. On croyait en l’avenir et cet avenir était chez nous. On était bien ! Depuis, bien qu’on ait pu, tant bien que mal, continuer sur cette lancée pour trente autres années, on s’est épris de nouveau de bassesses et autres cruautés orientales. On a fusillé nos opposants et livré d’autres pour être noyés dans les bains d’acide de nos bienveillants voisins ; ceux-là mêmes qu’on a applaudis, à tour de rôle, quand ils ont appuyé nos doigts sur des gâchettes devenues décidément trop faciles ou des boutons de détonateurs criminels. On a éliminé notre intelligentsia. Des présidents jeunes et prometteurs sont tombés foudroyés par une haine implacable. On a versé en plein dans la corruption, les commerces illicites et le blanchiment d’argent. On vendait notre âme au plus offrant puis on allait crier à qui voulait bien nous entendre que les étrangers s’immisçaient dans nos affaires et nous dressaient les uns contre les autres. On a recommencé à exporter nos enfants. Et à travers nos consulats d’un autre âge, on a rendu difficile à ceux qui vivaient dans les pays lointains de garder un lien avec la mère patrie, en leur refusant, sous des prétextes qui n’ont jamais convaincu personne, les services d’état civil de base. Le pays a versé à grande échelle dans le grand banditisme à travers des milices créées et formées par des assassins de tout genre ; ces mêmes milices qui ont échangé, du jour au lendemain, et sans aucun état d’âme, la tenue camouflage pour un complet veston sans rien perdre de leurs pulsions criminelles. Les partis de tout bord qui ont inspiré l’Orient et ses minorités ont volé en éclat. Nos élections sont devenues des combats pour coqs vains qui ont vidé de tout sens et de toute dignité notre vie politique. Notre patrimoine et nos ressources ont été pillés sans vergogne par nos voisins. Une pluie de sang a noyé notre terre et le noir a couvert nos femmes d’une chape de deuil. Les tombes communes, que des complicités criminelles gardent encore cachées, ont avalé à jamais des victimes innocentes que leurs parents n’ont jamais arrêté de pleurer. Pas un village, pas un quartier qui n’aient goûté l’humiliation de quémander aux portes des geôles voisines, jusqu’à ce jour, une preuve de vie de leurs chers qui y seraient engloutis. On a bétonné nos plaines, mutilé nos montagnes, saccagé nos forêts et exterminé notre faune. On a abandonné aux ronces les belles terrasses d’autrefois. On a déversé nos égouts directement dans nos nappes phréatiques, rempli nos vallées d’ordures et saupoudré nos côtes d’immondices et de constructions illégales. Nos routes sont devenues l’assassin principal de notre jeunesse, et on a plus de gens qui nous surveillent et nous censurent que d’agents qui facilitent notre circulation automobile. L’espoir semble être perdu pour de bon et les clés sûres de l’avenir sont devenues, plus que de bonnes études, une carte d’embarquement et un visa ou un passeport d’un pays occidental. Les familles se sont résignées, pour survivre dignement, à s’éparpiller aux quatre coins du monde. On en est arrivé à payer plus en dédommagement pour des carrières de sable et de gravier ou pour changer le téléphone cellulaire de propriétaire que ce qu’on a investi pour le matériel de notre armée nationale durant vingt ans. La classe politique est divisée entre la bande à Khaddam et celle à Assad. Le mystérieux 11 Mars qui tente de les rassembler n’est pas sans rappeler le triste souvenir de la même date de 1976 où un certain général Ahdab, commandant de la garnison de Beyrouth, était allé dans la voiture d’un chef de l’OLP débiter son communiqué numéro un devant les caméras de Télé-Liban et affirmer sa volonté de rassembler avant de se mettre à la solde de ceux qui ont divisé l’armée et saccagé le pays. Les forces vives des Libanais ordinaires qui ont bravé la brutalité de l’occupant, et fourni le gros de la manifestation libératrice du 14 Mars 2005, sont de nouveau orphelines après que leurs jeunes leaders eurent été liquidés de sang-froid dans une série d’attentats qui n’est pas sans rappeler les pires moments des guerres prétendument civiles qui se sont succédé depuis 1975. Les autorités religieuses, dernier refuge moral, sont partisanes ou impuissantes. Pourtant, ces gens ordinaires, en se réfugiant dans la routine de leurs tâches quotidiennes, résistent. En prenant leur distance avec la classe dirigeante, gouvernante ou opposante, ils se rendent de plus en plus à l’évidence que leur avenir est fonction de vrais choix politiques inspirés par le respect de l’autre et par l’amour de la liberté. En observant les événements d’Orient, ils réalisent que le temps des tyrans ne peut durer une éternité et que toutes les mauvaises choses ont une fin. En regardant avec une pointe d’envie les élections occidentales à venir, ils rêvent du moment où ils pourront dire leur mot pour que les affaires de la nation soient confiées à des dirigeants honnêtes, laïques, justes et impartiaux. Qui saura les inspirer et redonner vie à leurs espérances ? Vu l’inanité de nos roitelets, le danger que représente, pour une région aussi volatile que la nôtre, la fission de l’atome libanais, ainsi que l’importance stratégique croissante que revêt pour la communauté internationale férue de globalisation, un Liban stable et prospère, il est fort à parier que seul un troisième mandat ou un protectorat bienveillant, après la moutasarrifiyat et l’épisode français, pourrait sauver le pays et redonner à cette nation goût à l’avenir. Accepter le chaos ou nous résigner à choisir le « bon » étranger qui guidera nos décisions, voilà le choix que les prochains jours ne manqueront pas d’élucider et d’en déterminer le prix dont devra s’acquitter la région immédiate en termes de stabilité et de longévité de gouvernements ou de révision des choix stratégiques. Wassim HENOUD Directeur général de l’agence Reuters pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord
Décidément, l’indépendance ne nous réussit pas. Depuis que nos hommes politiques ont choisi de s’appuyer sur les Anglais pour nous émanciper malgré nous du mandat français, le pays va mal.
Nos « trente glorieuses » de 1918 à 1946 ont vu les Libanais d’outre-mer revenir au pays, et des partis populaires émerger, qui cultivaient ambitions et valeurs nationales ou régionales. Les...