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Actualités - OPINION

Le tribunal international… et les subtilités onusiennes Fouad KHOURY HÉLOU

Depuis la fin de la guerre froide, l’ONU est intervenue de manière croissante dans le règlement des conflits, en créant des tribunaux chargés de statuer notamment sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Ce faisant, elle a fait montre d’une grande maîtrise dans l’utilisation du droit et des procédures juridiques, pour faire avancer la « bonne cause ». Le cas libanais représente aujourd’hui un bel exemple, comme le montre le projet de création du tribunal international spécial pour le Liban. Deux points attirent notamment l’attention et donnent à l’organisation internationale une vaste marge de manœuvre afin de faire avancer le projet de tribunal sans heurts : d’une part, la distinction entre la dimension politique et la dimension judiciaire, et, d’autre part, l’utilisation progressive et « dosée » du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. Premier point, la distinction entre la dimension politique et la dimension judiciaire. En effet, le processus de négociation entre l’ONU et le Liban pour la mise en place du tribunal a été initié notamment par la résolution 1664 du Conseil de sécurité. Et l’on sait que beaucoup de parties tentent d’influencer ces négociations pour éviter d’être mises en cause par le tribunal. Or, la résolution 1664 fait la distinction entre deux éléments : d’un côté, l’adoption du cadre légal et du statut final du tribunal, et, de l’autre, le démarrage réel de ses activités, tributaire selon la 1664 des résultats de l’enquête menée par M. Brammertz. Il est donc possible que le statut final du tribunal soit adopté à une date donnée, relativement proche, alors que l’activité réelle du tribunal démarrerait à une date ultérieure, lorsque l’instruction menée par M. Brammertz aurait progressé. Cette distinction laisse libre cours aux négociations actuelles entre l’ONU et le Liban concernant le projet de tribunal, qui sont à connotation politique, tout en laissant le démarrage concret à plus tard. Les négociations pourraient donc influer sur le cadre de départ du tribunal, mais pas sur ses délibérations et décisions ultérieures (lesquelles seraient peut-être l’objet… d’autres négociations, comme le font d’ailleurs parfois, dans un autre contexte, les tribunaux américains eux-mêmes ?). D’un autre côté, l’enquête menée par M. Brammertz se poursuit aujourd’hui sans être formellement liée par le timing de ces négociations ou leur résultat, puisque cette enquête a de son côté été initiée sur base notamment des résolutions 1595, 1636 et 1644 de l’ONU. En ce sens, dans la situation actuelle, caractérisée par de fortes pressions régionales et locales, on pourrait presque dire que, du point de vue de l’ONU, les négociations sur le tribunal constituent la « carotte » et l’instruction menée par M. Brammertz le « bâton ». Et, en tout état de cause, cette séparation du politique et du judiciaire renforce l’indépendance de la justice, et octroie au tribunal des garde-fous qui lui permettent de conserver son autonomie future, même si un règlement politique devait intervenir entre-temps au Liban. Deuxième point, l’utilisation qui est faite du chapitre 7 de la Charte de l’ONU de manière à faire avancer la négociation sur le tribunal sans heurts. En effet, il existe deux manières de mettre en place le tribunal international pour le Liban. Dans le premier cas, le Conseil de sécurité de l’ONU peut prendre une résolution en vertu du chapitre 7, qui donne à l’ONU des pouvoir renforcés et l’autorise à intervenir par tous moyens (y compris militaires) afin de rétablir les choses dans un pays donné. Par cette résolution, il peut donc décider unilatéralement de mettre en place le tribunal sans en référer à personne. Mais il a choisi le deuxième moyen, qui est de négocier avec le Liban un accord concernant la mise en place de ce tribunal. Or, cela implique de respecter les processus légaux en vigueur au Liban pour la ratification des traités. Cette ratification, du côté libanais, passe par les trois présidences, et l’accord doit être sanctionné par le Conseil des ministres et le Parlement. Donc par toutes les parties prenantes au conflit libanais et, indirectement, leurs alliés régionaux. Autrement dit, la négociation sur le tribunal pourrait servir de carte de pression. Mais, là encore, l’ONU garde ses atouts juridiques en main. En effet, le chapitre 7 de la Charte (particulièrement l’article 41, mais aussi 39, 40 et 42) permet au Conseil de sécurité d’utiliser tous les moyens qu’il juge adéquats, sans restriction particulière. Or, cela peut aller de la force militaire… au fait de créer unilatéralement un tribunal. Et donc à plus forte raison de passer un accord avec un pays, par exemple l’accord avec le Liban concernant le tribunal international. Dans le cas libanais, la résolution 1664 a initié formellement et explicitement le processus de négociation sur le tribunal, mais il existe une autre résolution, la 1644 (votée suite à l’assassinat de Gebran Tuéni), et particulièrement son article 6, par laquelle le Conseil de sécurité mandate le secrétaire général afin d’aider le gouvernement libanais à identifier la nature et l’envergure de l’assistance internationale requise pour la mise en place du tribunal, et ce sur base d’une demande libanaise en ce sens. Et, point essentiel, la résolution 1644 a été prise sur base du chapitre 7. Or, les accords concernant le tribunal signés entre le secrétaire général (ou son représentant) et le gouvernement libanais tombent certes sous le mandat de la 1664, mais également sous celui de la 1644 (et donc du chapitre 7), puisque ces accords et les négociations afférentes servent à mettre en place le cadre du tribunal… et donc à identifier la nature et l’envergure de l’assistance internationale requise. De plus, vu l’autorité conférée au Conseil de sécurité par le chapitre 7, la signature de ces accords peut pour le moment se faire avec un fonctionnaire représentant l’État libanais. En attendant que s’achève le long et complexe processus de ratification libanais. Dans une certaine mesure, l’ONU peut donc, et pour un temps, « accélérer » tout à fait légalement les choses avec le Liban, et donc couper court aux pressions. Et ce, sachant bien que le Conseil de sécurité n’a pas encore décidé de créer le tribunal unilatéralement en prenant une résolution à caractère impératif sur base du même chapitre 7. Tout cela pourrait déplaire aux opposants à ces accords (s’il y en a de réels), mais ce serait légal du point de vue du droit onusien. Ainsi, certaines voix se sont élevées pour critiquer la signature du récent accord sur le tribunal international entre Nicolas Michel, adjoint du secrétaire général de l’ONU pour les affaires juridiques, et un fonctionnaire représentant le Liban. Or cette signature est légale, et, surtout, à travers cela, l’ONU confirme en réalité sa volonté de continuer à discuter avec tout le monde, aussi bien les partisans que les opposants au projet. C’est pourquoi le secrétaire général Ban Ki-moon a aussitôt déclaré après la signature qu’il fallait respecter le droit et les usages libanais, et que c’était désormais au Liban de poursuivre le processus de ratification normal et définitif, passant notamment par le Parlement. Ainsi, pour le moment, l’ONU n’a fait que « renvoyer la balle » dans le camp libanais. Cela dit, l’ONU a également et indirectement lancé un avertissement, signifiant que, s’il y a blocage, le chapitre 7 pourrait bientôt être utilisé dans toute sa force, en créant le tribunal de manière unilatérale. Conclusion de tout cela, l’ONU négocie aujourd’hui à partir d’une position de force, mais le Liban a réussi à gagner du temps. Un temps précieux, vu les circonstances. Enfin, on affirme parfois que ce tribunal porte en lui-même le danger d’être partial et de favoriser certains au détriment d’autres. Mais rien n’est moins sûr. En réalité, il y a fort à parier que, du point de vue onusien, ce tribunal ne pourrait in fine qu’être impartial, car sinon il perdrait sa légitimité et sa crédibilité au Liban et dans les pays arabes. Or, malgré toutes les pressions actuelles, l’objectif de l’ONU à travers la création de ce tribunal est justement de redorer le blason de la légalité internationale auprès de l’opinion arabe, et de donner aux Arabes le sentiment que les choses ne sont pas arbitraires. Donc de légitimer l’intervention internationale et la notion de « droit d’ingérence » au Moyen-Orient. Car, en définitive, pourquoi créer un tribunal ? L’on sait que, si la communauté internationale le juge nécessaire, elle peut avoir recours à des moyens militaires, et ce tout à fait légalement, en vertu de la Charte de l’ONU. La création de ce tribunal, bénéficiant d’un large soutien international, peut donc constituer un acquis juridique et moral, et donc politique, dans un pays au passé aussi tourmenté que le Liban. Article paru le Mercredi 28 Février 2007
Depuis la fin de la guerre froide, l’ONU est intervenue de manière croissante dans le règlement des conflits, en créant des tribunaux chargés de statuer notamment sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Ce faisant, elle a fait montre d’une grande maîtrise dans l’utilisation du droit et des procédures juridiques, pour faire avancer la « bonne cause »....