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Marie-Thérèse Kheir Badawi : Un travail de mémoire s’impose avant toute réconciliation

«Tant que nous n’avons pas encore fait un travail de mémoire et d’élaboration de nos traumatismes passés, le risque de conflit armé est là », affirme Marie-Thérèse Kheir Badawi, psychanalyste et professeur universitaire. Cela suppose un travail en profondeur que les Libanais ont omis de faire au lendemain d’une guerre meurtrière qui a duré près de 20 ans, laissant en suspens, « entre parenthèses », comme elle dit, des peurs, des craintes, des blessures profondes qui sont en train de ressurgir, faute d’avoir été abjurées. « Le travail de mémoire consiste, d’abord, à mettre des mots sur nos maux passés, pour pouvoir nous réorganiser, dans ce second temps, en tant que société », explique Mme Kheir Badawi. Or, soutient la psy, au lendemain de la guerre civile, « nous avons continué à dénier nos traumatismes comme s’ils n’avaient jamais existé, et relégué à l’oubli ce qui a été à l’origine de nos clivages ». « Pour éviter de recommencer les erreurs du passé, il faut réapprendre à se reconstruire, en déterrant l’histoire et en confrontant nos traumatismes au lieu de les occulter, pour les empêcher de nous hanter à nouveau », soutient le professeur. Il s’agit d’un processus dans lequel nous sommes appelés à analyser nos troubles, à mettre en évidence le pourquoi et le comment de ce qui nous induisait, à chaque fois à travers l’histoire ancienne et récente, à réitérer nos schémas conflictuels. En d’autres termes, affronter, une fois pour toutes, la réalité dans toutes ses fractures communautaires et religieuses. « Sinon comment comprendre qu’à chaque fois que nous faisons face à des divergences, nous aboutissons inéluctablement à des confrontations ? L’oubli a été le pire ennemi des Libanais », soutient Mme Kheir Badawi, qui cite pour exemple la France et l’Allemagne qui ont achevé de sceller leur réconciliation en la ramenant, tous les ans, à la mémoire des deux peuples, dans le cadre d’une cérémonie désormais érigée en symbole. Cela n’a pu se faire qu’à travers une analyse en profondeur sur l’histoire de la haine et de la violence qui a imprégné la mémoire des deux peuples. C’est l’exercice que l’élite politique et intellectuelle est appelée à faire au Liban, dans le cadre d’une structure dynamique mise en place à cette fin, pour encadrer le travail de réflexion et d’analyse. « L’élite politique est incapable à elle seule de gérer ce travail de mémoire, par ignorance ou tout simplement à cause des intérêts communautaires en jeu, d’où l’importance d’impliquer l’élite intellectuelle », dit-elle. À la manière de la psychanalyse, ce processus consiste à comprendre, dire et reconnaître les accidents tragiques qui ont jalonné notre histoire tumultueuse, pour pouvoir enfin les dépasser. « Au Liban, nos leaders politiques ressassent, notamment depuis Taëf, le fait qu’il n’y a pas eu de vainqueur et de vaincu. C’est ce qu’on appelle la politique de l’autruche. Admettons-le une fois pour toutes : il y a eu effectivement un vainqueur et un vaincu, mais nous n’avons jamais voulu le reconnaître ou se l’avouer. Comment, sinon, s’en guérir ?» Certes, admet la psy, notre tissu social est plus complexe et hétéroclite, d’où le besoin de confiner le travail de réflexion et de mémoire dans les ouvrages scolaires, pour pérenniser ce qu’elle appelle les invariants auxquels serait parvenue l’élite. « Comment reconstruire une nation alors que nous n’avons pas les mêmes héros ni une seule loi applicable à tous ? » s’interroge la psy. « C’est un peu à l’image d’une vie de famille, dont le noyau est menacé dès lors qu’il existe plusieurs lois au lieu d’une seule, capable de sécuriser les enfants », dit-elle. En outre, l’éducation scolaire, qui souffre de lacunes énormes au niveau de l’apprentissage historique, viendrait dans un second temps une fois le travail d’élaboration des traumatismes effectué, prône l’analyste. « Rares sont les jeunes Libanais qui savent ce qui s’est réellement passé à certaines dates-clés du pays, en 1958 par exemple ou en 1975, encore moins en 1860. » Seulement alors, nous pourrons effectuer le travail d’oubli, pour passer ensuite au travail de reconstruction et de réorganisation sociale. On ne l’aura jamais assez dit, conclut Mme Kheir Badawi : « Si les réalisations énormes de Rafic Hariri n’ont pas été couronnées de succès au niveau de l’idée de l’État, c’est parce que le citoyen ne s’était pas encore reconstruit au plus profond de lui-même. »
«Tant que nous n’avons pas encore fait un travail de mémoire et d’élaboration de nos traumatismes passés, le risque de conflit armé est là », affirme Marie-Thérèse Kheir Badawi, psychanalyste et professeur universitaire.
Cela suppose un travail en profondeur que les Libanais ont omis de faire au lendemain d’une guerre meurtrière qui a duré près de 20 ans, laissant...